CHAPITRE XLI

Les glaces enlevées. – Un beau jeune homme. – Mes quatre états. – La fringale. – Le connaisseur. – Le Turc qui a vendu ses odalisques. – Point de complices. – Le général Bouchu. – L’inconvénient des bons vins. – Le petit saint Jean. – Le premier dormeur de France. – Le grand uniforme et les billets de banque. – La crédulité d’un recéleur. – Vingt-cinq mille francs de flambés. – L’officieux. – Capture de vingt-deux voleurs. – L’adorable cavalier. – Le parent de tout le monde. – Ce que c’est d’être lancé. – Les Lovelaces de carcan. – L’aumônier du régiment. – Surprise au café Hardi. – L’Anacréon des galères. – Encore une petite chanson. – Je vais à l’affût aux Tuileries. – Un grand seigneur. – Le directeur de la police du château. – Révélations au sujet de l’assassinat du duc de Berry. – Le géant des voleurs. – Paraître et disparaître. – Une scène par madame de Genlis. – Je suis accoucheur. – Les synonymes. – La mère et l’enfant se portent bien. – Une formalité. – Le baptême. – Il n’y a pas de dragées. – Ma commère à Saint-Lazare. – Un pendu. – L’allée des voleurs. – Les médecins dangereux. – Craignez les bénéfices. – Je revois d’anciens amis. – Un dîner au Capucin. – J’enfonce les Bohémiens. – Un tour chez la duchesse. – On retrouve les objets. – Deux montagnes ne se rencontrent pas. – La bossue moraliste. – La foire de Versailles. – Les insomnies d’une marchande de nouveautés. – Les ampoules et la chasse aux punaises. – Amour et tyrannie. – Le grillage et les rideaux verts. – Scènes de jalousie. – je m’éclipse.

Peu de temps après la difficile exploration qui fut si fatale au tonnelier, je fus chargé de rechercher les auteurs d’un vol de nuit, commis, à l’aide d’escalade et d’effraction, dans les appartements du prince de Condé, au palais Bourbon. Des glaces d’un très grand volume en avaient disparu, et leur enlèvement s’était effectué avec tant de précaution, que le sommeil de deux cerbères, qui suppléaient à la vigilance du concierge, n’en avait pas été troublé un instant. Les parquets dans lesquels ces glaces étaient enchâssées n’ayant point été endommagés, je fus d’abord porté à croire qu’elles en avaient été extraites par des ouvriers miroitiers ou tapissiers ; mais à Paris, ces ouvriers sont nombreux, et parmi eux, je n’en connaissais aucun sur qui je pusse, avec quelque probabilité, faire planer mes soupçons. Cependant j’avais à cœur de découvrir les coupables, et pour y parvenir, je me mis en quête de renseignements. Le gardien d’un atelier de sculpture, établi près du quinconce des invalides, me fournit la première indication propre a me guider : vers trois heures du matin, il avait vu près de sa porte, plusieurs glaces gardées par un jeune homme qui prétendait avoir été obligé de les entreposer dans cet endroit, en attendant le retour de ses porteurs, dont le brancard s’était rompu. Deux heures après, le jeune homme ayant ramené deux commissionnaires, leur avait fait enlever les glaces, et s’était dirigé avec eux du côté de la fontaine des Invalides. Au dire du gardien, l’individu qu’il signalait pouvait être âgé d’environ vingt-trois ans, et n’avait guères que cinq pieds un pouce ; il était vêtu d’une redingote de drap gris foncé, et avait une assez jolie figure. Ces données ne me furent pas immédiatement utiles, mais elles me conduisirent indirectement à trouver un commissionnaire qui, le lendemain du vol, avait transporté des glaces d’une belle grandeur, rue Saint Dominique, où il les avait déposées dans le petit hôtel Caraman. Il se pouvait bien que ces glaces ne fussent pas celles qui avaient été volées ; et puis, en supposant que ce fussent elles, qui me répondait quelles n’avaient pas changé de domicile et de propriétaire ? On m’avait désigné la personne qui les avait reçues ; je résolus de m’introduire chez elle, et pour ne lui inspirer aucune crainte, ce fut dans l’accoutrement d’un cuisinier que je résolus de m’offrir à ses regards. La veste d’indienne et le bonnet de coton sont les insignes de la profession ; je m’en affuble, et après m’être bien pénétré de l’esprit de mon rôle, je me rends au petit hôtel de Caraman, où je monte au premier. La porte est fermée ; je frappe, on m’ouvre : c’est un fort beau jeune homme, qui s’enquiert du motif qui m’amène. Je lui remets une adresse, et lui dis qu’informé qu’il avait besoin d’un cuisinier, je prenais la liberté de venir lui offrir mes services. « Mon Dieu ! mon ami, me répondit-il, vous êtes probablement dans l’erreur, l’adresse que vous me donnez ne porte pas mon nom ; comme il y a deux rues Saint Dominique, c’est sans doute dans l’autre qu’il vous faut aller. »

