22 août

Le cas de Renfield devient de plus en plus intéressant. Il a maintenant de longues périodes de calme, mais pendant quelques jours, après sa dernière crise, il n’a pas cessé d’être violent. Puis un soir, comme la lune se levait, il s’apaisa et murmura plusieurs fois à lui-même :

– Maintenant, je peux attendre… Je peux attendre…

Le surveillant est venu me prévenir, et je suis descendu immédiatement me rendre compte de ce qui se passait réellement. Renfield, toujours enfermé dans le cabanon et portant la camisole de force, n’avait plus son air de fureur, et ses yeux avaient retrouvé un peu de leur douceur suppliante, j’allais presque dire obséquieuse. J’ordonnai qu’on le libérât. Le personnel hésita mais, finalement, m’obéit. Chose étrange, le malade comprit parfaitement cette méfiance des surveillants car, s’approchant de moi, il me murmura à l’oreille, cependant qu’il les regardait à la dérobée :

– Ils pensent sans doute que je veux vous blesser ! Moi, vous blesser ! Les idiots !

Il y avait somme toute quelque chose de rassurant à constater c’est que, même dans l’esprit de ce malheureux, j’étais différent de mes subalternes ; toutefois, je suivais mal sa pensée. Devais-je comprendre que j’ai quelque chose de commun avec lui de sorte que, pourrait-on dire, nous soyons, lui et moi, du même bord ? Ou bien attend-il de moi tel bienfait qu’il me juge un allié indispensable ? Je vais essayer d’y voir plus clair. Ce soir, en tout cas, il refuse de parler. Il ne se laisse même pas tenter quand on lui offre un chaton ou même un chat adulte. Il se contente de répondre :

– Les chats ne m’intéressent plus. En ce moment, vraiment, d’autres choses me préoccupent, et je peux attendre… Je peux attendre…

Le surveillant me dit que, une fois que je fus sortis de la chambre, il est resté calme jusqu’à l’aube, puis qu’il s’est mis peu à peu à s’agiter, et cette crise est devenue si violente qu’il a fini par s’évanouir et est resté dans une sorte de coma…

Voilà trois nuits que la même chose s’est reproduite… Des crises violentes pendant la journée, puis de longues heures de calme pendant la nuit. Il me faut trouver la raison de ces répits qui suivent régulièrement les crises. Peut-être notre homme est-il sujet à quelque influence. Si c’était vrai ! Ce soir, nous jouerons esprits sains contre esprits malades. L’autre jour, Renfield s’est échappé malgré notre surveillance ; ce soir, nous l’aiderons à s’échapper. Nous lui donnerons sa chance et les gardiens seront prêts à le suivre, éventuellement…

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