26 Journaliste

« Vingtras, pourquoi ne te fais-tu pas journaliste ? »

J’ai essayé.

Je suis parvenu à avoir ce que j’ai rêvé si longtemps, une place de teneur de copie.

On me trouve bien vieux, bien fort, pour ce métier de moutard.

On n’a besoin que d’un gamin pour prendre l’article et le lire au correcteur pendant que celui-ci, suivant sur l’épreuve, voit s’il n’a rien laissé passer et si l’imprimé correspond phrase par phrase, mot par mot au manuscrit.

Je suis forcé de cacher mon âge et on me regarde comme un phénomène.

« Il n’a donc pas d’autre état ? Il est donc bien pauvre ? »

Oui, je suis bien pauvre ; non, je n’ai pas d’autre état. J’ai obtenu la place par un ancien maître d’études de Nantes qui est l’ami d’enfance du rédacteur en chef. Il est un peu fier de me prouver son influence, et heureux aussi (c’est un brave homme) de m’aider à gagner quelques sous.

J’ai trente francs par mois, c’est mon chiffre ! Dans le journalisme ou l’enseignement, je vaux trente francs, pas un sou de plus.

Ma mère avait raison de dire que j’étais un maladroit. Je fais mal mon métier.

Je confonds les articles, je mêle les feuillets.

Je lis trop vite – quelquefois trop lentement. Le correcteur est un homme laid, chagrin, un vieux fruit sec, qui me traite comme un mauvais apprenti.

J’ai une grosse voix, malheureusement, et il m’échappe des éclats qui sonnent, comme de la tôle battue, tout d’un coup dans le silence de l’imprimerie.

On se retourne, on rit, on crie : « Pas si fort, le teneur de copie ! »

Puis j’ai des distractions qui me font oublier de lire des membres de phrases tout entiers ; et c’est à recommencer ; à la grande colère du correcteur, à la grande fureur souvent de l’écrivain à qui je fais dire des bêtises, et qui vient le soir se fâcher tout haut : « Si c’est un crétin, qu’on le jette dehors ! »

Les rédacteurs vont, viennent, je veux voir leur visage, savoir leur nom. Un grand, roux, avec un signe sur la joue, qui a de si longues jambes, et qui tutoie tout le monde, c’est Nadar. Et celui-ci, encore un roux, mais rond, boulot, le teint d’un Normand, favoris de sable et d’anjou joints en pelure d’oignon, A. Guéroult, et d’autres !

Je ne fais pas l’affaire décidément.

On me met à la porte après treize jours et on prend un gamin de douze ans, qui n’a pas une voix de trombone et qui ne se donne pas de torticolis à dévisager les auteurs.

J’ai été tellement ridicule avec ma timidité, mes rougeurs, mes explosions de voix, ce torticolis, que je n’ose pas passer de deux mois dans la rue Coq-Héron. J’ai bien débuté dans les imprimeries !

AUX 100 000 PALETOTS

Il vient de me venir une chance ! J’ai un protecteur.

C’est le gérant des « 100 000 paletots » : la grande maison de confection de Nantes. Il habille un de mes anciens camarades de classe ; ce camarade m’écrit :

« Va voir M. Guyard des “100 000 paletots”, il est à Paris pour ses achats, tu le trouveras passage du Grand-Cerf, à la maison-mère. Il y a un paletot en fer-blanc et de grandes affiches devant la porte. Il peut t’être utile pour le journalisme. »

Je me rends passage du Grand-Cerf.

Voilà le paletot en fer-blanc et les grandes affiches.

Je rôde devant le magasin, n’osant entrer.

On m’entoure :

« Monsieur a besoin d’un vêtement… Il y en a pour toutes les bourses… La vue ne coûte rien… Prenez toujours des cartes de la maison. »

Je me décide à dire que je viens voir M. Guyard.

M. Guyard paraît.

« Que voulez-vous ?

– C’est mon ami, M. Leroy, qui…

– Ah bien ! Vous voulez écrire, il m’a dit ça !

« Dunan !… »

Il appelle un homme gros, en sabots, avec une casquette en passe-montagne.

« Dunan ! voici un jeune homme qui voudrait noircir du papier.

– Est-ce pour les affiches ?

– Je ne sais pas.

– Aimeriez-vous à rédiger des affiches ? Sauriez-vous faire des choses comme ça ? » Il me montre un placard. Non. Je ne saurais pas faire des choses comme ça. À quoi ça m’a-t-il donc servi de faire toutes mes classes ? Celui qu’on a appelé Dunan voit parfaitement mes gestes d’inquiétude.

« Ah ! ce serait pour chroniquer dans le Pierrot ? »

Le Pierrot est le journal appartenant aux « 100 000 paletots ».

On le vend à la porte des théâtres. Il donne à la fois le programme des spectacles et les prix de la maison : « Grand déballage de pantalons de lasting ! Grand succès de M. Mélingue ! Un vêtement complet pour 19 francs ! Demain, reprise de Gaspardo le pêcheur ! »

Il y a des comptes rendus des premières représentations et des articles de genre. Tous les articles de genre contiennent une phrase au moins sur les cent mille paletots. Les comptes rendus des premières contiennent des attaques sourdes contre les tailleurs sur mesure, qui, sous prétexte d’élégance, mettent sur le dos de quelques acteurs des modes qui déconcertent les yeux du public, et font, avec un sifflet d’habit biscornu ou un revers de redingote exagéré, perdre le fil de la pièce.

On m’a confié un article à faire !

J’ai eu du mal à défendre la confection au bas d’une colonne ! Je l’ai défendue tout de même, et j’ai réussi à annoncer en même temps un déballage. J’avais à analyser un drame de M. Anicet Bourgeois.

L’article doit paraître jeudi.

Jeudi, je suis levé à cinq heures du matin. Je vais m’asseoir sur une borne, d’où l’on peut voir le coin de la maison où le Pierrot s’imprime.

5 heures, – 6 heures, – 7 heures, – 8 heures !…

J’ai la fièvre. Comme la borne doit être chaude !

« Monsieur, dis-je à un homme qui a l’air d’être de l’imprimerie, savez-vous où l’on fait le Pierrot ? »

Il n’est pas de l’imprimerie et croit que je l’appelle Pierrot. Nous avons été sur le point de nous battre !

Le Pierrot a fini par paraître. Je l’achète au premier porteur qui sort et je cherche…

Programme… Déballage, Pantalons, biographie de M. Hyacinthe, Vêtements de première communion. Drame de M. Anicet Bourgeois.

Une colonne et demie, et au bas la signature que j’ai adoptée – celle de ma mère ! J’ai voulu placer mes premiers pas dans la carrière sous son patronage, et j’ai pris chastement son nom de demoiselle.

Mais on a mutilé ma pensée, il y a une phrase en moins !…

Cette phrase en moins était justement celle à laquelle je tenais le plus ! J’avais écrit l’article pour elle – c’était le coup de poing de la fin.

Je la sais par cœur ; je l’avais tant travaillée !

Je m’étais couché et j’avais mis mon front sous les draps en fermant les yeux pour mieux la voir.

Je donnais la moralité :

Ainsi finissent souvent ceux qui brûlent leurs vaisseaux devant le foyer paternel pour se lancer sur l’océan de la vie d’orages ! Que j’en ai vu trébucher, parce qu’ils avaient voulu sauter à pieds joints par-dessus leur cœur !

