Hier soir, je donnai l’ordre à un surveillant de rester dans le couloir et de ne pas s’éloigner de la porte de Renfield : s’il remarquait, s’il entendait quoi que ce fût d’insolite, il devait m’en avertir aussitôt.
Après le dîner, lorsque nous fûmes tous réunis autour du feu, dans mon bureau (Mrs Harker était montée se coucher), chacun de nous expliqua où il avait été ce jour-là, ce qu’il avait fait, ce qu’il avait découvert. En vérité, Harker seul était arrivé à un résultat, et nous sommes tous persuadés qu’il est important.
Avant d’aller me mettre au lit, je retournai auprès du surveillant, me demandant ce qui se passait de ce côté. Je regardai moi-même par le guichet pratiqué dans la porte : Renfield dormait profondément ; sa respiration paraissait régulière.
Mais, ce matin, le surveillant m’a raconté qu’un peu après minuit, il a commencé à s’agiter et n’a plus cessé dès lors de réciter ses prières à haute voix. Quand je lui ai demandé s’il n’avait rien d’autre à me signaler, il s’est contenté de me répondre que c’était tout ce qu’il avait entendu. Je le soupçonnai alors de s’être endormi, et je le lui dis sans ambages ; il nia d’avoir dormi, mais reconnut qu’il s’était « assoupi » un moment. Pour se fier entièrement à ce que vous dit un homme, il faudrait le surveiller sans cesse.
Aujourd’hui, Harker est parti, désireux de suivre la piste qu’il a découverte hier, tandis qu’Art et Quincey sont allés chercher des chevaux. Godalming juge qu’il serait souhaitable d’avoir des chevaux à notre disposition, car lorsque nous recevrons le renseignement que nous attendons, il n’y aura pas un instant à perdre. Nous devrons, entre le lever et le coucher du soleil, rendre inefficace la terre que contiennent les caisses ; de cette façon, nous pourrons capturer le comte dans les moments où il est presque sans pouvoir et sans refuge aucun. Van Helsing, lui, est allé au British Muséum afin de consulter des ouvrages de médecine ancienne. Les médecins des siècles passés tenaient compte de certaines choses que nous n’admettons plus aujourd’hui ; aussi le professeur veut-il rechercher des remèdes contre les sorcières et les démons qui, peut-être, nous seront utiles plus tard.
Il m’arrive de penser que nous sommes tous fous, et que lorsque nous reviendrons à la raison, on nous aura mis la camisole de force.
Plus tard
Nous nous sommes à nouveau réunis. Il semble décidément que cette piste soit la bonne, et peut-être ce que nous accomplirons demain sera-t-il le commencement de la fin. Je me demande si l’apaisement que nous observons maintenant chez Renfield n’est pas en rapport avec cette situation. Ses comportements contradictoires ont été liés à tel point aux agissements du comte qu’il peut avoir l’intuition de l’anéantissement prochain de ce monstre. Si seulement nous pouvions connaître ce qui s’est passé dans son esprit entre le moment de ma discussion avec lui et celui où il s’est remis à attraper des mouches, cela nous mettrait peut-être sur la voie. Pour l’instant, il est donc très calme. Apparemment… Ces cris, ne viennent-ils pas de sa chambre ?
Le surveillant s’est précipité dans mon bureau pour me dire que Renfield a sans doute été victime d’un accident. Il l’a entendu crier, et quand il est entré dans sa chambre, il l’a trouvé étendu à terre, le visage contre le plancher, et tout couvert de sang. J’y vais immédiatement.