Tous les Ganimèdes n’ont pas été ravis dans l’Olympe : le beau garçon qui me parlait affectait des manières, des gestes, un langage qui, joints à sa mise, me montrèrent tout d’un coup à qui j’avais affaire. Je pris aussitôt le ton d’un initié aux mystères des ultra-philanthropes, et après quelques signes qu’il comprit parfaitement, je lui exprimai combien j’étais fâché qu’il n’eût pas besoin de moi : « Ah ! monsieur, lui dis-je, je préférerais rester avec vous, lors même que vous ne me donneriez que la moitié de ce que je puis gagner ailleurs ; si vous saviez combien je suis malheureux ; voilà six mois que je suis sans place, et je ne mange pas tous les jours… Croiriez-vous qu’il y a bientôt trente-six heures que je n’ai rien pris ?

– » Vous me faites de la peine, mon bon ami ; comment donc, vous êtes encore à jeun ! allons, allons, vous dînerez ici. »

J’avais en effet une faim capable de donner au mensonge que je venais de faire toutes les apparences d’une vérité : un pain de deux livres, une moitié de volaille, du fromage et une bouteille de vin qu’il me servit, ne séjournèrent pas long-temps sur la table ; une fois rassasié, je me mis à l’entretenir de ma fâcheuse position. « Voyez, monsieur, lui dis-je, s’il est possible d’être plus à plaindre ; je sais quatre métiers, et des quatre je ne puis en utiliser un seul ; tailleur, chapelier, cuisinier ; je fais un peu de tout, et n’en suis pas plus avancé. Mon premier état était tapissier-miroitier.

– » Tapissier-miroitier, reprit-il vivement ! »

Et sans lui laisser le temps de réfléchir à l’imprudence de cette espèce d’exclamation : « Eh oui ! poursuivis-je, tapissier-miroitier ; c’est celui de mes quatre métiers que je connais le mieux, mais les affaires vont si mal qu’on ne fait presque plus rien en ce moment.

– » Tenez, mon ami, me dit le charmant jeune homme, en me présentant un petit verre, c’est de l’eau-de-vie, cela vous fera du bien ; vous ne sauriez croire combien vous m’intéressez, je veux vous donner de l’ouvrage pour quelques jours.

– » Ah ! monsieur, vous êtes trop bon, vous me rachetez la vie ; dans quel genre, s’il vous plaît, vous conviendrait-il de m’occuper ?

– » Dans l’état de miroitier.

– » Si vous avez des glaces à arranger, trumeau, Psyché, bonheur du jour, joie de Narcisse, n’importe, vous n’avez qu’à me les confier, je vous ferai, comme on dit, voir un plat de mon métier.

– » J’ai des glaces de toute beauté ; elles étaient à ma campagne, d’où je les ai fait revenir, de peur qu’il ne prît à messieurs les Cosaques la fantaisie de les briser.

– » Vous avez très bien fait ; mais pourrait-on les voir ?

