CHAPITRE L.

Capdeville ou monsieur prothée. – Le faux traitant. – Simplicité de M. Séguin. – Le foin dans les bottes. – La veuve bien gardée. La persévérance. – Monsieur Fierval. – Une promenade. – L’amant de la nature. – Le fortuné pays ! – La panacée universelle. – La fontaine de Jouvence. – Une pincée, deux pincées. – La manière de s’en servir. – Les vertus miraculeuses de la toute bonne. – Grande herborisation. – Les simples se cherchent. – Je serai Rosière. – La Circé de Saint-Germain. – Au voleur, à l’assassin ! à la garde ! au feu ! – Une percée, grande découverte. – Désappointement d’un tapissier. – L’aveu naïf. – Visitez vos fauteuils. – Gare à la pimprenelle.

Un des plus adroits cambrioleurs était le nommé Lepetit Godet, dit Marquis, dit Durand, dit Capdeville ; ce serait à n’en plus finir, si je voulais consigner ici tous les noms et toutes les qualités qu’il a pris dans le cours de sa longue carrière, il fut tour à tour négociant, armateur, émigré, rentier, etc. Après avoir joué un des principaux rôles dans les bandes qui infestèrent si long-temps le midi de la France, il s’était réfugié à Rouen, lorsque par suite d’un vol qui lui fut imputé, il fut reconnu et condamné à perpétuité. C’était la septième ou huitième récidive dont il était convaincu. Capdeville avait pour affidés principaux, trois autres voleurs : Delsouc, Fiancette et Colonge, dont les noms méritent d’être cités dans l’histoire générale des larrons. Il avait débuté fort jeune dans le métier, et presque sexagénaire il l’exerçait encore. C’était alors un homme respectable : gros ventre, bonne face, usage du monde, rien ne lui manquait pour inspirer de la confiance à la première vue ; il avait en outre du tact, et connaissait fort bien la puissance de l’habit : pour dire que sa mise était celle d’un traitant ou d’un ex-fournisseur, il faudrait que je n’eusse pas vu l’illustre M. Séguin dans toute la simplicité de son costume. Afin de n’induire personne en erreur, je renonce donc à la comparaison, et j’imagine qu’on me comprendra quand j’aurai raconté que ce rusé coquin avait toutes les apparences rassurantes de ces particuliers dont le vêtement cossu fait présumer qu’ils ont du foin dans leurs bottes. Peu de cambrioleurs furent plus entreprenants et doués de plus de persévérance : un jour il lui vint à l’idée de voler une riche veuve qui demeurait à Saint-Germain-en-Laye, rue du Poteau-Juré ; d’abord il explore les approches de la place, et cherche vainement à s’y introduire. Il excellait à fabriquer les fausses clés ; mais les fausses clés ne se font pas au hasard, et il ne peut même parvenir à se procurer l’ombre d’une empreinte. Deux mois se passent en tentatives infructueuses : tout autre que Capdeville abandonnerait une entreprise qui présente tant de difficultés ; Capdeville s’est dit : je réussirai, et il ne veut pas en avoir le démenti. Une maison contiguë à celle de la veuve est occupée par un locataire, il projette de faire expulser celui-ci, et il manœuvre si bien, que bientôt il est installé à sa place. Monsieur Fierval est le nouveau voisin de la veuve : peste ! se dit-on dans l’endroit, ce n’est pas comme son prédécesseur, il est magnifiquement meublé, l’on voit bien que c’est quelqu’un comme il faut. Il y avait environ trois semaines qu’il était emménagé, lorsque la voisine, qui n’avait pas pris l’air depuis long-temps, se proposa de faire une petite promenade : elle va dans le parc, accompagnée de Marie, sa fidèle, domestique ; près de terminer cette excursion pastorale, elle est accostée par un étranger qui, dans l’attirail d’un disciple des Linné et des Tournefort, l’aborde, tenant d’une main son chapeau et de l’autre une plante.

« Vous voyez devant vous, madame, un amant de la nature, de cette belle nature dont furent éprises toutes les âmes nobles et tendres ; la botanique : voilà ma passion, elle fut aussi celle du sensible Jean-Jacques, du vertueux Bernardin de Saint-Pierre. À l’exemple de ces grands philosophes, je cherche des simples, et si je ne me trompe je serai assez heureux pour en rencontrer dans ce canton de bien précieuses ; ah ! madame, il serait à désirer pour le bien de l’humanité, que tout le monde connût les vertus de celle-ci. Connaissez-vous cette herbe ?

– » Ma foi, monsieur, elle n’est pas très rare dans les environs ; mais je vous avouerai mon ignorance : je ne sais ni son nom ni ses propriétés.

– » Elle n’est pas très rare ? dites-vous, ô fortuné pays ! elle n’est pas très rare ! Seriez-vous assez bonne pour m’indiquer les endroits où elle croît le plus abondamment ?

