VII

Cela se passait à la fin de mars, quelques jours avant l'Annonciation, peu après notre première rencontre. Sans soupçonner encore ce que tu allais être pour moi, je te portais déjà dans mon cœur, en secret… Il se trouva que je dus traverser l'un des plus grands fleuves de Russie. La glace ne remuait pas encore, mais était comme gonflée et noircie ; il dégelait depuis trois jours. La neige fondait partout, uniformément et sans bruit ; l'eau suintait de toutes parts ; un vent silencieux errait dans le ciel moite. La même lumière laiteuse éclairait la terre et le ciel ; point de brouillard et point de clarté : pas un contour ne se détachait sur la blancheur égale du fond ; tous les objets semblaient proches, mais confus. J'avais laissé ma voiture loin en arrière et marchais à pas rapides sur la glace, sans rien entendre, hors le bruit sourd de mes pas ; j'avançais, pénétré par les premières caresses, les effluves précoces du printemps… Un tourment joyeux et inexplicable soulevait tout mon être, se développait, grandissait à chaque pas, à chaque mouvement… Il m'entraînait, me pressait, et son élan était si puissant qu'en fin de compte je m'arrêtai, surpris, et jetai un regard curieux autour de moi, comme pour chercher un mobile extérieur à mon exaltation… Tout était silence, blancheur, engourdissement… Levant les yeux au ciel, j'aperçus une troupe d'oiseaux de passage… « Printemps ! Salut à toi ! m'écriai-je tout haut… Salut, vie, amour, bonheur ! » Et, au même instant, ton image s'illumina avec la violence et la grâce d'un cactus qui s'épanouit… Ton image surgit et resta là, belle et d'une netteté captivante… Alors, j'ai compris que je t'aimais… Rien que toi… Plein de toi…

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