Ont-ils su au journal que je n’ai jamais vu personne sauter par-dessus son cœur ? Cette image de gens apportant leurs vaisseaux pour les brûler devant leur maison et s’embarquant ensuite, leur a-t-elle paru trop hardie ?

Sont-ils des classiques ?…

Je me perds en suppositions !…

Nous le saurons en allant me faire payer.

On m’a dit :

« Vous passerez à la caisse samedi. »

J’aurais donné l’article pour rien. – Presque tous les débutants sacrifient le premier fruit de leur inspiration.

La Revue des Deux Mondes ne paie jamais le premier article. Le Pierrot paie. Mais je suis peut-être le seul à qui cela arrive, depuis que le Pierrot existe. J’ai fait sensation sans doute !…

On a enlevé la phrase sur les vaisseaux et les pieds joints. Ce n’est pas une raison pour qu’on ne l’ait pas remarquée, et ils tiennent probablement à m’attacher à eux, ils font des sacrifices d’argent pour cela.

Je ne puis refuser cet argent ! D’ailleurs, il me servira à payer un raccommodage que m’a fait un petit tailleur.

Je ne veux pourtant pas avoir l’air trop pressé et paraître entrer dans les lettres pour faire fortune.

Je flâne un peu le samedi – au jour fixé – avant d’aller toucher le paiement de ma copie.

Il ne faut pas non plus les faire trop attendre !

J’entre dans le bureau.

Le bureau est un petit trou noir à côté de l’endroit où l’on met les rossignols.

Je demande le rédacteur en chef, l’homme aux sabots et au passe-montagne.

« M. Dunan-Mousseux ?

– Il n’y est pas, me dit un homme, mais il m’a prié de vous remettre le prix de votre article. »

Il me tend un paquet ficelé.

En billets de banque ? – Mais c’est trop ! c’est vraiment trop, un gros paquet comme ça pour un article de deux colonnes. – Enfin !

« Mais, j’oubliais, M. Dunan-Mousseux a laissé une lettre pour vous ! »

Voyons la lettre :

« Cher monsieur,

« Le secrétaire de la rédaction vous remettra le montant de votre article. Ci-joint un pet-en-l’air. J’aurais voulu faire mieux ; nos moyens ne nous le permettent pas. Il a même été question de ne vous donner qu’un petit gilet. J’ai eu toutes les peines du monde à obtenir le pet-en-l’air. Mais travaillez, monsieur, travaillez ! et nul doute que vous ne vous éleviez avant peu jusqu’au pardessus d’été et même au paletot d’hiver.

« En vous souhaitant sous peu un joli complet.

« DUNAN-MOUSSEUX. »

Fallait-il refuser ? Après tout, mieux vaut aller en pet-en-l’air qu’en bras de chemise. J’emportai le paquet, et ce petit vêtement me fit beaucoup d’usage.

Je n’ai pas encore touché un sou en monnaie de cuivre pour ce que j’ai écrit. J’ai gagné une paire de chaussures, dans leJournal de la Cordonnerie, pour un article sur je ne sais quoi ! – sur la botte de Bassompière, si je m’en souviens bien. On m’a remis une paire de souliers : presque des escarpins.

« C’est assez pour faire son chemin », m’a dit le rédacteur en chef, un gros, large, fort et joyeux garçon, qui mène de pair la tannerie et la poésie, le commerce de cuir et celui des Muses.

Ces souliers m’ont en effet aidé à aller quelque temps.

Comme ils avaient craqué, j’ai été au bureau du journal en offrant une nouvelle à la main, si l’on voulait mettre une pièce.

« On ne met pas de pièces, on ne fait pas les raccommodages. »

Si je veux ajouter à ma nouvelle à la main un entrefilet de quelques lignes, on me donnera des pantoufles claquées ! C’est tout ce qu’on peut faire, et je ne me serai pas dérangé pour rien.

J’accepte, et bien m’en a pris. Je me suis promené avec ces pantoufles-là pendant toute une saison.

Je suis allé de Montrouge au Gros-Caillou, où j’avais des amis dans une petite crémerie. Je me mettais en négligé, j’avais l’air de rester au coin et de baguenauder comme en province, sur le pas des portes.

Je voudrais bien avoir tous les jours des pantoufles pour un entrefilet et une nouvelle à la main.

D’autre part, la pantoufle a bien ses inconvénients ! Je n’osais plus élever la voix dans les discussions, je n’osais plus passer dans les endroits où l’on se disputait, moi qui les aimais tant jadis, je devenais vil, je tournais à la lâcheté… C’est que si j’avais eu une querelle avec des pantoufles, le coup de pied qui est mon fort m’est défendu. Ce n’est pas la peine de taper sur le tibia, je ne le casserais pas, ni d’enfoncer comme je le faisais autrefois mon soulier dans le ventre. Ce n’est pas la peine ! Je me rouille et je vais le long des maisons comme un chat qui évite la pluie. Je n’ai pas encore reçu de volée. J’en recevrais à tout coup maintenant si je me battais avec des gens en souliers. Je fuis les gens en souliers, il y en a beaucoup.

Un pet-en-l’air et une paire de chaussures. Je m’y habitue ! Si je trouvais maintenant un chemisier et des chapeaux.

Pour le logement il n’y a pas à y compter, il faut être dessinateur. Bourgachard a crédit pour quelque temps dans tous les hôtels parce qu’il dit qu’il fera des caricatures dans les coins les plus reculés, ça le fait connaître, aussi on a le temps de penser à lui.

Mais la littérature ! Je ne pourrai jamais échanger de la copie contre une quinzaine de chambre.

Il ne faut pas désespérer de la Providence !

On m’a présenté à un monsieur qui m’a vu en pantoufles et qui, tandis que les autres s’étonnaient, a dit :

« Mais je sais pourquoi il a des pantoufles.

– Ah ! il a des détails là-dessus ! on a fait cercle.

– C’est parce qu’il n’a pas de souliers. »

Il est fort et l’on dit en effet qu’il est un des annonciers d’avenir sur la place de Paris.

« Vous crevez la faim, n’est-ce pas ? »

Mais non, Ah ! pardon, j’ai justement des souliers aujourd’hui. Prenez garde, je n’aime pas qu’on mette le doigt sur ma pauvreté.

« Je vis de mon travail, monsieur !… »

Il n’est pas mauvais homme et m’a demandé très rondement pardon de sa brutalité, tout en me priant de lui apprendre quel était le travail si mal payé qui m’obligeait à aller en pantoufles de Montrouge au Gros Caillou, à me promener en babouches dans la vie.

« Vous ne pouvez pas sortir par les temps de pluie ! Voulez-vous pouvoir sortir même par la pluie ? »

Il me semble que je donnerais un volume pour cela.

Il m’est défendu de sortir par les temps humides ! Je ne connais que la vie à sec. Je n’ai pas depuis deux mois pu suivre un jupon troussé, un bas blanc tiré, comme j’en suivais, les jours d’orage ! Ma vie d’ermite me tue et je voudrais des chaussures à talons pour mon pauvre cœur.

« Eh bien, je vous donnerai des bottes, des chapeaux, des chemises comme à la foire de Beaucaire !

