XVIII

La nuit était froide, morne et grise ; il régnait une odeur de pluie. À ma vive surprise, il n'y avait personne sous le chêne… Je me mis à tourner autour de l'arbre, allai jusqu'au bord de la forêt, retournai au chêne, scrutai l'obscurité… Tout était désert. J'attendis quelques minutes, puis répétai le nom d'Ellys, toujours plus fort… Elle n'apparaissait toujours pas… Une tristesse indicible et presque douloureuse s'empara de moi ; mes appréhensions s'étaient évanouies ; je ne pouvais pas accepter l'idée que ma compagne ne vînt pas.

« Ellys ! Ellys !… Viens ! Est-il possible que tu ne reviennes plus ? » m'écriai-je pour la dernière fois.

Un corbeau, réveillé par mes cris, s'agita dans les branches hautes de l'arbre voisin et se mit à battre des ailes, empêtré dans le feuillage… Et toujours point d'Ellys…

Je rentrai, tête basse. Devant moi, j'apercevais déjà les taches noires des cytises sur le barrage de l'étang. La fenêtre éclairée de ma chambre m'apparut entre les pommiers du jardin, puis se cacha, comme un œil qui m'aurait guetté.

Tout à coup, j'entendis un sifflement assourdi, comme si l'air était fendu rapidement… Quelque chose m'enlaça par-derrière… me souleva… C'est ainsi que le vautour saisit la perdrix dans ses serres… Ellys ! Je sentis sa joue appuyée sur la mienne, l'étreinte de son bras autour de mon corps et, tel un petit frisson aigu, son murmure me perça l'oreille…

« Me voici ! »

J'étais tout à la fois heureux et effrayé… Nous volâmes, bas au-dessus du sol.

« Tu ne voulais pas venir aujourd'hui ? lui demandai-je.

— Et toi, tu t'es ennuyé sans moi ? Tu m'aimes donc ? Oh ! tu es à moi ! »

Ses paroles me remplirent de confusion et je ne sus quoi lui dire.

« On m'a retenue, poursuivit-elle, on m'a épiée…

— Qui pouvait te retenir ?

— Où veux-tu que nous allions ? me demanda-t-elle, à son tour, éludant la réponse, selon sa coutume.

— Conduis-moi en Italie, près de ce lac… T'en souviens-tu ? »

Elle s'écarta légèrement et secoua la tête négativement. Pour la première fois, je m'aperçus alors qu'elle n'était plus transparente. Son visage avait pris des couleurs et une teinte rosée s'était répandue sur sa pâleur de brume. Je la regardai dans les yeux… et eus peur : quelque chose bougeait au fond de son regard, d'un mouvement lent, mais incessant et sinistre, comme celui du serpent, frileusement roulé sur lui-même, que le soleil commence à réchauffer.

« Ellys ! m'écriai-je, qui es-tu ?… Dis-le-moi, enfin ! »

Elle se contenta de hausser les épaules.

J'éprouvai un vif sentiment de dépit…, résolus de me venger, et subitement je songeai à lui demander de me conduire à Paris.

« Là-bas, au moins, tu auras lieu d'être jalouse », pensai-je.

Et je dis à haute voix :

« Ellys, est-ce que tu n'as pas peur des grandes villes ? De Paris, par exemple ?

— Non.

— Non ? Pas même de ces endroits où il fait aussi clair que sur les grands boulevards ?

— Non, car ce n'est pas la lumière du jour.

— Parfait ! Eh bien, conduis-moi donc sur le boulevard des Italiens… »

Elle me couvrit la tête du bout de sa longue manche. Aussitôt je sombrai dans une sorte de brume blanche saturée de pavot. Tout disparut : toute lumière, tout bruit, toute conscience même… Seule, la sensation de vivre subsistait encore — et cela n'était point déplaisant. Brusquement, la brume se dissipa. Ellys avait relevé sa manche et je distinguai, sous moi, une masse dense de bâtiments, inondée de lumière, de bruit et de mouvement… Paris !

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