Chapitre XVII Dernier chapitre où sont rapportés les derniers faits relatifs à cette histoire purement imaginaire, et dans lequel le dernier mot reste à M. John Proth, juge de paix à Whaston.

Maintenant, leur curiosité satisfaite, ces milliers de curieux n’avaient plus qu’à partir.

Satisfaite, peut-être ne l’avait-elle pas été. Cela valait-il les fatigues d’un pareil voyage, les frais d’une expédition qu’au bassin polaire, et, pour tout résultat, d’avoir aperçu le météore pendant quelques heures sur ce plateau rocheux, mais sans qu’il eût été possible de l’approcher de plus près que quatre cents mètres ? Et, encore, s’il ne s’était pas précipité dans l’abîme, si ce précieux cadeau du Ciel à la Terre n’eut été à jamais perdu !… Quel déplorable dénouement à cette affaire qui venait de passionner le monde entier, et particulièrement la Grande-Bretagne, les États-Unis, la Russie, la Norvège, l’Afghanistan, le Nicaragua, le Costa-Rica, et enfin le Danemark ! Ainsi, les savants n’avaient point fait erreur… La sphère d’or était tombée sur un des territoires appartenant au domaine colonial du Danemark… Et actuellement, il n’en restait plus rien, et pas une parcelle du bolide ne s’était mêlée au sable de cette grève du nord-ouest de l’île Upernavik…

Y avait-il lieu de compter qu’un second météore du prix de milliers de milliards reparaîtrait sur un des horizons terrestres ?… Non, certes, non !… Une pareille éventualité ne se réaliserait plus, sans doute. Qu’il y eût de ces astres d’or flottant dans l’espace, c’était possible, mais si faible paraissait être cette chance qu’ils fussent lancés dans le cercle d’attraction de la terre, que personne ne pouvait lui accorder la moindre valeur.

Et c’était heureux en somme. Quatre trillions d’or jetés dans la circulation eussent amené le complet avilissement de ce métal – vil pour ceux qui n’ont rien, précieux pour ceux qui ont tout. Non ! il n’y avait point à regretter la perte de ce bolide dont la possession eût troublé les marchés financiers du monde… à moins que le Danemark n’eût eu la sagesse de l’enfermer dans une vitrine, comme objet de musée météorolique, et de ne jamais l’en sortir sous forme de ducats, de couronnes et autres monnaies danoises !

Cependant, ce dénouement, les intéressés avaient bien le droit de le considérer comme une déception. Avec quel chagrin, M. Dean Forsyth et M. Stanley Hudelson allèrent contempler la place où s’était produite l’explosion de leur bolide ! Et c’est en vain qu’ils en cherchèrent quelques débris sur le sable… Pas un grain de cet or céleste, dont ils auraient pu se fabriquer une épingle de cravate ou un bouton de manchettes, en admettant que M. de Schack ne l’eût point réclamé pour son propre pays !

Du reste, dans leur commune douleur, il semblait que les deux rivaux ne fussent plus sous l’influence de leur jalousie, et cela à l’extrême joie de Francis Gordon, comme à la réelle satisfaction de M. Seth Stanfort et de Mrs Arcadia Walker. Et pourquoi ces anciens amis seraient-ils demeurés dans les termes d’une mortelle inimitié, puisqu’il n’y aurait même pas à donner leur nom à un météore qui n’existait plus.

Donc, il n’y avait qu’à s’éloigner des parages groenlandais, à revenir « bredouilles » – pour employer une juste expression de l’argot cynégétique –, à regagner des latitudes moins élevées de l’Amérique, de l’Asie, de l’Europe. Avant six semaines, la mer de Baffin, le détroit de Davis, seraient impraticables, les glaces les auraient envahis, et la flottille, actuellement mouillée devant Upernavik, eût été bloquée pour huit mois. Or, il ne convenait à aucun de ces passagers d’hiverner dans ces régions hyperboréennes.

Ah ! si le bolide eut été toujours là, s’il avait été nécessaire de monter la garde jusqu’au retour de la belle saison près de la sphère d’or, sûrement M. de Schack, peut-être même M. Dean Forsyth et le docteur Hudelson auraient bravé les rigueurs d’un hiver arctique. Mais, d’aérien qu’il fut, le bolide était devenu marin, et même sous-marin il n’y avait plus à s’en occuper.

Tous ces navires anglais, américains, danois, français, allemands, russes, levèrent l’ancre dans la matinée du 7 août, par une jolie brise du nord-est qui favorisa leur navigation à travers l’archipel d’Upernavik. Ce n’étaient point des voiliers, d’ailleurs, et ces steamers de bonne marche, leur hélice les mettrait rapidement hors du détroit.

S’il est inutile de dire que MM. Forsyth et Omicron, le docteur Hudelson, Francis Gordon avaient repris leur cabine à bord du Mozik, il ne l’est pas de dire que Mrs Arcadia Walker s’y était embarquée, ainsi que l’avait fait M. Seth Stanfort. M. de Schack ayant pris passage sur un navire danois qui retournait directement à Copenhague, sa cabine s’était trouvée libre, et on avait pu la mettre à la disposition de la passagère, désireuse de revenir par le plus court en Amérique.