– Parlez !

– Voici. Je veux fonder un journal d’élégance pour l’annonce. Vous y rédigerez la chronique du grand monde. »

Et je rédige la chronique du grand monde pour vingt francs par mois d’argent comptant, rubis sur l’ongle, qui ne doivent pas un sou à personne, puis le tailleur m’habille, le bottier me chausse, le chemisier m’enchemise. Je suis couvert de parfums ! Mais je ne mange que des conserves !

Le journal n’en est pas à m’ouvrir les portes des restaurants. Les restaurants ne tiennent pas à être annoncé dans la Gazette du Grand Monde. S’il y en a quelques-uns qui s’y risquent, c’est le Rédacteur en chef qui en profite. Mais il y a surtout une raison grave pour que je ne fréquente pas les Maison Dorée, ni Brébant ni le Grand 16 du Café Anglais.

Dans mes chroniques je jette les louis par les fenêtres comme des haricots, je sable le champagne comme un Russe, je raie avec un diamant les glaces des cabinets à la mode et je parle de mon grand trotteur, une sacrée bête, pardon M. le Comte, dont je ne peux pas venir à bout.

Si j’allais dans les restaurants bien, le patron me montrerais aux viveurs en disant : « Voilà le Vicomte de *** » et il faudrait tenir le dé, raconter mes bonnes fortunes et faire vingt-cinq louis sur la main du Grand-chose ou de la Petite Machin, et se déboutonner, nom d’un gentilhomme !

Je ne puis pas me déboutonner, nous n’avons pas encore mis la main sur un marchand de bretelles qui voulût se faire annoncer, et j’ai fait des bretelles avec des ficelles, nouées au bouton. C’est même gênant quelquefois.

Je n’ai que la ressource du comestible en boîtes. Nous avons une annonce d’un sardinier qui n’est pas chien avec moi pourvu que je parle de lui dans ma chronique. C’est assez difficile, je suis forcé d’inventer des histoires tirées d’une longueur. C’est généralement un fils de famille qui s’est engagé et qui revient en congé. Sur le boulevard un de ses amis l’accoste.

« Tiens déjà caporal !

– Oui mon cher, la sardine ! La sardine comme celle que nous mangions quand je finissais mon oncle ! la sardine régence, la sardine du grand monde, la sardine (ici le nom du sardinier). Maintenant, termine-t-il avec un éclat de rire, la sardine Bugeaud… »

Et pour les timbales de thon ?

« Qui est-ce qui donne le ton maintenant ? Voilà dix mois que je n’ai pas quitté le château !

– Qui est-ce qui le donne ? toujours la grande Clara. Qui est-ce qui le vend, toujours un tel… »

Je ne mets ces choses sur le papier qu’avec un sentiment profond de mon infériorité, la rougeur au front, je tire les rideaux pour qu’on ne me voie pas. Mais j’en vis !

C’est même échauffant au possible, toujours des conserves, jamais de viande fraîche. Heureusement la parfumerie donne énormément à la quatrième page et j’ai toutes espèces d’eaux pour rincer mon sel. Je me gargarise comme on dessale de la morue !

Ma chambre sent la mer malgré tout et ressemble avec ses boîtes à conserves à la cabine du cuisinier sur un paquebot qui fait le tour du monde.

Je trouve un soir une lettre près de mon chandelier.

Je fais sauter le cachet.

Matoussaint, que je n’ai pas revu depuis des siècles, est rédacteur de la Nymphe. Il m’écrit pour m’en avertir – lettre simple, point écrasante, qui ménage mon obscurité.

Je me rends aux bureaux de la Nymphe ; c’est près des boulevards, de l’autre côté de l’eau. Heureux Matoussaint !

Passé les ponts, tiré du néant, parti pour la gloire, à mi-côte du Capitole !

La maison est d’honnête apparence – sur le côté une plaque avec ces mots :

LA NYMPHE

JOURNAL DES BAIGNEURS

2e, porte à gauche

Je monte au deuxième et trouve une autre plaque.

BUREAU DE RÉDACTION

de 11 h à 4 h.

Tournez le bouton, S.V.P.

Je tourne, et m’y voici.

Comme il fait noir ! Les volets sont baissés, les rideaux tirés – pas un chat !

J’entends un bruit de paille.

« Qui est là ? » dit une voix qui vient d’une autre chambre et n’est pas reconnaissable ; je ne suis pas sûr que ce soit celle de Matoussaint…

J’ai recours à un subterfuge, et avec l’accent d’un pauvre aveugle, je chante dans l’obscurité :

« Je suis un abonné de la Nymphe.

– Vous êtes l’Abonné de la Nymphe ? »

Le bruit de paille et des paroles entrecoupées recommencent.

« L’Abonné… l’Abonné… Mais où est donc mon caleçon ?… L’Abonné !… »

Matoussaint (c’est bien lui), apparaît en se boutonnant.

« Comment ! c’est toi !… Tu ne pouvais pas te nommer tout de suite ?… Tu me fais croire que c’est l’Abonné ! Je me disais aussi, ce n’est pas sa voix.

– Ils n’ont pas tous la même voix, tes abonnés ?

– Mes abonnés ? – pas mes ! mon ! Nous avonsun abonné, rien qu’un ! – Mais passe donc dans l’autre pièce… Assieds-toi sur le bouillon. »

Il y a des paquets de journaux par terre. J’ai le séant sur la vignette ; lui, il s’élance contre le mur et grimpe jusqu’à une soupente bordée de maïs, et qui a une odeur de chaumière indienne – une odeur d’enfermé aussi.

Matoussaint demeure là.

Le reste de l’appartement appartient au journal ; ce coin est le logement du secrétaire de la rédaction. Il est chez lui dans cette soupente, il peut y recevoir ses visites particulières.

Matoussaint me conte l’histoire de la Nymphe, journal des baigneurs.

C’est une feuille d’annonces qui vit, ou plutôt qui doit vivre, de publicité, comme le Pierrot, mais avec une idée de génie.

L’idée consiste à donner pour rien aux maisons de bains une feuille, que le baigneur lira en attendant que son eau refroidisse, que sa peau soit mûre pour le savon, que ses cors soient attendris et qu’il puisse les arracher avec ses ongles.

On pouvait laisser traîner les coins du journal dans l’eau ; c’était un papier étoffe qui ne se déchirait pas et ne s’empâtait point.

« Crois-tu, disait Matoussaint en se posant le doigt sur le front comme un vilebrequin, crois-tu qu’il y avait là une pensée grande !… Malheureusement, le siècle est à la prose, l’homme de génie est un anachronisme, puis le pouvoir a démoralisé les masses… On ne se lave plus, les riches vivent dans la corruption, les pauvres n’ont pas de quoi aller à la Samaritaine. Oh ! l’Empire !… »

Les rédacteurs arrivent à ce moment. Ils causent, on me laisse de côté. Cependant, à la fin, celui qui a l’air d’être le chef se penche vers Matoussaint et lui demande qui je suis.

Il dit après l’avoir écouté :

« Mais il pourrait faire notre affaire !… »

Je saute sur Matoussaint dès qu’ils sont partis.

« Il t’a parlé de moi ?

– Oui, tu peux entrer dans le journal, si tu veux. »

Déjà ? Sur ma mine ? Je fascine décidément.

