Manière de fixer la compétence des tribunaux fédéraux

Difficulté de fixer la compétence des divers tribunaux dans les confédérations. — Les tribunaux de l’Union obtinrent le droit de fixer leur propre compétence. — Pourquoi cette règle attaque la portion de souveraineté que les États particuliers s’étaient réservée. — La souveraineté de ces États restreinte par les lois et par l’interprétation des lois. — Les États particuliers courent ainsi un danger plus apparent que réel.

Une première question se présentait : la constitution des États-Unis, mettant en regard deux souverainetés distinctes, représentées, quant à la justice, par deux ordres de tribunaux différents, quelque soin qu’on prît d’établir la juridiction de chacun de ces deux ordres de tribunaux, on ne pouvait empêcher qu’il n’y eût de fréquentes collisions entre eux. Or, dans ce cas, à qui devait appartenir le droit d’établir la compétence ?

Chez les peuples qui ne forment qu’une seule et même société politique, lorsqu’une question de compétence s’élève entre deux tribunaux, elle est portée en général devant un troisième qui sert d’arbitre.

Ceci se fait sans peine, parce que, chez ces peuples, les questions de compétence judiciaire n’ont aucun rapport avec les questions de souveraineté nationale.

Mais, au-dessus de la cour supérieure d’un État particulier et de la cour supérieure des États-Unis, il était impossible d’établir un tribunal quelconque qui ne fût ni l’un ni l’autre.

Il fallait donc nécessairement donner à l’une des deux cours le droit de juger dans sa propre cause, et de prendre ou de retenir la connaissance de l’affaire qu’on lui contestait. On ne pouvait accorder ce privilége aux diverses cours des États ; c’eût été détruire la souveraineté de l’Union en fait après l’avoir établie en droit ; car l’interprétation de la constitution eût bientôt rendu aux États particuliers la portion d’indépendance que les termes de la constitution leur ôtaient.

En créant un tribunal fédéral, on avait voulu enlever aux cours des États le droit de trancher, chacun à sa manière, des questions d’intérêt national, et parvenir ainsi à former un corps de jurisprudence uniforme pour l’interprétation des lois de l’Union. Le but n’aurait point été atteint si les cours des États particuliers, tout en s’abstenant de juger les procès comme fédéraux, avaient pu les juger en prétendant qu’ils n’étaient pas fédéraux.

La cour suprême des États-Unis fut donc revêtue du droit de décider de toutes les questions de compétence.

Ce fut là le coup le plus dangereux porté à la souveraineté des États. Elle se trouva ainsi restreinte, non seulement par les lois, mais encore par l’interprétation des lois ; par une borne connue et par une autre qui ne l’était point ; par une règle fixe et par une règle arbitraire. La constitution avait posé, il est vrai, des limites précises à la souveraineté fédérale ; mais chaque fois que cette souveraineté est en concurrence avec celle des États, un tribunal fédéral doit prononcer.

Du reste, les dangers dont cette manière de procéder semblait menacer la souveraineté des États, n’étaient pas aussi grands en réalité qu’ils paraissaient l’être.

Nous verrons plus loin qu’en Amérique la force réelle réside dans les gouvernements provinciaux, plus que dans le gouvernement fédéral. Les juges fédéraux sentent la faiblesse relative du pouvoir au nom duquel ils agissent, et ils sont plus près d’abandonner un droit de juridiction dans des cas où la loi le leur donne, que portés à le réclamer illégalement.

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