La traversée du détroit de Davis ne fut pas trop méchante aux cœurs mal aguerris contre le mal de mer. À suivre la côte groenlandaise, le Mozik s’abritait contre les houles du large, et ce fut sans avoir été sérieusement éprouvés que ses passagers laissèrent en arrière le cap Farewell dans la soirée du 15 août.

Mais, à partir de ce moment, le roulis et le tangage ne tardèrent pas à faire de nouvelles victimes, et combien, uniquement pour satisfaire leur curiosité, regrettèrent de s’être aventurés dans un si inutile et si pénible voyage !

M. Forsyth et M. Hudelson se virent donc de nouveau réunis dans cette abominable communauté des haut-le-cœur, et Francis Gordon ne cessa de leur partager ses soins.

En ce qui concerne M. Seth Stanfort et Mrs Arcadia Walker, avec l’habitude de longues traversées, ils furent indemnes de tout mal, et, pour eux, le temps s’écoula en agréables conversations. Parlaient-ils du passé, parlaient-ils de l’avenir ? Grosse question… Francis Gordon, qui se mêlait souvent à leurs entretiens, put constater qu’une réciproque sympathie existait toujours entre les deux anciens époux séparés par la barrière du divorce.

À la première station sémaphorique devant laquelle parut le Mozik sur la côte américaine, il envoya une information faisant à la fois connaître et son prochain retour et quel avait été le dénouement de cette campagne dans les mers boréales.

Ce fut donc de ce steamer que vint la première nouvelle du météore, de sa chute sur l’île Upernavik, et de son engloutissement dans les profondeurs de la mer de Baffin.

Si cette nouvelle se répandit avec une extraordinaire rapidité, si les fils et les câbles télégraphiques la lancèrent à travers l’Ancien et le Nouveau Monde en quelques heures, si l’émotion fut grande en apprenant quelle avait été la fin déplorable, on pourrait même dire un peu ridicule, de ce bolide dont s’était si prodigieusement occupé la curiosité et aussi l’avidité humaines, inutile d’y insister. Affirmer que ce fut là un deuil public serait peut-être exagéré, mais, cependant, il n’y eut guère en Amérique que cet irrespectueux Punch de Whaston à rire de cette déconvenue météorologique.

À la date du 27 août, après une traversée que troublèrent trop souvent les vents de l’est au grand déplaisir de la plupart des passagers, le Mozik jeta l’ancre dans le port de Charleston.

De la Caroline du Sud à la Virginie, la distance n’est pas considérable et, d’ailleurs, les railroads ne manquent point aux États-Unis. Il suit de là que, dès le lendemain, 28 août, M. Dean Forsyth et Omicron, d’une part, M. Stanley Hudelson de l’autre, étaient de retour, les premiers à la tour d’Elizabeth-street, le second au donjon de Morris-street.

On les attendait depuis que la prochaine arrivée du Mozik avait été annoncée par le sémaphore américain. Mrs Hudelson et ses deux filles se trouvaient à la gare de Whaston lorsque le train de Charleston déposa les trois voyageurs. Et vraiment ils ne purent qu’être très touchés de l’accueil qui leur fut fait. Ni M. Forsyth ni le docteur ne parurent s’étonner que Francis Gordon pressât dans ses bras sa fiancée qui allait enfin devenir sa femme, ni qu’il eût cordialement embrassé Mrs Hudelson. Quant à cette étourdie de miss Loo, ne voilà-t-il pas qu’elle se jette au cou de M. Dean Forsyth, en lui disant :

« Eh bien, c’est fini, n’est-ce pas ? »

Et, en effet, c’était fini et comme le disaient volontiers les Latins dans la langue qui leur était familière : Sublata causa, tollitur effectus. Plus de cause, plus d’effet. C’est bien ce que firent remarquer les journaux de la localité, sans en excepter le Punch, qui publia un charmant article, plein d’humour sur le retour des anciens rivaux.

Il ne reste plus à mentionner que le 5 septembre les cloches de Saint-Andrew répandirent à toute volée leurs sonores ondulations sur la cité virginienne. C’est devant une assemblée, qui comprenait les parents, les amis des deux familles, les notabilités de la ville, que le révérend O’Garth célébra le mariage de Francis Gordon et de Jenny Hudelson, après tant de vicissitudes dues à la présence de cet invraisemblable météore sur l’horizon terrestre !

Et, qu’on n’en doute pas, la bonne Mitz, tout émue, était présente à la cérémonie, et miss Loo, toute charmante avec sa belle robe, prête depuis deux mois !…

Du reste, si les choses tournèrent si bien pour les familles Forsyth et Hudelson, elles prirent une non moins bonne tournure pour M. Seth Stanfort et Mrs Arcadia Walker.

Cette fois, ce ne fut ni à cheval, ni l’un après l’autre qu’ils présentèrent leurs papiers en règle, à la maison du juge Proth. Non ! ils y vinrent au bras l’un de l’autre. Et, lorsque le magistrat eut rempli son office en remariant les deux anciens époux séparés par un divorce de quelques semaines, il s’inclina galamment devant eux.

« Merci, monsieur Proth, dit Mrs Stanfort.

– Et adieu », ajouta M. Seth Stanfort.

Et lorsque ce digne philosophe se retrouva avec sa vieille servante, au moment où il retournait à son jardin :

« J’aurais peut-être mieux fait de ne pas leur dire adieu, lui déclara-t-il, mais au revoir ! »

FIN

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