NOTE 23.

Voici quelques détails précieux sur les journées de septembre, qui font connaître sous leur véritable aspect ces scènes affreuses. C’est aux Jacobins que furent faites les révélations les plus importantes, par suite des disputes qui s’étaient élevées dans la convention.

(Séance du lundi 29 octobre 1792.)

Chabot : « Ce matin, Louvet a annoncé un fait qu’il est essentiel de relever. Il nous a dit que ce n’étaient pas les hommes du 10 août qui avaient fait la journée du 2 septembre, et moi, comme témoin oculaire, je vous dirai que ce sont les mêmes hommes. Il nous a dit qu’il n’y avait pas deux cents personnes agissantes, et moi, je vous dirai que j’ai passé sous une voûte d’acier de dix mille sabres, j’en appelle à Bazire, Colon et autres députés qui étaient avec moi : depuis la cour des Moines jusqu’à la prison de l’Abbaye, on était obligé de se serrer pour nous faire passage. J’ai reconnu pour mon compte cent cinquante fédérés. Il est possible que Louvet et ses adhérens n’aient pas été à ces exécutions populaires. Cependant, lorsqu’on a prononcé avec sang-froid un discours tel que celui de Louvet, on n’a pas beaucoup d’humanité ; je sais bien que, depuis son discours, je ne voudrais pas coucher à côté de lui, dans la crainte d’être assassiné. Je somme Pétion de déclarer s’il est vrai qu’il n’y avait pas plus de deux cents hommes à cette exécution ; mais il est juste que les intrigans se raccrochent à cette journée, sur laquelle toute la France n’est pas éclairée… Ils veulent détruire en détail les patriotes ; ils vont décréter d’accusation Robespierre, Marat, Danton, Santerre. Bientôt ils accoleront Bazire, Merlin, Chabot, Montaut, même Grangeneuve, s’il n’était pas raccroché à eux ; ils proposeront ensuite le décret contre tout le faubourg Saint-Antoine, contre les quarante-huit sections, et nous serons huit cent mille hommes décrétés d’accusation ; il faut cependant qu’ils se défient un peu de leurs forces, puisqu’ils demandent l’ostracisme. »

(Séance du lundi 5 novembre.)

« Fabre-d’Eglantine fait des observations sur la journée du 2 septembre ; il assure que ce sont les hommes du 10 août qui ont enfoncé les prisons de l’Abbaye, celles d’Orléans et celles de Versailles. Il dit que, dans ces momens de crise, il a vu les mêmes hommes venir chez Danton, et exprimer leur contentement en se frottant les mains ; que l’un d’entre eux même désirait bien que Morande fût immolé : il ajoute qu’il a vu, dans le jardin du ministre des affaires étrangères, le ministre Roland, pâle, abattu, la tête appuyée contre un arbre, et demandant la translation de la convention à Tours ou à Blois. L’opinant ajoute que Danton seul montra la plus grande énergie de caractère dans cette journée ; que Danton ne désespéra pas du salut de la patrie ; qu’en frappant la terre du pied il en fit sortir des milliers de défenseurs ; et qu’il eut assez de modération pour ne pas abuser de l’espèce de dictature dont l’assemblée nationale l’avait revêtu, en décrétant que ceux qui contrarieraient les opérations ministérielles seraient punis de mort. Fabre déclare ensuite qu’il a reçu une lettre de madame Roland, dans laquelle l’épouse du ministre de l’intérieur le prie de donner les mains à une tactique imaginée pour emporter quelques décrets de la convention. L’opinant demande que la société arrête la rédaction d’une adresse qui contiendrait tous les détails historiques des événemens depuis l’époque de l’absolution de Lafayette jusqu’à ce jour. »

Chabot : « Voici des faits qu’il importe de connaître. Le 10 août, le peuple en insurrection voulait immoler les Suisses ; à cette époque, les brissotins ne se croyaient pas les hommes du 10, car ils venaient nous conjurer d’avoir pitié d’eux : c’étaient les expressions de Lasource. Je fus un dieu dans cette journée ; je sauvai cent cinquante Suisses ; j’arrêtai moi seul à la porte des Feuillans le peuple qui voulait pénétrer dans la salle pour sacrifier à sa vengeance ces malheureux Suisses ; les brissotins craignaient alors que le massacre ne s’étendît jusqu’à eux. D’après ce que j’avais fait à la journée du 10 août, je m’attendais que le 2 septembre on me députerait près du peuple : eh bien ! la commission extraordinaire, présidée alors par le suprême Brissot, ne me choisit pas ! qui choisit-on ? Dusaulx, auquel, à la vérité, on adjoignit Bazire. On n’ignorait pas cependant quels hommes étaient propres à influencer le peuple et arrêter l’effusion du sang. Je me trouvai sur le passage de la députation ; Bazire m’engagea à me joindre à lui, il m’emmena… Dusaulx avait-il des instructions particulières ? je l’ignore ; mais, ce que je sais, c’est que Dusaulx ne voulut céder la parole à personne. Au milieu d’un rassemblement de dix mille hommes, parmi lesquels étaient cent cinquante Marseillais ; Dusaulx monta sur une chaise ; il fut très maladroit : il avait à parler à des hommes armés de poignards. Comme il obtenait enfin du silence, je lui adressai promptement ces paroles : « Si vous êtes adroit, vous arrêterez l’effusion du sang ; dites aux Parisiens qu’il est de leur intérêt que les massacres cessent, afin que les départemens ne conçoivent pas des alarmes relativement à la sûreté de la convention nationale, qui va s’assembler à Paris… » Dusaulx m’entendit : soit mauvaise foi, soit orgueil de la vieillesse, il ne fit pas ce que je lui avais dit ; et c’est ce M. Dusaulx que l’on proclame comme le seul homme digne de la députation de Paris… ! Un second fait non moins essentiel, c’est que le massacre des prisonniers d’Orléans n’a pas été fait par les Parisiens. Ce massacre devait paraître bien plus odieux, puisqu’il était plus éloigné du 10 août, et qu’il a été commis par un moindre nombre d’hommes. Cependant les intrigans n’en ont pas parlé ; ils n’en ont pas dit un mot, c’est qu’il y a péri un ennemi de Brissot, le ministre des affaires étrangères, qui avait chassé son protégé Narbonne… Si moi seul, à la porte des Feuillans, j’ai arrêté le peuple qui voulait immoler les Suisses, à plus forte raison l’assemblée législative eût pu empêcher l’effusion du sang. Si donc il y a un crime, c’est à l’assemblée législative qu’il faut l’imputer, ou plutôt à Brissot qui la menait alors.

FIN DES NOTES DU TOME DEUXIÈME.

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