XXI

Un cri perçant, vibrant, aigu, déchira nos oreilles et se répercuta en avant de nous.

« Ce sont des cigognes attardées qui arrivent du Nord et se rendent chez vous, dit Ellys. Veux-tu les rejoindre ?

— Oui, oui !… Emporte-moi vers elles ! »

Nous prîmes notre élan et rattrapâmes les échassiers en un clin d'œil.

Grandes et belles (il y en avait treize), les cigognes volaient en triangle ; leurs ailes faisaient des mouvements brusques et rares. La tête et les pattes tendues, le poitrail bombé, elles volaient à une vitesse prodigieuse ; l'air sifflait tout alentour… Quel spectacle magnifique que celui de cette vie intense et énergique, de cette volonté implacable, qui s'exerçait si haut, si loin de tout être vivant !… Sans jamais interrompre leur vol, elles interpellaient celles de leurs compagnes qui volaient en avant, avec le chef, et dans leurs cris puissants, dans ce colloque sous les nuages, l'on sentait une fierté, une gravité, une foi inébranlable dans leurs propres forces… Elles semblaient s'encourager mutuellement et se dire : « Nous parviendrons au but, si difficile que cela soit ! » Et je songeai qu'il est peu d'hommes en Russie — que dis-je ? dans tout l'univers — qui soient aussi audacieux que ces oiseaux-là !

« Nous allons en Russie, me dit Ellys (ce n'était pas la première fois que je m'apercevais qu'elle savait deviner mes pensées)… Veux-tu rentrer chez toi ?

— Oui… ou plutôt non… Je suis allé à Paris ; conduis-moi à Saint-Pétersbourg.

— Tout de suite ?

— Oui, tout de suite… Mais couvre-moi la tête de ton voile, car je commence à me sentir mal… »

Elle leva le bras… Mais avant que la brume ne m'enveloppât, j'eus le temps de sentir sur mes lèvres le contact d'un dard mou et obtus…

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