« Voici, reprend Matoussaint. Nous avons besoin de quelqu’un qui aille dans les bains demander la Nymphe, et qui, si on ne l’a pas, se fâche et crie : “Comment, vous n’avez pas la Nymphe ? Tous les bains qui se respectent ont la Nymphe !” – Tu fais alors sauter l’eau avec tes bras et tu te rhabilles avec colère. »

Je ne suis pas très flatté. Matoussaint s’en aperçoit.

« Tu ne peux pas non plus, d’un coup, arriver à l’Académie ?

– Non, c’est vrai.

– À ta place, j’accepterais. Il faut bien commencer par quelque chose. »

J’accepte, je deviens demandeur de Nymphe.

La caisse du journal me paie mon bain – avec deux œufs sur le plat ou une petite saucisse – pour que je déjeune dans l’eau et aie le temps de causer avec le garçon.

Je mange ma petite saucisse ou je mouille mon œuf, et je dis d’un air négligé, quand j’ai noyé le jaune qui est resté dans ma barbe :

« La Nymphe, maintenant ! »

Et si la Nymphe n’y est pas – elle y est rarement – je fais sauter l’eau avec mes bras et je sors brusquement, tout nu, de la baignoire – on me l’a bien recommandé !

Je fais ce que je peux. Je passe ma vie à me déshabiller et à me rhabiller.

Je détermine deux abonnements… mais ce n’est pas assez pour faire vivre le journal, et l’on trouve que je ne suis bon à rien, que je ne suis pas propre à ma mission. (Je suis bien propre, cependant ! Si je n’étais pas propre en me baignant si souvent, c’est que je serais un cas médical bien curieux !)

Je quitte le peignoir de demandeur de Nymphe, emportant avec moi pour un temps infini l’horreur de l’eau chaude, et criant souvent, au milieu des conversations les plus sérieuses : « Garçon, un peignoir ! » par habitude.

Je communique mes réflexions de baigneur en retraite à un vieux qui a accès dans les bureaux de quelques journaux par la porte des traductions.

Il me dit que c’est l’histoire de bien d’autres.

« On ne sent pas partout le poisson ou le savon, mais on avale bien des odeurs qui soulèvent le cœur, allez ! »

Il me fait presque peur, ce vieux-là !

Il demeure pas loin de chez moi. Je le rencontre quelquefois, toujours à la même heure.

Il y a une semaine que je ne l’ai vu… Qu’est-il devenu ? – J’interroge la concierge.

« Vous ne savez donc pas ? Il y a huit jours, il est rentré, l’air triste ; il a embrassé mon petit garçon en me demandant quel état je lui donnerais. « Lui donnerez-vous un état, au moins ? » On aurait dit qu’il tenait à le savoir… Il est monté et il n’est pas redescendu. Ne le voyant plus, nous avons frappé à sa porte. Pas de réponse ! Mon mari a forcé la serrure, et nous sommes entrés. Il était étendu mort sur son lit, avec un mot dans sa main qui était déjà couleur de cire. « Je me tue par fatigue et par dégoût. »

JOURNAL DES DEMOISELLES

Boulimier, un de nos anciens camarades de l’hôtel Lisbonne, est entré comme correcteur chez Firmin Didot. Il glisse de temps en temps une pièce de vers dans la Revue de la Mode. Il veut bien essayer de faire passer une Nouvelle de moi.

J’ai beaucoup de barbe pour écrire dans le Journal des Demoiselles !

Elle traîne sur mon papier pendant que je fais les phrases.

Quel sujet vais-je prendre ? Mes études ne peuvent pas m’aider !

Il n’y a pas de demoiselles dans les livres de l’antiquité. Les vierges portent des offrandes et chantent dans les chœurs, ou bien sont assassinées et déshonorées pour la liberté de leur pays.

J’ai cherché mon sujet pendant bien longtemps.

« Vous devriez faire le roman d’une canéphore ! » me souffle un agrégé en disgrâce pour ivrognerie.

Mais je ne sais plus ce que c’est qu’une canéphore.

« Si tu parlais d’une bouquetière ? me dit Maria la Toquée, qui fait des vers.

– C’est une idée. Viens que je t’embrasse ! »

Je préviens Boulimier.

Il me répond courrier par courrier :

« À quoi pensez-vous ? Voulez-vous donc encourager les filles de nos lectrices à courir après les passants dans les rues et à leur accrocher des œillets à la boutonnière !… Où avez-vous la tête, mon cher Vingtras !… Que personne ne se doute chez Didot que vous avez eu cette idée-là !… Si on savait que je vous fréquente, je perdrais ma place. »

Je lui réponds qu’il se trompe, et j’explique mon plan.

Je voulais peindre une petite orpheline qui, se trouvant seule au cimetière quand les fossoyeurs sont partis après avoir enterré sa mère, cueille des fleurs sur la tombe de celle qui n’est plus. La nuit venue, elle les vend pour acheter du pain.

Elle fait tous les cimetières de Paris, bien triste, naturellement ! Elle se suffit avec ça. Un soir enfin, elle trouve un vieux monsieur qui est frappé de voir une bouquetière offrir des fleurs avec des larmes dans la voix, et une branche de saule pleureur dans les cheveux – ma bouquetière a toujours une branche de saule pleureur sur sa petite tête d’orpheline – il lui demande son histoire.

Elle la lui raconte en sanglotant. Ce monsieur l’adopte, lui fait apprendre le piano, et puis la marie richement.

« Vous le voyez, mon cher Boulimier, c’est la bouquetière prise à un point de vue émouvant, et, j’ose le dire, assez nouveau ? »

Je trouve le lendemain une note de Boulimier :

« Je vous avais calomnié, je vous en demande pardon. En effet, il y a quelque chose à faire avec cette idée touchante d’une orpheline qui ne vend que des fleurs de cimetière. Mais avez-vous songé à l’hiver ? Que vendra-t-elle l’hiver ?

« Les mères se demanderont où couche votre héroïne. Est-elle en garni ou dans ses meubles ? on ne loue pas facilement, vous savez bien, aux orphelines de huit ans. Je ne vois pas comment vous pourriez traiter cette question de logement. La passeriez-vous sous silence ? Oh ! mon ami !… Ne pas dire ce que la petite Cimetièrette (je vous félicite sur le choix du nom) fait quand les boutiques sont fermées !… M. Didot me renverrait, je vous assure. »

Je ne puis pourtant pas lui faire perdre son emploi !

Eh bien ! je m’en vais tout simplement raconter une histoire que j’ai vue.

Une petite fille était toute seule dans la maison pendant qu’on enterrait sa mère qui était morte de faim… – On avait prié une voisine de veiller sur la petite, mais la voisine s’était enfermée avec son amoureux ; la petite en jouant a roulé sur les marches de l’escalier et s’est cassé la jambe, on a dû la lui couper – elle marche maintenant avec une jambe de bois dans les rangs de l’hospice des orphelines.

Boulimier ne m’a pas écrit, il est venu lui-même, – en cheveux, et tout bouleversé ! Ç’a été une scène !…

« Vous voulez donc appeler aux armes, exciter les pauvres contre les riches !… et vous prenez le Journal des Demoiselles pour tribune ?… Pourquoi ne pas proposer une société secrète tout de suite… ou bien défendre l’Union libre !… »

Il faisait peine à voir !