– » Volontiers, monsieur ; mais à quoi sert cette herbe, s’il vous plaît ?

– » À quoi, madame : à tout, c’est un vrai trésor, une panacée universelle ; avec cette herbe, on n’a plus que faire des médecins : prise en décoction, sa racine purifie la masse du sang, chasse les mauvaises humeurs, favorise la circulation, dissipe la mélancolie, donne de la souplesse aux membres, du jeu aux muscles, et guérit toutes les maladies jusqu’à cent ans… En infusion, sa tige fait merveille ; un paquet dans une baignoire et continuez-en l’usage, vous aurez découvert la fontaine de Jouvence ; sa feuille sur une plaie la cicatrise à l’instant.

– » Et sa fleur ?

– » Ah sa fleur ! c’est bien ici le cas de bénir la Providence ; si les femmes savaient : c’est une fleur de virginité, avec elle il n’est plus de veuves.

– » Elle me ferait retrouver un mari.

– » Mieux que cela, madame : ce serait comme si vous n’en aviez jamais eu ; une pincée, deux pincées, trois pincées, il n’y paraît plus.

– » Oh ! l’admirable fleur.

– » Vous avez bien raison de l’appeler admirable ; mais ajoutez qu’on peut en composer un filtre contre l’indifférence en matière de mariage.

– » Vous ne plaisantez pas ?

– » Non, madame, Dieu m’en garde ! lotion d’un côté, breuvage de l’autre, tout le secret est dans le mode de préparation et la manière de s’en servir…

– » Peut-être y aurait-il de l’indiscrétion à vous demander votre recette ?

– » Du tout, madame, demandez, je me ferai un plaisir de vous la communiquer.

– » Ah ! enseignez-moi d’abord le nom de cette simple intéressante ?

– » Le nom, madame, c’est tout simplement latoute bonne, que nous appelons aussi la bonne à tout.

– » Marie, la bonne à tout, entends-tu ? tu retiendras bien, la bonne à tout ; si nous conduisions monsieur au fond du parc, il me semble que là il y en a beaucoup.

– » Si ce n’était pas si loin, je vous mènerais bien où il y en a davantage ; il y en a, il y en a ; c’est comme du chiendent, j’en ai à des fois ramassé des fameuses brassées ; voyez un peu ce que c’est, quand ou ne connaît pas : c’est p’têtre ça que les lapins… Mais monsieur ne voudra pas venir jusque-là ?

– » J’irais au bout du monde, seulement je crains d’abuser de votre complaisance.

– » Ne craignez pas, monsieur, ne craignez pas, j’en serai assez payée puisque vous consentez.

– » Ah ! oui, c’est juste ; je n’y pensais pas. »

Marie guide le chercheur de simples qui, chemin faisant, explique à madame comment se font les infusions, les décoctions, les applications, les lotions et la sublime essence matrimoniale : Enfin l’on arrive ; jamais le botaniste n’a vu, en si grande quantité, la plante dont il vient de révéler les mérites ; il est transporté de joie, d’enthousiasme, de plaisir, et quand il s’est suffisamment extasié, il se met en devoir de cueillir… Madame fait aussi ses provisions, Marie en aura sa charge… On a herborisé de si bon cœur, qu’en moins de vingt minutes la pauvre fille ploie sous le fardeau, mais elle ne s’en plaint pas ; elle se propose même d’y revenir, car Marie n’a pas perdu un mot de la leçon pharmaceutique, et elle n’est pas moins avide d’expériences que sa maîtresse : trompée coup sur coup par deux palfreniers des gardes, elle en fréquente un troisième pour le bon motif ; et puis on parle de faire une Rosière à la prochaine fête patronale, si le choix pouvait tomber sur elle ! Dans tous les cas, si Marie n’est pas couronnée, elle pourra, du moins sans rougir, se parer du chapeau et faire le bonheur de son idéal, par un hymen sans précédents. Cet espoir lui donne des forces. Madame ne manque pas non plus de courage : l’herborisation est promptement terminée ; alors le botaniste et la veuve, se séparent après avoir fait entre eux un échange de remerciements. Le botaniste vole à de nouvelles découvertes, et la Circé de Saint-Germain en Laye regagne son manoir avec sa servante, fière pour la première fois de porter une botte de foin, pleine de beauté, de santé, de sagesse, de charmes, d’enchantements, etc.

On rentre au logis. Une si longue course a ouvert l’appétit à Madame. « Vite ! vite, Marie, mettez le couvert, et dînons.

– Mais, madame, il n’y a rien de prêt.

– C’est égal, nous mangerons les restes. Servez le poulet d’hier avec les merlans de ce matin. »

Marie, qui n’est pas moins affamée que sa maîtresse, s’empresse d’exécuter ses ordres.

« Ah ! mon dieu ! mon dieu ! mon dieu !

– » Marie, ne criez donc pas comme cela, vous me faites des souleurs !

