VI Elle aurait pu être heureuse, elle aussi

En arrivant chez elle, la comtesse, selon son habitude, s’informa du comte. Il n’était pas encore rentré. Pour la première fois, son absence lui fut agréable. Elle désirait s’éloigner de la réalité, ne fût-ce que pour quelques heures Elle la trouvait ce soir particulièrement pesante, et aurait voulu rester seule avec ses rêves, car ses rêves étaient délicieux.

Serge ressemblait si peu à tous les hommes, dont elle avait été jusqu’à présent entourée, qu’il était normal qu’il attirât son attention De ses gestes, de sa voix, de son regard, émanaient la loyauté, la franchise, l’enthousiasme, propres à la jeunesse. La comtesse, jamais encore sortie de ce milieu artificiel qu’on appelle « le monde », était séduite et charmée par ce type de garçon pur, un être intact que n’ont encore marqué ni les passions ni les vices, un être tout proche des sources premières de la nature.

Dans son déshabillé blanc et coiffée d’un petit bonnet, elle était plus ravissante encore que dans sa robe de bal. S’étant jetée sur son grand lit, étendue et accoudée sur les coussins, elle fixait la pâle lueur de la lampe. Son visage s’éclaira d’un sourire mélancolique.

– Peut-on entrer, Lise ? demanda la voix du comte, derrière la porte.

– Entrez, répondit-elle, sans changer de pose.

– T’es-tu bien amusée, mon amie ? s’enquit le comte en l’embrassant.

– Oui.

– Pourquoi es-tu triste, Lise ? Serais-tu fâchée contre moi ?

La comtesse restait muette. Ses lèvres se mirent à trembler comme celles d’un enfant sur le point de pleurer.

– Tu es fâchée parce que je joue ? Rassure-toi, chérie, j’ai tout regagné ce soir et je ne jouerai plus… Mais qu’as-tu ? répéta-t-il, en lui baisant tendrement les mains.

La comtesse ne répondait toujours pas et des larmes coulaient de ses yeux. Le comte avait beau lui prodiguer les plus douces caresses en l’interrogeant, elle ne lui confia pas la cause de ses larmes qui, au contraire, allaient, redoublant.

Laisse-la, homme sans cœur et sans délicatesse ! Elle pleure justement parce que tu la caresses et que tu en as le droit ; parce que tous les rêves qui l’habitaient tout à l’heure se sont envolés en fumée sous le souffle de la réalité qui lui était indifférente jusqu’à ce soir, mais qui lui est devenue odieuse depuis l’instant où elle a entrevu la possibilité d’un amour véritable et du vrai bonheur.

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