IV

Plusieurs années auparavant, la foudre avait frappé ce chêne, fracassant la cime qui se dessécha rapidement ; mais le tronc était resté vigoureux, vert et fort ; l'arbre pouvait vivre encore quelques siècles. Comme je m'approchais de lui, un léger nuage couvrit la lune… Il faisait noir sous la frondaison.

Au début, je ne remarquai rien de particulier… Mais, en jetant un coup d'œil de côté, mon cœur se serra violemment : la forme blanche était là, immobile auprès du buisson, à moitié chemin entre le chêne et la forêt. Mes cheveux se hérissèrent légèrement, mais je pris mon courage à deux mains et me dirigeai en avant.

C'était bien ma visiteuse nocturne. Quand je fus tout contre elle, la lune brilla de nouveau. Il semblait que la vision eût été tissée d'une brume laiteuse et diaphane. À travers son visage, je distinguais une branche que le vent agitait faiblement. Seuls, ses yeux et sa chevelure formaient des taches noires, et une grosse bague d'or brillait à un doigt de ses deux mains jointes.

Je m'arrêtai et voulus parler, mais les sons s'étranglèrent dans ma gorge, bien que je n'éprouvasse plus de frayeur, à dire vrai. Ses yeux me fixaient ; ils n'exprimaient ni joie ni tristesse, mais une sorte d'attention inerte. J'attendais qu'elle ouvrît la bouche, mais elle me dévisageait toujours de son regard sans vie. J'eus peur de nouveau.

« Me voici ! » m'écriai-je enfin avec effort.

Le son de ma propre voix me parut singulièrement assourdi.

« Je t'aime, souffla la femme.

— Tu m'aimes ? répétai-je au comble de l'étonnement.

— Sois à moi, reprît-elle à voix basse.

— Être à toi ?… Mais tu es un fantôme… Tu n'as même pas de corps… »

Un sentiment bizarre s'empara de moi.

« Qu’es-tu donc ? repris-je… Une fumée ? De l'air ?… Une vapeur ?… Que je sois à toi ?… Dis-moi d'abord qui tu es. As-tu vécu sur la terre ? D'où viens-tu ?

— Sois à moi. Je ne te ferai point de mal. Dis-moi seulement deux mots : « Prends-moi »…

Je la regardai… « Que dit-elle ? » me demandai-je… « Que signifie tout cela ? Comment fera-t-elle pour me prendre ? Dois-je essayer ? »

« Soit, proférai-je à voix haute, si fort que j'en fus moi-même intrigué (l'on eût dit qu'une main mystérieuse m'avait poussé par-derrière)… Prends-moi ! »

À peine avais-je prononcé ces mots que la femme spectrale, tout son corps secoué par un rire intérieur, fit un mouvement brusque dans ma direction et ouvrit les bras… Je voulus m'écarter… Trop tard : j'étais déjà à elle. Ses bras m'enlacèrent, mon corps se détacha du sol et nous nous envolâmes doucement, lentement, au-dessus de l'herbe humide…

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