Il a repris l’omnibus, plus calme. Je lui ai dit que je gardais mes convictions, que je restais républicain, mais je lui ai promis que je n’appellerais pas aux armes dans le Journal des Demoiselles.

Il a été bon comme un frère, – il m’a tout pardonné, il m’a lui-même trouvé un sujet.

Il m’en a envoyé le canevas.

Sujet d’article pour le JOURNAL DES DEMOISELLES.

LA TÊTE D’EDGARD

Une famille est rassemblée autour d’un berceau. Le père arrive.

« Est-ce une fille ? Est-ce un garçon ? (Passer légèrement là-dessus). »

C’est un garçon.

« Comme il a une grosse tête, mon petit frère ! »

On s’aperçoit, en effet, que le nouveau-né a une tête énorme… Le médecin consulté appelle le père dans la chambre à côté. Le père le suit, reste quelque temps avec le docteur et reparaît. Il a l’air abattu. Il fait un signe aux domestiques :

« Que tout le monde sorte !

– Marie, dit-il à la mère, notre enfant est hydrocéphale ! »

Voilà la première partie.

Dans la seconde partie l’enfant à grosse tête grandit. Le père est bien triste, mais la mère est un ange de dévouement et de tendresse pour le petit qui a la tête en ballon.

« Il y en a plus à aimer ! » dit-elle.

Je vous donne le mot comme il me vient, vous en ferez ce que vous voudrez, je le crois bon ; le geste du bras, qui se trouve être trop court pour embrasser toute la tête, peut arracher des larmes.

Vous établirez un contraste entre le dévouement des pères et mères et la froideur d’un oncle, qui trouve que cet enfant est plutôt une gêne pour la famille.

« Il vaudrait mieux qu’il remontât au ciel… on pourrait le vendre à des médecins !… »

« Vendre mon fils !… »

Vous voyez la scène.

Tout d’un coup un collégien saute dans la chambre. C’est le fils aîné de la famille. Il était en pension, boursier (mettez « boursier », cela fait bien) dans un petit collège du Midi. Il ne venait pas en vacances parce que c’était trop cher.

Il a enfin fini ses classes – on ne l’attendait pas – il ne devait passer son bachot que trois mois plus tard, mais il a ménagé cette surprise, et le voici !…

Il a tout entendu, caché derrière la porte ; et il va droit à son oncle :

– Non, mon oncle, nous ne vendrons pas mon frère ! il ne s’appelle pas Joseph ! (se tournant vers son père). Comment s’appelle-t-il ?

Je crois ce mouvement heureux, parce qu’il double le mérite de ce frère aîné qui va se dévouer à son frère sans même savoir son nom. On lui apprend qu’il s’appelle Edgard, et il continue :

« Je voulais être avocat, j’avais rêvé les palmes du barreau ! (avec mélancolie). La tête de mon frère m’impose d’autres devoirs… Je me ferai médecin… »

Indiquer qu’il avait toujours eu de l’horreur pour ce métier… Ça le dégoûte, la médecine… mais il a conçu dans sa tête – de taille moyenne – le projet de se vouer à l’étude des têtes grosses comme celle de son frère.

« Qui sait ! Ne peut-on pas les diminuer ?… n’est-ce pas une enflure provisoire ?… peut-être un dépôt seulement… ! »

Ce n’était qu’un dépôt !…

Le frère héroïque a pâli, penché sur les livres. Il résulte de ses études qu’il y a des enfants qui paraissent hydrocéphales et qui ne le sont pas.

C’est l’histoire d’Edgard – Edgard qu’on revoit avec une petite tête à la fin.

Le frère aîné, lui, a pris goût à ses travaux qu’il n’avait entamés qu’avec répugnance et uniquement par dévouement fraternel.

Il est maintenant un de nos médecins spécialistes les plus distingués.

Il a la clientèle de l’aristocratie.

« Sur ce canevas, dit Boulimier en terminant, il est facile, je crois, de broder avec succès un récit où s’exerceront toutes vos qualités, récit simple et touchant, qui peut valoir au journal des abonnements d’hydrocéphales.

« M. Didot sait remarquer le talent où il est, s’il voit cela, il vous protégera, et vous pourrez devenir, vous aussi, une grosse tête de la maison. »

J’ai écrit la Nouvelle dans le sens indiqué par Boulimier, et je l’envoie.

Huit jours après je reçois une lettre.

« Monsieur,

« Nous vous renvoyons la nouvelle : La Tête d’Edgard, que vous aviez confiée à M. Boulimier. À côté de détails charmants et se jouant dans un cadre des plus heureux, nous avons remarqué une tendance à l’attendrissement qui vous fait le plus grand honneur. Mais c’est cet attendrissement même que nous redoutons pour nos lectrices frêles et sensibles. Tous les petits cœurs en deviendraient gros.… Vous m’avez comprise, j’en suis sûre, vous qui cachez sous un nom d’homme la grâce d’une femme.

« Agréez…

« La Directrice,

« ERNESTINA GARAUD. »

La grâce d’une femme !…

C’est possible – quoique j’aie vraiment beaucoup de barbe et une culotte qui en a vu de dures et fait un sacré bourrelet par-derrière.

BAS, LES COEURS !

J’ai fait connaissance de Mariani, qui était jadis chroniqueur à l’Illustration. Il fonde un journal hebdomadaire, et il a demandé à Renoul quelques garçons de talent pour composer la rédaction.

Il est vieux mais il aime les jeunes. C’est un vieillard aimable qui m’accueille sans morgue et me demande ce que je vais faire. Il voit vite que je n’ai rien sur la planche et que je suis un novice, malgré le Pierrot , le Journal de la Cordonnerie et la Gazette du Grand Monde.

Je m’ouvre à lui.

« Ma foi, monsieur, je ne sais rien faire de ce qu’on me demande. Je crois que je ne saurais bien faire que ce que je pense ! J’ai eu tort de ma lancer dans la carrière des lettres, mais ce n’est pas tout à fait exprès. C’est que je n’en ai pas d’autres.

– Vous n’avez pas de fortune ? » Il y a trop de pitié dans son accent pour que je lui dise la vérité. J’aurais peur de paraître m’être ouvert à lui pour aboutir à une lâcheté de pauvre.

« Pas de fortune, non, mais j’ai quelques ressources, de quoi vivre.

– À la bonne heure ! sans cela quelle vie, mon ami ! » et il lève les bras au ciel en hochant sa tête honnête et blanche.

S’il savait ce que j’ai déjà enduré ! S’il voyait le fond de ma bourse !

« Eh bien, mais… dit-il en revenant à ma confession. Vous ne savez faire que ce que vous pensez ! Ce serait beaucoup, savez-vous ! Tenez, moi je vous donne carte blanche. Vous pouvez prendre le sujet qu’il vous plaira et vous le traiterez comme vous voudrez. Faites ce que vous pensez ! Je voulais vous offrir deux sous la ligne, vous en aurez trois. »

Trois sous la ligne, cent lignes quinze francs ! Cet homme à donc des millions à dépenser ! Il a Rothschild derrière lui ?

