« Où veux-tu aller ? me demanda-t-elle.
— Tout droit, toujours tout droit !
— Mais il y a un bois !
— Survole-le !… Seulement, ralentis ta course. »
Nous nous élançâmes vers le ciel comme l'étourneau qui vient de heurter la branche d'un bouleau. Ce n'était plus de l'herbe, mais d'épaisses frondaisons qui défilaient sous nos corps. Curieux spectacle que celui d'une forêt vue d'en haut : cela ressemblait à l'échine d'une bête gigantesque, hérissée de piquants, endormie au clair de lune. L'on entendait une sorte de bruissement sourd et continu. De temps en temps, nous survolions une clairière, recouverte, d'un côté dune ombre fine et crénelée… Parfois, le cri d'un lièvre nous parvenait d'en bas ; une chouette lui répondait, sur les hauteurs ; l'air avait une odeur de champignons, de bourgeons et d'herbe verte ; la lune répandait sa lumière froide et sépulcrale ; les étoiles scintillaient au-dessus de nos têtes…
Nous avions dépassé la forêt ; un ruban de brume coupait la plaine : c'était une rivière. Nous longeâmes sa rive, plantée de buissons immobiles et lourds d'humidité. Tantôt, les vagues du fleuve luisaient d'un éclat bleuté, tantôt elles roulaient, sombres et presque maussades. Par endroits, la surface de l'eau semblait voilée d'une mince pellicule de brouillard : c'étaient les corolles des nénuphars qui épanouissaient luxurieusement leurs pétales virginaux ; ils se savaient hors de notre atteinte. J'eus subitement envie d'en cueillir un et me trouvai aussitôt tout près du flot calme…
L'humidité me frappa brutalement au visage, comme je cassais une tige rebelle. Nous voletâmes d'une rive à l'autre, pareils aux bécasses qui se réveillaient à notre passage, et que nous poursuivions.
Parfois, nous croisions une famille de canards sauvages, rangés en demi-cercle, au milieu d'une éclaircie entre les joncs. Ils ne bougeaient pas ; c'est à peine si l'un d'eux sortait sa tête de dessous son aile, regardait alentour et cachait de nouveau son bec, d'un air affairé ; un autre cancanait doucement, et un frisson léger agitait son plumage. Nous effrayâmes un héron ; il se leva d'un cytise, en titubant maladroitement sur ses pattes et agitant gauchement les ailes. Il ressemblait singulièrement à un Prussien.
Les poissons ne faisaient pas entendre le moindre clapotis : ils dormaient aussi, au fond de l'eau.
Je commençais à m'habituer à la sensation du vol et la trouvais même presque agréable. Quiconque a volé en rêve me comprendra. Alors, je tournai mes regards vers l'être mystérieux à qui je devais de si invraisemblables aventures.