Toute la nuit, son sommeil fut agité ; à plusieurs reprises, elle manifesta sa crainte de s’endormir puis, quand enfin elle s’était laissée aller au sommeil, c’était dans un état de plus grande faiblesse encore qu’elle s’éveillait. Van Helsing et moi la veillâmes tour à tour ; pas un instant nous ne la laissâmes seule. Quincey Morris ne nous mit point au courant de ses intentions mais, toute la nuit, il se promena autour de la maison. Au matin, Lucy, nous nous en rendîmes compte, n’avait littéralement plus aucune force. C’est à peine si elle pouvait encore tourner la tête, et le peu de nourriture qu’elle prenait ne lui profitait pas. Parfois, quand elle dormait quelques moments, Van Helsing et moi étions frappés par le changement qui s’opérait chez elle. Endormie, elle nous paraissait plus forte malgré son visage décharné et sa respiration était plus lente, plus régulière ; sa bouche ouverte laissait voir des gencives pâles fortement retirées des dents, lesquelles paraissaient ainsi beaucoup plus longues et plus pointues. Lorsqu’elle était éveillée, la douceur de ses yeux lui rendait évidemment l’expression que nous lui avions toujours connue, bien qu’elle eût les traits d’une mourante. Dans l’après-midi, elle a demandé à voir Arthur, à qui, immédiatement, nous avons télégraphié de venir. Quincey est allé le chercher à la gare.
Ils sont arrivés ici à six heures environ. Le soleil couchant était encore chaud et la lumière rouge qui baignait la chambre colorait les joues de la malade. Quand il la vit, Arthur sut mal cacher son émotion, et aucun de nous n’eut le courage de parler. Au cours des dernières heures, les moments pendant lesquels Lucy avait dormi étaient tout de même devenus de plus en plus fréquents, ou bien des états comateux les avaient remplacés, de sorte que nos conversations – ou plutôt nos ébauches de conversations – avec elle avaient toutes été fort brèves. La présence d’Arthur, toutefois, agit comme un stimulant. La jeune fille sembla recouvrer un peu de ses forces et elle parla à son fiancé avec plus d’animation que nous ne lui en avions vu depuis notre arrivée chez elle. Lui-même se ressaisit et lui répondit avec tout l’entrain dont il était capable.
Il est maintenant près d’une heure ; Van Helsing et Arthur sont auprès d’elle ; dans un quart d’heure, j’irai les remplacer, et en attendant, j’enregistre ceci sur le phonographe de Lucy. Tous deux alors se reposeront, essayeront de dormir jusqu’à six heures du matin. J’ai bien peur que demain aucun d’entre nous n’ait plus besoin de veiller. Cette fois, la pauvre enfant ne s’en remettra pas. Que Dieu nous vienne en aide !