Je suis de plus en plus inquiète, et écrire me soulage un peu ; c’est comme si l’on se parlait à soi-même et s’écoutait tout à la fois. De plus, le fait de tenir ce journal en caractères de sténographie me donne une impression différente que si j’employais l’écriture ordinaire. Je suis inquiète au sujet de Lucy comme au sujet de Jonathan. Il y a quelque temps que j’étais sans nouvelles de lui ; mais hier, le cher M. Hawkins, qui est toujours si aimable, m’a envoyé une lettre qu’il avait reçue de lui. Quelques lignes seulement, envoyées du château Dracula, annonçant son départ. Cela ressemble si peu à Jonathan ! Je ne comprends pas ce qui se passe… je voudrais tant être rassurée ! Quant à Lucy, bien qu’elle paraisse en bonne santé, elle est de nouveau, depuis peu, en proie à des crises de somnambulisme. Sa mère m’en a parlé, et nous avons décidé que, dorénavant, la nuit, je fermerais à clef la porte de notre chambre. Mme Westenra s’est mis en tête que les somnambules, immanquablement, grimpent sur les toits des maisons et vont se promener au bord des falaises les plus escarpées pour s’éveiller soudain et tomber en poussant un tel cri de désespoir qu’on l’entend dans toute la région. La pauvre, elle passe sa vie à trembler en pensant que cela pourrait arriver à Lucy, et elle m’a raconté que son mari, le père de Lucy, souffrait de crises semblables ; il se levait au milieu de la nuit, s’habillait et sortait si on ne l’arrêtait pas. Lucy doit se marier cet automne ; elle s’occupe déjà de sa robe de noces, de son trousseau, de l’arrangement de sa maison. Je la comprends, car je fais exactement la même chose, à cette différence près que nous débuterons dans la vie d’une façon beaucoup plus simple, car nous devrons avant tout nous soucier de joindre les deux bouts. M. Holmwood – l’Honorable Arthur Holmwood, fils unique de Lord Godalming – doit arriver bientôt, aussitôt qu’il pourra quitter la ville, car son père est malade ; Lucy compte les jours, les heures… Elle veut, dit-elle, aller s’asseoir avec lui sur le banc du cimetière et lui montrer du haut de la falaise, le beau paysage de Whitby. À mon avis, c’est l’attente qui nuit à sa santé ; elle ira tout à fait bien dès que son fiancé sera ici.