XIV

JE marchais, la tête basse, vide d'idées et de sensations, replié sur moi-même.

Un bruit sourd, égal et irrité me tira de ma rêverie. Je levai la tête et découvris la mer qui grondait à une cinquantaine de pas devant moi. Mes pieds foulaient le sable des dunes. Agitées par les derniers soubresauts de la tempête nocturne, les vagues moutonnaient jusqu'à l'horizon et venaient mourir lentement sur le littoral plat. Je m'avançai légèrement et longeai la lisière que la marée avait tracée sur le sable jaune, semé de débris d'algues, de coquillages et de carex, dont les bizarres serpentins dessinaient des arabesques fantasques. Des mouettes aux ailes pointues surgissaient de l'abîme des flots, voletaient, comme de gros flocons de neige, dans le ciel gris et nuageux, retombaient brusquement, semblaient sauter de crête en crête et se perdaient de nouveau, pareilles à des étincelles d'argent, au milieu des bandes d'écume blanche. Je m'aperçus bientôt qu'il y en avait qui tournoyaient obstinément autour d'une grosse pierre, jetée là comme pour meubler la monotonie de la grève. Des carex grossiers poussaient en touffes irrégulières d'un côté du rocher, et un peu plus loin, là où les tiges échevelées arrêtaient le sable des dunes, une masse sombre, oblongue, arrondie, d'assez faibles dimensions, se profilait en noir sur le fond clair… Je regardai plus attentivement… Pas de doute, il y avait une forme immobile, étendue tout près du roc… Ses contours devenaient plus nets à mesure que je m'en approchais…

Je n'en étais plus qu'à une trentaine de pas à peine…

Un corps humain ; probablement celui d'un noyé, échoué sur la grève.

Je franchis rapidement la distance qui m'en séparait encore.

Le baron !… Mon père !… Je m'arrêtai, pétrifié, comprenant subitement que depuis le réveil j'avais été guidé par une force mystérieuse… Et, pendant quelques instants, il n'y eut rien, dans mon âme, que le murmure régulier de la mer et une terreur muette devant le destin qui avait pris possession de moi…

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