– » Oui, mon ami. »

Il me fait passer dans un cabinet, et à la première vue, je reconnais les glaces du palais Bourbon. Je m’extasie sur leur beauté, sur leur dimension, et après les avoir examinées avec la minutieuse attention d’un homme qui s’y entend, je fais l’éloge de l’ouvrier qui les a démontées sans en avoir endommagé le tain.

« L’ouvrier, mon ami, me dit-il, l’ouvrier, c’est moi ; je n’ai pas voulu que personne y touchât, pas même pour les charger sur la voiture.

– » Ah ! monsieur, je suis fâché de vous donner un démenti, mais ce que vous me dites est impossible, il faudrait être du métier pour entreprendre une besogne semblable, et encore le meilleur ouvrier n’en viendrait-il pas à bout seul. » Malgré l’observation, il persista à soutenir qu’il n’avait pas eu d’aide ; et comme il ne m’eût servi à rien de le contrarier, je n’insistai pas.

Un démenti était une impolitesse dont il aurait pu se formaliser, il ne me parla pas avec moins d’aménité, et après m’avoir à peu près donné ses instructions, il me recommanda de revenir le lendemain, afin de me mettre au travail le plutôt possible. « N’oubliez pas d’apporter votre diamant, je veux que vous me débarrassiez de ces ceintres qui ne sont plus de mode. »

Il n’avait plus rien à me dire, et je n’avais plus rien à apprendre : je le quittai et allai rejoindre deux de mes agents, à qui je donnai le signalement du personnage, en leur prescrivant de le suivre dans le cas où il sortirait. Un mandat était nécessaire pour opérer l’arrestation, je me le procurai, et bientôt après, ayant changé de costume, je revins, assisté du commissaire de police et de mes agents, chez l’amateur de glaces, qui ne m’attendait pas sitôt. Il ne me remit pas d’abord ; ce ne fut que vers la fin de la perquisition, que m’examinant plus attentivement, il me dit : « Je crois vous reconnaître : n’êtes-vous pas cuisinier ?

– » Oui, monsieur, lui répondis-je ; je suis cuisinier, tailleur, chapelier, miroitier, et qui plus est, mouchard pour vous servir. » Mon sang-froid le déconcerta tellement qu’il n’eut plus la force de prononcer un seul mot.

Ce monsieur se nommait Alexandre Paruitte, outre les glaces et deux Chimères en bronze doré qu’il avait prises au palais Bourbon, on trouva chez lui quantité d’objets, provenant d’autres vols. Les inspecteurs qui m’avaient accompagné dans cette expédition se chargèrent de conduire Paruitte au dépôt, mais chemin faisant, ils eurent la maladresse de le laisser échapper. Ce ne fut que dix jours après que je parvins à le rejoindre à la porte de l’ambassadeur de sa Hautesse le sultan Mahmoud ; je l’arrêtai au moment où il montait dans le carrosse d’un Turc qui vraisemblablement avait vendu ses odalisques.

Je suis encore à m’expliquer comment, malgré des obstacles que les plus experts d’entre les voleurs jugeraient insurmontables, Paruitte a pu effectuer le vol qui lui a procuré deux fois l’occasion de me voir. Cependant il paraît constant qu’il n’avait point de complices, puisque, dans le cours de l’instruction, par suite de laquelle il a été condamné aux fers, aucun indice, même des plus légers, n’a pu faire supposer la participation de qui que ce soit.

