III. – La chanson des Ingénues

Nous sommes les Ingénues,

Aux bandeaux plats, à l’œil bleu,

Qui vivons, presque inconnues,

Dans les romans qu’on lit peu.

Nous allons entrelacées,

Et le jour n’est pas plus pur

Que le fond de nos pensées,

Et nos rêves sont d’azur ;

Et nous courons par les prées

Et rions et babillons

Des aubes jusqu’aux vesprées,

Et chassons aux papillons ;

Et des chapeaux de bergères

Défendent notre fraîcheur,

Et nos robes – si légères –

Sont d’une extrême blancheur ;

Les Richelieux, les Caussades

Et les chevaliers Faublas

Nous prodiguent les œillades,

Les saluts et les « hélas ! »

Mais en vain, et leurs mimiques

Se viennent casser le nez

Devant les plis ironiques

De nos jupons détournés ;

Et notre candeur se raille

Des imaginations

De ces raseurs de muraille,

Bien que parfois nous sentions

Battre nos cœurs sous nos mantes

À des pensers clandestins,

En nous sachant les amantes

Futures des libertins.

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