– » Ah ! madame.

– » Mais qu’avez-vous, Marie ? vous vous seriez cassé une jambe…

– » L’argenterie…

– » Eh bien ! l’argenterie.

– » Nous sommes volées.

– » Voilà votre tête.

– » Je vous jure…

– » Taisez-vous, sans soin ! en lavant votre vaisselle, vous aurez laissé traîner un couvert : si je me lève, je parie que je vais mettre la main dessus.

– » Ah ! madame, ils ont tout pris.

– » Comment dites-vous ?

– » Est-il possible ! il n’y en a plus.

– » Il n’y en a plus ! Voyons un peu ce qu’elle prétend avec son… il n’y en a plus. Vous êtes bien bête, ma pauvre Marie. »

En prononçant ces mots, la veuve se lève impatientée, elle court au tiroir et pousse brusquement Marie. « Retirez-vous, pécore. Juste ciel ! ah ! quel malheur ! Oh ! les scélérats ! oh ! les coquins ! oh ! les misérables ! Mais bougez-vous donc, Marie, bougez-vous donc ! vous êtes là comme une momie. Allons, elle ne s’émouvera pas, la malheureuse ! Est-ce du lait qui coule dans vos veines ?

– » Mais, madame, que voulez-vous que je fasse ?

– » Ce sera encore une de vos gentillesses. J’ai beau vous recommander de fermer les portes ; tandis que vous aurez tourné les talons, on sera entré dans la salle à manger. C’est cela ; à notre retour, le verrou de sûreté n’était-il pas mis comme à nôtre départ ? regardez, moi, si jamais on me vole, je réponds que ce ne sera pas de ma faute : que j’aille, que je vienne, que j’entre, que je sorte, mes clefs ne me quittent pas : mais vous… ! Six mille francs d’argenterie… une belle journée que vous m’avez fait faire là. Je ne sais à quoi il tient que je vous… tenez, ôtez-vous de devant mes yeux ; ôtez-vous, vous dis-je. »

Marie épouvantée, se sauve dans une pièce voisine ; mais aussitôt revenant sur ses pas, elle jette un cri. « Dieu ! votre chambre est forcée, le secrétaire est ouvert, tout est sens dessus dessous. »

La veuve veut s’assurer si Marie ne se trompe pas. La catastrophe n’est que trop réelle ; d’un coup d’œil elle en a mesuré l’étendue. « Les monstres ! prononce-t-elle, je suis ruinée ! » et elle s’évanouit.

Marie s’élance vers une croisée, elle appelle du secours. « Au voleur ! à l’assassin ! à la garde ! au feu ! » telles sont les paroles d’alerte dont elle fait retentir la rue du Poteau. Les habitants, les gendarmes, le commissaire envahissent la maison ; du comble au rez-de-chaussée, on fait une perquisition générale, et l’on ne trouve personne. Alors un des assistants fait la proposition de descendre à la cave. « À la cave, à la cave, » répète-t-on à l’unanimité. On allume les chandelles, et tandis que Marie prodigue des soins à sa maîtresse, qui a enfin repris ses esprits, le commissaire, précédé de ses éclaireurs, effectue la descente proposée. On visite un premier caveau, rien ; un second, rien encore ; un troisième, celui-ci est contigu à la cave du voisin : à terre sont quelques débris de plâtras, on avance, et dans le mur mitoyen on aperçoit… une ouverture assez grande pour donner passage à un homme. Dès ce moment, tout est expliqué : deux heures auparavant on a vu une voiture stationner devant la porte du gros monsieur de Paris, c’est ainsi que l’on désigne Capdeville, qui, assure-t-on, est monté dans cet équipage, après y avoir fait placer une malle, qui semblait très lourde. Cette malle contenait l’or, l’argent, les bijoux et l’argenterie de la veuve ; il y en avait pour une somme considérable. Capdeville ne reparut plus, et il ne fut pas possible de le joindre ; seulement quelques jours après, on se présenta pour réclamer les meubles qui garnissaient son appartement : qui faisait cette réclamation ? un envoyé de Capdeville ? non : le tapissier qui avait vendu à crédit. On lui raconta l’histoire de la toute bonne.

La veuve, qu’il alla voir, lui montra sa botte de foin. « Ah ! dit-il, en considérant ce témoignage d’une mystification cruelle, je n’ai qu’un regret.

– » Lequel ?

– » C’est de ne pas en avoir mis quatre fois plus dans ses fauteuils ; mais on peut ouvrir les canapés, si l’on y trouve un crin… »

De ce regret, il ressort une bien grande vérité, c’est que tous les chercheurs de simples ne sont pas dans le parc de Saint-Germain… Si nos chevaux ont la queue courte, la faute n’en est pas aux tapissiers de la rue de Cléry ; s’ils ont les dents longues, c’est autre chose, ces messieurs ont mis l’enchère sur les fourrages.

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