Nous avons quitté Charing Cross dans la matinée du 12, atteint Paris la même nuit et pris les places réservées pour nous dans l’Orient-Express. Voyageant nuit et jour, nous sommes arrivés ici vers cinq heures. Lord Godalming s’est rendu au consulat, demander si aucun télégramme n’était arrivé pour nous, tandis que les autres s’installaient à l’hôtel, l’Odessus. Le voyage a pu comporter quelques incidents. J’étais trop pressé d’arriver pour en prendre souci. Jusqu’à ce que le Tsarine Catherine entre au port, rien dans le vaste monde n’aura pour moi le moindre intérêt. Grâce à Dieu, Mina est bien et semble être plus forte ; elle reprend des couleurs et dort beaucoup ; pendant le voyage, elle a dormi presque tout le temps. Mais aux moments qui précèdent l’aube et le crépuscule, elle est au contraire très éveillée et active. Ce sont les heures où Van Helsing a pris l’habitude de l’hypnotiser. Au début, il a éprouvé certaines difficultés et il a dû faire bien des passes ; mais à présent, elle semble céder sur-le-champ, comme par habitude, et c’est à peine s’il faut agir sur elle. À ces instants-là, il semble avoir toute autorité sur elle et ses pensées lui obéissent. Il lui demande invariablement ce qu’elle peut voir et entendre. Elle répond alors :
— Rien. Tout est noir.
Puis :
— J’entends les vagues heurter le navire et l’eau qui se brise. On tire des cordes, des voiles, les mâts grincent, et les vergues. Le vent est fort ; je l’entends dans les haubans et la proue fend l’écume.
Le Tsarine Catherine est évidemment encore en mer se hâtant vers Varna. Lord Godalming rentre à l’instant avec quatre télégrammes envoyés de jour en jour depuis notre départ et tous nous donnant le même renseignement. Le Lloyd n’a été avisé du passage du Tsarine Catherine en quelque lieu que ce soit. Lord Godalming avait pris ses dispositions avant de quitter Londres afin que son agent lui télégraphie de jour en jour et lui dise si le navire avait été signalé quelque part.
Nous avons dîné et nous nous sommes couchés tôt. Demain, nous devons voir le vice-consul et prendre nos dispositions, si c’est possible, pour monter à bord dès que le bateau arrivera. Notre chance serait, dit Van Helsing, que nous puissions le faire entre le lever et le coucher du soleil. Même sous la forme d’une chauve-souris, le comte ne peut traverser une eau courante par ses propres ressources. Il ne pourra donc quitter le navire. Comme il ne peut sans éveiller les soupçons – ce qu’évidemment il souhaite éviter – prendre la forme humaine, il lui faut rester dans son coffre. Si, par conséquent, nous pouvons monter à bord après le lever du soleil, il sera à notre merci, car nous pourrons ouvrir sa caisse et nous assurer de sa personne, comme on l’a fait pour la pauvre Lucy, avant qu’elle ne s’éveille. La pitié qu’il peut attendre de nous ne sera pas grand-chose. Grâce au ciel, la corruption peut tout dans ce pays, et nous avons beaucoup d’argent. Assurons-nous simplement que le bateau ne puisse accoster entre le coucher et le lever du soleil sans que nous en soyons avisés, et nous sommes sauvés. Le seigneur Portefeuille arrangera les choses, j’imagine