Ce ne sera pas en pet-en-l’air, ni en escarpins, ni en pommade, ni en salaison que ma copie sera payée. Je toucherais de l’argent.

« Quel sujet ? voyons ! me demande M. Mariani.

– Je ne sais trop…

– Avez-vous étudié telle ou telle question ?

– Je n’ai rien étudié en particulier, – ni en général, il faut bien le dire. J’ai habité le quartier Latin, – on n’y étudie guère !…

– Le quartier Latin ? Voulez-vous le raconter ? Est-ce entendu ? Un article, deux, trois, si vous voulez, intitulés : La jeunesse des Écoles. Le titre vous va-t-il ? »

Il sonne bien, en effet.

Je suis rentré chez moi tout ému.

J’ai bien de la peine au commencement ; je veux toujours parler des gymnases antiques, des jeunes Grecs, de la robe prétexte, etc., etc. C’est ma plume qui écrit tout cela contre mon gré ; elle se refuse à me laisser entrer dans l’article, rien qu’avec mes souvenirs et mes idées, à moi Vingtras, sans nom, sans le sou, qui ai mis mes pieds dans du vieux linge pour n’avoir pas froid en travaillant.

Enfin, le voilà, mon article, tel qu’il est avec ses gribouillages. J’ai enlevé, comme des lambeaux de chair, quelques phrases douloureuses et brutales.

J’arrive chez Mariani.

« Vous ne pourrez jamais lire, dis-je en déployant mon manuscrit.

– Eh bien, lisez vous-même ! »

Je lis – très pâle ma foi ! Mais à mesure que je retrouve le fond de mon cœur à travers ces ratures et dans ces explosions de phrases, le sang me revient dans les veines et ma voix sonne haute et claire.

Le rédacteur en chef m’écoute, l’œil tendu, et dit de temps en temps tout bas :

« C’est bien, bien… »

J’ai fini, j’attends mon sort.

« Mon ami, vous avez écrit là un morceau qu’il ne faut pas perdre. Mettez-en les tranches dans votre poche, et boutonnez bien votre habit par-dessus. Que les mouchards ne vous voient point ! Il y a dans vos trois cents lignes trois ans de prison. Vous comprenez que je ne puis vous prendre un article qui a tant de choses dans le ventre. Je vous le paierai – et de grand cœur – mais je ne vous l’imprimerai pas !

– Alors, il n’y a pas à me le payer.

– Pas de fausse honte – il ne faut pas avoir travaillé pour rien, d’ailleurs vous m’avez empoigné, je vous le promets, pour l’argent que je vous donnerai ! Il y a de la verdeur et de la force là-dedans, savez-vous bien ? »

Je ne sais pas : je sais seulement que c’est le fond de mon cœur.

J’ai peint les dégoûts et les douleurs d’un étudiant de jadis enterré dans l’insignifiance d’aujourd’hui. J’ai parlé de la politique et de la misère !

« Il faut attendre un nouveau régime. Je ne crois même pas qu’un journal républicain, politique, vous prendrait cette page ardente. Cependant je vais vous donner un mot pour X… »

J’ai porté le mot. J’ai entrevu X…. entre deux portes.

« Ah ! de la part de Chose ? Laissez-moi votre copie. »

Huit jours après je reçus avis que toutcautionné et tout républicain qu’on fût, on ne pouvait se hasarder à publier mon travail. Je ferais condamner le journal.

Alors l’empire a peur de ces quatre feuilles que j’ai écrites dans mon cabinet de dix francs !

J’ai repris ma copie. Je suis rentré chez moi désespéré ! Ce que je fais de personnel est dangereux, ce que je fais sur le patron des autres est bête !…

Pour ne pas être l’obligé du journal et n’être pas payé d’une copie non publiée, j’ai proposé à M. Mariani de lui livrer le même nombre de lignes en prose possible.

« Tout de même, a-t-il dit, pour me couvrir vis-à-vis du bailleur de fonds. »

J’ai bâclé deux ou trois articles que je n’ai pas eu le courage de relire quand je les ai vus imprimés !

Je serais honteux qu’on en parlât de ces articles, et je les cache comme des excréments.

Le jour de la paye, on m’a soldé en grosses pièces de cent sous, comme on paie à la campagne – elles suent noir dans ma main fiévreuse.

Une chance !

Un ancien voisin de Sorbonne, au grand concours, un Charlemagne, Monnain me reconnaît et m’arrête. Il est ému

« C’est bien toi qui as allumé le brûlot dans une petite machine à esprit-de-vin, le jour de la composition de vers latins ?…

– C’est moi.

– Deschanel qui était de garde dit : « Ouvrez les fenêtres ! D’où vient cette odeur moderne ? » – Et elle était bonne, ton eau-de-vie !… Tu sais, je suis maintenant directeur de la Revue de la Jeunesse … Veux-tu faire la chronique ?… – C’est bien toi qui as allumé le brûlot ?…

– Oui, oui… Et c’est sérieux, ton offre de chronique ?

– Elle paraîtra le 15, si tu veux. Viens un peu avant. »

J’arrive le 12 avec ma copie.

Monnain la lit avec des soubresauts et finit par la jeter sur la table.

« Je ne peux pas publier ça ! Tu éreintes Nisard ! C’est mon protecteur à l’école et je compte sur lui pour me faire recevoir à l’agrégation… »

Et ce sont des jeunes ! Oui, des jeunes qui ont besoin des vieux ! Des jeunes qui n’ont pas le droit, ni le courage, ni l’envie de crier ce qu’ils pensent !

Pourquoi ai-je mis les pieds dans ce métier ! Mon père ! pourquoi avez-vous commis le crime de ne pas me laisser devenir ouvrier !…

De quel droit m’avez-vous enchaîné à cette carrière de lâches ?…

« Laisse donc ta sacrée politique de côté, et fais de la copie pour le pognon. »

Soit ! je travaillerai pour le pognon.

Je laisserai aller de la prose qui sera tout simplement une traînée d’encre, mais par exemple je ne signerai pas !

Non, je ne signerai pas. J’avais mis mon nom au bas de l’article contre Nisard, je prends un masque de carton maintenant. Je n’ai pas attendu, pâti, lutté pour aboutir à signer des niaiseries !

On a consenti à me laisser prendre le masque de carton. À l’ombre de ses trois lettres je travaille sans responsabilité. J’en livre pour l’argent qu’on me donne. Je ne relis pas la copie que je porte. Si par hasard c’est bon, tant mieux, si c’est mauvais, tant pis. Il paraît qu’une fois ou deux j’ai été intéressant entre autres le jour où j’ai parlé d’un mort célèbre dont j’avais connu la misère. C’est qu’il était mort celui-là et l’on pouvait le louer ou l’assommer sans crainte. J’avais laissé parler mon cœur et on ne l’avait pas fait taire.

Une semaine pourtant – celle où l’on a enterré un réactionnaire célèbre de 48 – je suis sorti de mon insouciance et de mon dégoût, et j’ai demandé à avoir le champ libre – je signerai cette fois, si l’on veut !

« Vas-y ! »

Ah bien oui ! J’ai encore mis des mots qui font bondir Monnain.

