Nous approchons à présent de Galatz, et, plus tard, je manquerai peut-être de temps pour écrire. Nous avons tous guetté ce matin l’arrivée de l’aube. Sachant qu’il lui est chaque jour plus difficile d’obtenir l’hypnose, Van Helsing commença ses passes plus tôt que d’habitude, sans résultat toutefois jusqu’au moment normal où elle céda avec une peine croissante, une minute avant l’apparition du soleil. Sans perdre de temps, le professeur lui posa des questions auxquelles elle répondit avec une égale promptitude.
— Tout est noir. J’entends le remous de l’eau au niveau de mon oreille et du bois qui craque sur du bois. Plus bas, du bétail, loin. Il y a aussi un autre bruit, bizarre. On dirait…
Elle s’interrompit, très pâle, et pâlissant de plus en plus.
— La suite, la suite ! Parlez, je vous l’ordonne ! s’écria Van Helsing d’une voix déchirante, et son regard était désespéré car le soleil levant teintait de rouge jusqu’au pâle visage de Mrs Harker.
Elle ouvrit les yeux, et nous tressaillîmes quand elle dit, doucement et d’un air extrêmement inquiet :
— Professeur, pourquoi demander de moi ce que vous savez m’être impossible ? Je ne me rappelle rien !
Puis, voyant l’étonnement sur nos visages, elle reprit :
— Qu’ai-je dit ? Qu’ai-je fait ? Je ne sais rien, sinon que j’étais couchée là, à demi endormie, et que je vous entendais dire : « La suite ! Parlez, je vous l’ordonne ! » C’était si étrange de vous entendre me commander comme si j’étais un enfant coupable !
— Mais, madame Mina, répondit-il tristement, c’est une preuve, si tant est qu’il en faille une, de l’amitié et du respect que j’ai pour vous. En effet, un mot dit pour votre bien, prononcé plus sérieusement que jamais, paraîtra nécessairement étrange, du seul fait qu’il exprime un ordre adressé à celle à qui je suis fier d’obéir.
Coups de sifflets. Nous approchons de Galatz. Nous sommes sur des braises à force d’anxiété et d’impatience.