À peu-près à l’époque où Paruitte enlevait les glaces du palais Bourbon, des voleurs s’introduisirent nuitamment rue de Richelieu, numéro 17, dans l’hôtel de Valois, où ils dévalisèrent M. le maréchal-de-camp Bouchu. On évaluait à une trentaine de mille francs les effets dont ils s’étaient emparés. Tout leur avait été bon, depuis le modeste mouchoir de coton jusqu’aux torsades étoilées du général ; ces messieurs, habitués à ne rien laisser traîner, avaient même emporté le linge destiné à la blanchisseuse. Ce système, qui consiste à ne pas vouloir faire grâce d’une loque à la personne que l’on vole, est par fois fort dangereux pour les voleurs, car son application nécessite des recherches et entraîne des lenteurs qui peuvent leur devenir funestes. Mais, en cette occasion, ils avaient opéré en toute sûreté ; la présence du général dans son appartement leur avait été une garantie qu’ils ne seraient pas troublés dans leur entreprise, et ils avaient vidé les armoires et les malles avec la même sécurité qu’un greffier qui procède à un inventaire après décès. Comment, va-t-on me dire, le général était présent ? Hélas ! oui ; mais quand on prend sa part d’un excellent dîner, qu’on ne se doute guère de ce qu’il en adviendra ! Sans haine et sans crainte, sans prévision surtout, on passe gaîment du Beaune au Chambertin, du Chambertin au Clos-Vougeot, du Clos-Vougeot au Romanée ; puis, après avoir ainsi parcouru tous les crus de la Bourgogne, en montant l’échelle des renommées, on se rabat en Champagne sur le pétillant , et trop heureux alors le convive qui, plein des souvenirs de ce joyeux pèlerinage, ne s’embrouille pas au point de ne pouvoir retrouver son logis ! Le général, à la suite d’un banquet de ce genre, s’était maintenu dans la plénitude de sa raison, je me plais du moins à le croire, mais il était rentré chez lui accablé de sommeil, et comme, dans cette situation, on est plus pressé de gagner son lit que de fermer une fenêtre, il avait laissé la sienne ouverte pour la commodité des allants et des venants. Quelle imprudence ! Pour qu’il s’endormît, il n’avait pas fallu le bercer : j’ignore s’il avait fait d’agréables songes, mais ce qui demeura constant pour moi, à la lecture de la plainte qu’il avait déposée, c’est qu’il s’était réveillé comme un petit saint Jean.

Quels individus l’avaient dépouillé de la sorte ? Il n’était pas aisé de les découvrir ; et, pour le moment, tout ce que l’on pouvait dire d’eux, avec certitude, c’est qu’ils avaient ce qu’on appelle du toupet, puisque après avoir rempli certaines fonctions dans la cheminée de la chambre où reposait le général, abominables profanateurs, ils avaient poussé l’irrévérence jusqu’à se servir de ses brevets, de manière à prouver qu’ils le tenaient pour le premier dormeur de France.

J’étais bien curieux de connaître les insolents à qui devait être imputé un vol accompagné de circonstances si aggravantes. À défaut d’indices d’après lesquels je pusse essayer de me tracer une marche, je me laissai aller à cette inspiration qui m’a si rarement trompé. Il me vint tout à coup à l’idée que les voleurs qui s’étaient introduits chez le général pourraient bien faire partie de la clientèle d’un nommé Perrin, ferrailleur, que l’on m’avait depuis long-temps signalé comme un des recéleurs les plus intrépides. Je commençai par faire surveiller les approches du domicile de Perrin, qui était établi rue de la Sonnerie, numéro 1 ; mais au bout de quelques jours, cette surveillance n’ayant eu aucun résultat, je restai persuadé que, pour atteindre le but que je m’étais proposé, il était nécessaire d’employer la ruse. Je ne pouvais pas m’aboucher avec Perrin, car il savait qui j’étais, mais je fis la leçon à l’un de mes agents qui ne devait pas lui être suspect. Celui-ci va le voir ; on cause de choses et d’autres ; on en vient à parler des affaires : « Ma foi, dit Perrin, on n’en fait pas de trop bonnes.

– » Comment les voulez-vous donc, répartit l’agent ? je crois que ceux qui ont été chez ce général, dans l’hôtel de Valois, n’ont pas à se plaindre. Quand je pense que seulement dans son grand uniforme il avait caché pour vingt-cinq mille francs de billets de banque. »

Perrin, était pourvu d’une telle dose de cupidité et d’avarice, que s’il était possesseur de l’habit, ce mensonge, qui lui révélait une richesse sur laquelle il ne comptait pas, devait nécessairement faire sur lui une impression de joie qu’il ne serait pas le maître de dissimuler ; si l’habit lui avait passé par les mains, et que déjà il en eût disposé, c’était une impression contraire qui devait se manifester : j’avais prévu l’alternative. Les yeux de Perrin ne brillèrent pas tout à coup, le sourire ne vint pas se placer sur ses lèvres, mais en un instant son visage devint de toutes les couleurs ; en vain s’efforçait-il de déguiser son trouble, le sentiment de la perte se prononçait chez lui avec tant de violence qu’il se mit à frapper du pied et à s’arracher les cheveux : « Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! s’écria-t-il, ces choses-là ne sont faites que pour moi, faut-il que je sois malheureux !