« Je ne croyais pas que tu prendrais le sujet aux entrailles ! On tuerait la revue, si elle imprimait ton appel à la révolte. »

On tuerait ta revue ? Eh ! elle mourra, ta revue ! Elle mourra d’insignifiance et de lâcheté. Ne valait-il pas mieux la faire sauter comme un navire qui ne veut pas amener son pavillon !

« Il faut attendre un nouveau régime » – voilà mon avenir !…

« Vous perdez courage, vous voulez lâcher la partie ? Ce n’est pas brave ! me dit un homme de cœur qui essaie de me retenir et de me consoler. – Encore un effort, me crie-t-il. – J’irai voir P…, qui a été déporté de Décembre avec moi, et je lui demanderai qu’il vous fasse entrer dans le journal dont il est actionnaire. »

Il a demandé et obtenu !

J’ai à faire une série d’articles sur les professeurs de l’empire : comme celui que j’avais écrit sur Nisard. – S’ils sont verts, on les prendra. Aussi verts que vous voudrez.

J’étais à la besogne quand on a frappé à ma porte.

C’est un professeur de Nantes, assez brave homme, qui m’aimait un peu et ne se moquait pas trop de ma mère.

« Je suis de passage à Paris, et je me suis dit : j’irai serrer la main à mon ancien élève.

– Merci.

– Et les affaires ? – Vous n’êtes pas heureux, je vois ça !

– Ni heureux ni malheureux. »

Qu’a-t-il besoin de mettre le doigt sur ma misère ! Est-ce qu’il vient pour m’offrir l’aumône ?

« Qu’est-ce que vous faites maintenant ? Est-ce encore des petites machines comme les choses dans la Revue de Monnain ?

– Vous savez donc que j’écrivais ?

– Un ami de Monnain, qui est venu faire la troisième à Nantes, nous l’a dit, mais je n’en ai pas été bien content, entre nous ! Vous, le républicain, vous avez été bien pâle. »

Je ne me suis même pas donné la peine de lui expliquer pourquoi il m’avait trouvé si pâle.

Mais je lui ai lu l’article vert que j’étais en train d’écrire.

« Trouvez-vous ceci meilleur ?

– Certes ! mon cher, c’est superbe ! »

Quelques jours après, je sortais du journal où mon manuscrit avait été lu, même applaudi. J’avais vu à la façon dont les domestiques et les petits m’avaient salué quand j’étais sorti, que j’avais pied dans la place.

Mais j’ai trouvé une lettre de mon père, en rentrant chez moi.

« M. Creton nous a dit que tu vas écrire contre les grands universitaires… Tu veux donc me faire destituer ?… Quand paraît l’article ? Quand nous ôtes-tu le pain de la bouche ?… Nous trouveras-tu un lit à l’hôpital, après nous avoir jetés dans la rue ? C’est ainsi que tu nous récompenses de t’avoir fait donner de l’éducation. »

Votre éducation !… N’en parlons plus, s’il vous plaît.

Je retirerai mes articles. Je ne vous ôterai pas le pain de la bouche. – Vous avez raison ! Ce serait la destitution, et je ne pourrais pas vous trouver une place à l’hôpital…

IL FAUT SE FAIRE

DES RELATIONS

LECAPET

Il y avait sous l’Odéon un petit journal qui pendait, le Mouvement artistique et littéraire. Il ne tenait que par une patte, le vent avait détaché l’une des pinces de bois qui le maintenait sur la ficelle.

Il allait dégringoler et s’envoler, emporté par la bise qui s’engouffrait dans les galeries. Je suis venu à son secours. Le père Brasseur m’a remercié et du même coup, j’ai jeté un coup d’œil sur la feuille avant qu’on la rattachât à la ficelle.

Ce doit être un groupe de garçons sérieux qui rédige le Mouvement artistique et littéraire. Un des articles se termine ainsi : « Nous courons après des idées et non après des papillons. » Cette phrase indique des penseurs. L’envie me prend de voir ces jeunes courir après des idées.

C’est au fond d’une cour ! bien humide ! Mon nez coule, j’en serai pour un mouchoir. Je pousse la porte. On ne court pas ! C’est bien petit pour courir – on ne court pas, au contraire on est assis.

Ils sont trois, le rédacteur en chef qui bégaie, le directeur qui zézaie et un troisième qui a l’air de communier ! Il ressemble à un enfant de chœur qui aurait les cheveux gris et la patte d’oie, ou à une jeune fille qui se serait fait des moustaches et une barbiche avec du bouchon brûlé. On l’appelle M. Lecapet.

Il est maigre comme un salsifis et a bien la tournure d’un petit salsifis qu’on vient d’arracher d’un champ et qui est tout plein de terre, avec un petit fil qui le termine coquettement. Lecapet aussi a un fil qui pend de la doublure de sa redingote. Pourquoi ne boutonne-t-il pas sa chemise qui est toute ouverte par-devant, je vois son petit poitrail. Sa patte d’oie lui ride sa petite figure tout entière quand il rit. Quand j’étais enfant, dans les belles années de mon enfance, ma mère me donnait les pattes des volailles mortes, elle s’en privait pour me les donner et je tirais un nerf qui faisait recroqueviller les griffes : c’était innocent et instructif. – Tu apprends quelque chose au moins : tu apprends le système nerveux des poules. La figure de Lecapet quand il rit ressemble à une patte de poulet qu’on tire. On ne voit que son œil comme une prunelle de crevette qui luit au-dessus d’un nez effilé et pâlot et un bout de langue qu’il laisse passer entre ses dents, ce qui est vraiment très enfantin et pas du tout déplaisant.

Il tient d’une main fluette, maigre, grise, une paire de gants noirs qu’il secoue : des gants qu’a écorchés la vie, ridés comme son cou de dindonneau.

Il est en train de réciter des vers :

Jamais le lourd manteau du fourbe ou du sectaire

De ses plis ondoyants n’a blessé mes bras nus.

Il nous a dit cela en secouant ses gants comme la sonnette à l’élévation, et son petit bout de langue est sorti religieusement – comme pour qu’on y mette une hostie ! Mais qu’entend-il par ses bras nus ? Est-ce qu’il compte se promener les bras nus ? Il doit avoir des bras comme des allumettes, ça doit faire pitié ses bras ! Il ferait mieux d’avoir un tricot avec des manches.

…Oui, mon front est paré de grâce et de pudeur !

Mais il est tout mâchuré ton front !

Quand courra-t-on après des idées ?

Ah ! l’on aborde un sujet littéraire.

Jusqu’à présent on n’a pas fait attention à moi. Quand je suis entré et qu’on m’a demandé ce que je voulais, j’ai expliqué que sous l’Odéon… – le journal – ses articles graves – enfin, j’avais eu l’idée de venir fraterniser avec des camarades de la République des lettres. On ne m’a pas accueilli comme un frère. On n’a pas trop répondu grand-chose. Je pensais qu’ils auraient l’air plus flattés. C’est qu’aussi je suis très mal mis ! Pourtant on me fait signe de m’asseoir sur une des deux chaises qu’il y a dans le bureau et l’on s’est remis à écouter Lecapet. Je me suis contenté de mettre une fesse comme tout le monde sur le rebord de quelque chose. Elle me fait mal même au bout d’un moment. J’ai choisi une place très incommode. M’asseoir pour me refaire ? Je n’ose. J’aurais l’air dans cette chaise au milieu de la pièce d’un homme qui attend qu’on lui fasse la barbe.

