J’écris ceci à la lumière que laisse passer la porte de la chaudière de la vedette. Lord Godalming active la chauffe. Il connaît la manœuvre pour avoir eu pendant des années une vedette à lui sur la Tamise et une autre sur les lacs du Norfolk. Après avoir étudié mes cartes, nous avons finalement adopté la conjecture de Mina : si c’est une voie navigable qui doit ramener clandestinement le comte à son château, la seule possible est le Seret, puis la Bistritza à partir de son confluent. Nous avons admis que l’endroit le meilleur pour traverser le pays entre la rivière et les Carpates devait se trouver aux environs du 47e degré de latitude nord. Nous pouvons sans crainte forcer la vitesse pendant la nuit : l’eau est profonde et la distance entre les bancs est suffisante pour qu’on puisse, même la nuit, pousser les feux. Lord Godalming me conseille de dormir un moment, car il suffit qu’un de nous veille. Mais comment trouver le sommeil lorsque je pense au terrible danger qui menace ma chérie qui s’avance à présent vers cet horrible endroit ? Mon seul réconfort est de me dire que nous sommes dans les mains de Dieu. Sans cette certitude, le plus simple serait de mourir pour être libéré de ce tourment. Mr Morris et le Dr Seward sont partis avant nous pour leur longue chevauchée. Ils suivront la rive droite en remontant vers l’intérieur du pays, de façon à tenir une bonne étendue de la rivière sous leur regard et à s’épargner d’en côtoyer les sinuosités. Ils ont deux cavaliers qui conduisent leurs chevaux de rechange, quatre en tout pour les premières étapes, afin de ne pas attirer l’attention. Lorsqu’ils renverront ces hommes, et ce sera bientôt, ils s’occuperont eux-mêmes des chevaux. Un moment peut venir où nous devrons nous joindre à eux et, ainsi, nous pourrons tous être montés. Une des selles a un arçon de corne, mobile, et pourra aisément être mise en ordre pour Mina, si besoin en est.
Terrible aventure que la nôtre ! Nous fonçons dans l’obscurité ; le froid qui semble monter de la rivière pour nous transpercer et toutes ces mystérieuses voix de la nuit autour de nous, c’est peu de dire que nous en sommes profondément impressionnés, tandis que nous dérivons vers des lieux, vers des chemins inconnus, vers un univers de choses épouvantables. Godalming ferme la porte de la chaudière.