J’écris dans le train qui me ramène à Londres. Quand Mr Billington me fit aimablement savoir qu’il était prêt à me donner tous les renseignements qu’il possédait, je pensai que le mieux, pour moi, était de me rendre à Whitby ; en effet, je voulais alors simplement mais exactement connaître l’endroit de Londres, où avait été expédiée la sinistre cargaison du comte. Plus tard, nous pourrions avoir à nous en occuper. Le fils Billington, un charmant garçon, m’attendait à la gare ; il me conduisit chez son père, où ils avaient décidé que je passerais la nuit. Je fus accueilli avec cette hospitalité propre au Yorkshire : on donne tout à l’invité et on le laisse faire tout ce qu’il veut. Comme chacun savait que j’avais à m’occuper de beaucoup de choses en un temps très court, Mr Billington avait préparé tous les papiers concernant l’expédition des caisses. Je tressaillis quand je reconnus une des lettres que j’avais vues sur la table du comte, à l’époque où j’ignorais encore ses plans diaboliques. Il avait pensé absolument à tout, agi avec précision et méthode. Il avait prévu, semblait-il, chaque obstacle qu’aurait pu rencontrer l’exécution de ses projets. Pour user d’une expression américaine, il « n’avait pris aucun risque », et l’exactitude avec laquelle ses instructions avaient été suivies n’était que le résultat logique du soin qu’il avait mis à préparer toute cette affaire. J’eus la facture sous les yeux et je remarquai tout particulièrement qu’il y était écrit : Cinquante caisses de terre ordinaire, destinée à certaines expériences ; mon hôte me montra également la copie de la lettre adressée à Carter, Paterson & Cie, ainsi que la réponse de cette firme ; et de ces deux lettres, il me remit une copie. Comme c’étaient les seuls renseignements qu’il pouvait me donner, je descendis au port afin d’interroger les gardes-côtes, les employés de la douane et le capitaine du port. Ils eurent tous quelque chose à dire au sujet de l’arrivée insolite de ce bateau mystérieux dont l’histoire appartient déjà à la tradition locale. Aucun d’eux pourtant ne put me donner la moindre explication quant au contenu des caisses, et je dus me contenter de la simple indication lue sur la facture : Cinquante caisses de terre ordinaire. J’allai ensuite trouver le chef de gare, lequel appela aussitôt les hommes qui avaient transporté les caisses. Ils parlaient, eux aussi, de cinquante caisses, et ils n’eurent rien à ajouter, sinon qu’elles étaient « énormes et terriblement lourdes », et que les soulever, c’était un travail qui donnait soif. L’un d’eux fit remarquer que c’était vraiment malheureux qu’aucun gentleman – comme vous, par exemple, monsieur – ne montrât, sous une forme liquide, qu’il appréciait leurs efforts à leur juste valeur. Un autre insista en disant que la soif que le transport de ces caisses leur avait donnée était telle que le temps écoulé depuis lors ne l’avait pas apaisée. Inutile de préciser qu’avant de les quitter, j’eus soin de tarir cette source de reproches.