On m’a négligé, trop négligé. Pourtant quand Lecapet est arrivé au manteau du fourbe, aux bras nus, au front paré de grâce et de pudeur, j’ai remué un peu : le bois a crié ! On s’est tourné vers moi avec humeur, comme si on ne me tolérait qu’à condition que je ne ferais entendre aucun bruit. Avec ça, ce soupir du bois était comme une plainte étouffée ! Il y a eu doute dans l’esprit des assistants…

Lecapet a fini, il remise son bout de langue, rebaisse ses paupières, dodeline sa petite tête et bat son genou pointu avec son gant fané. On reste un moment silencieux. Les yeux se tournent vers moi. Ça me gêne.

On ne me questionne pas encore, mais je suis tellement l’objet de la curiosité générale que je sens qu’il faut parler ou me brûler la cervelle.

« Messieurs, les sentiments qu’on vient d’exprimer sont tout à fait les miens – tout à fait, tout à fait – » j’y mets de l’enthousiasme et je répète tout à fait d’un air crâne, presque provocateur ! On ne répond rien. S’il entrait un papillon, si on y souffrait les papillons dans cette maison, on entendrait le bruit de ses ailes !

On a l’air stupéfait.

L’idée du papillon qui passe me remet en selle. « C’est une phrase qui est une théorie, un drapeau ! “Nous ne courons pas après les idées mais après les papillons !” »

J’ai su depuis que je m’étais trompé ; c’était le contraire.

« Nous n’avons pas dit cela », bégaie le rédacteur en chef.

Me serais-je trompé de coin ? Je m’informe comme si j’arrivais :

« C’est bien ici le Mouvement artistique et littéraire ?

– Oui, monsieur. » Un « oui » très ferme et très carré.

Ils ne renient pas leur logement, ils ne rougissent pas de leur rez-de-chaussée. Ils mettraient c’est ici sur la porte, en grosse lettres s’il n’y avait pas à craindre une fâcheuse confusion.

« Eh bien, n’avez-vous pas eu l’honneur d’écrire que vous ne couriez pas après – après ci, après ça ? »

Je mets tout, les papillons, les idées, papi-idées pa-llon-papi-pa-pardon !

Les yeux du rédacteur en chef jettent des flammes. Ils croient que j’imite le bègue pour me moquer de lui. Une querelle va s’en suivre, il y a un duel de bègues dans l’air, d’un vrai et d’un faux bègue.

Situation triste ! malentendu pénible !

« Enfin, qu’êtes-vous venu faire ici ? »

On s’avance vers moi.

« Fraterniser.

– Fra-fra-fra ? »

Le bègue ne peut pas finir.

« Monsieur, mon père était officier de la Garde républicaine, dit celui qui zézaie, et on a l’habitude dans ma famille de corriger les insolents ou de flanquer à la porte les idiots. Qu’êtes-vous, un malotru ou un imbécile ? »

Je ne veux pas y mettre d’animosité ni d’orgueil, de la franchise seulement.

« Monsieur, je suis un imbécile. »

Je donne cela comme ma profession, sans rougir ! pourquoi rougirais-je ? Il n’y a pas de sot métier, il n’y a que des sottes gens !

Une fois que j’ai joué cartes sur table, je me suis senti plus à l’aise ! On savait qui j’étais maintenant sans avoir malheureusement d’adresse à distribuer. Je pense qu’on pouvait me croire sur parole et quelle raison avais-je d’abuser de la bonne foi des gens ?

Je ne prenais donc personne en traître et fort de ma franchise je retrouvai de l’assurance.

« Si votre père était officier de la Garde républicaine, c’est que probablement il était républicain… »

Ce n’était pas une raison. Cependant je m’appuyai là-dessus pour dire que j’étais républicain aussi – j’appartenais à une bande dont on avait parlé au Cours Michelet, aux manifestations et au 2 Décembre.

« Vous connaissez C…

– Comment vous appelez-vous ?

– Jacques Vingtras.

– Il fallait donc le dire ! C’est vous qui rappelez les Saint-Vincent pour leur donner des coups de pieds au cul. »

Je rougis timidement, j’ai toujours eu des scrupules de conscience à cet endroit. J’ai ce coup de pied au cul sur le cœur.

« C’est vous qui avez voulu enlever l’Empereur ?… » Et ils en content encore d’autres. Ils savent ma vie d’émeutier mieux que moi. Ils connaissent des amis de nos amis, Boulimier est venu leur apporter des vers !

« Monsieur, dit Lecapet après un instant de recueillement, d’une voix douce et les yeux baissés. Vous n’avez pas senti ce que vous avez d’idéal en vous se troubler quand vous avez prié ce jeune homme de Saint-Vincent de prendre une attitude qui répondît aux concepts de votre intelligence à ce moment…

– Je n’ai rien senti… Peut-être un peu d’engourdissement.

– Dans les facultés de votre âme ?

– Non, au bout du pied qui avait frappé. J’avais tapé sur l’os probablement. C’est un os spécial qu’il ne faut pas prendre en biais. Quand on le prend en biais, on court le risque de se blesser. »

Lecapet me remercie d’un air séraphique et a l’air de se parler à lui-même.

J’ai revu souvent Lecapet.

Chaque fois que je l’ai revu, il lui manquait un lacet à ses souliers, des boutons à son paletot, il avait du noir sur le front, ses cheveux faisaient une petite queue par-derrière et sa cravate était nouée sur le côté. On voyait souvent son petit poitrail. Il a toujours un parapluie dont les baleines sont cassées, et un gros livre sous le bras droit, où il met l’état de son âme.

Lecapet écrit tous les soirs ce que son âme a fait dans la journée. Quand il en oublie il pique des renvois. Il doit se tromper de temps en temps aussi, mettre l’état de l’âme d’un autre par inadvertance – ou bien mettre l’état d’autre chose que son âme, faire erreur, car comment s’expliquer les ratures de son manuscrit ?

Son âme fait ceci ou cela, il n’y a pas à dire – et pas à se tromper. C’est peut-être la faute du papier buvard. Il paraît que ce papier buvard lui a déjà joué de mauvais tours. Il a fait des pâtés dans certains endroits en essuyant des pensées trop fraîches, ailleurs il a brouillé les lettres et Lecapet ne s’y reconnaît plus. Il met des notes dans ce cas : « Je ne réponds pas de ce qui est sous le pâté » – « Je ne puis engager la virginité de ma pensée à l’endroit où il y a une tache de café ni à la place où un peu de jaune d’œuf est tombé par mégarde un jour de rêverie. »

Pendant longtemps son âme a senti la salade de chicorée. Nous avions pris son livre d’âme dans sa poche et nous l’avions frotté d’ail.

Il nous arriva rêveur quelques jours après.

« Il y a, dit-il, une mystérieuse corrélation entre les phénomènes moraux et les phénomènes physiques. J’avais pensé tout un jour à l’idolâtrie végétale des Égyptiens qui adoraient les légumes et aux poulets qu’égorgeaient les augures. Il en est resté, dans ma pensée et mon livre, ce jour-là, une odeur de chapon et comme un parfum d’oignon sacré. (La tête dans la main.) Ceci prouve bien que j’ai une âme…

Share on Twitter Share on Facebook