– » Eh bien ! qu’avez-vous donc ? est-ce que vous auriez acheté… ?

– » Eh ! oui, je l’ai acheté, ça se demande-t-il ? mais je l’ai revendu.

– » Vous savez à qui ?

– » Sûrement je sais à qui ; au fondeur du passage Feydeau, pour qu’il brûle les broderies.

– » Allons, ne vous désespérez pas, il y a peut-être du remède, si le fondeur est un honnête homme… »

Perrin, faisant un saut : « Vingt-cinq mille francs de flambés ! vingt-cinq mille francs ! ça ne se trouve pas sous le pied d’un cheval ; mais pourquoi aussi me suis-je tant pressé ? Si je m’en croyais, je me ficherais des coups.

– » Eh bien, moi, si j’étais à votre place, je tâcherais tout simplement de ravoir les broderies avant qu’elles soient mises au creuset… Tenez, si vous voulez, je me charge d’aller chez le fondeur, je lui dirai qu’ayant trouvé le placement des broderies pour des costumes de théâtre, vous désirez les racheter. Je lui offrirai un bénéfice, et probablement il ne fera aucune difficulté de me les remettre. »

Perrin, jugeant l’expédient admirable, accepta la proposition avec enthousiasme, et l’agent, pressé de lui rendre service, accourut pour me donner avis de ce qui s’était passé.

Aussitôt, muni de mandats de perquisition, je fis une descente chez le fondeur : les broderies étaient intactes, je les remis à l’agent pour les reporter à Perrin, et au moment où ce dernier, impatient de saisir les billets, donnait le premier coup de ciseaux dans les parements, je parus avec le commissaire… On trouva chez Perrin toutes les preuves du trafic illicite auquel il se livrait : une foule d’objets volés fut reconnue dans ses magasins. Ce recéleur, conduit au dépôt, fut immédiatement interrogé, mais il ne donna d’abord que des renseignements vagues, dont il n’y eut pas moyen de tirer parti.

Après sa translation à la Force, j’allai le voir pour le solliciter de faire des révélations, je ne pus obtenir de lui que des signalements et des indications ; il ignorait, disait-il, les noms des personnes de qui il achetait habituellement. Néanmoins, le peu qu’il m’apprit m’aida à former des soupçons plausibles, et à rattacher mes soupçons à des réalités. Je fis passer successivement devant lui une foule de suspects, et sur sa désignation, tous ceux qui étaient coupables furent mis en jugement. Vingt-deux furent condamnés aux fers ; parmi les contumaces était un des auteurs du vol commis au préjudice du général Bouchu. Perrin fut atteint et convaincu de recel ; mais, attendu l’utilité des renseignements qu’il avait fournis, on ne prononça contre lui que le minimum de la peine.

Peu de temps après, deux autres recéleurs, les frères Perrot, dans l’espoir de disposer les juges à l’indulgence, imitèrent la conduite de Perrin, non seulement en faisant des aveux, mais en déterminant plusieurs détenus à signaler leurs complices. Ce fut d’après leurs révélations que j’amenai sous la main de la justice deux voleurs fameux, les nommés Valentin et Rigaudi dit Grindesi.

Jamais peut-être à Paris il n’y eut un plus grand nombre de ces individus qui cumulent les professions de voleur et de chevalier d’industrie, que dans l’année de la première restauration. L’un des plus adroits et des plus entreprenants était le nommé Winter de Sarre-Louis.

Winter n’avait pas plus de vingt-six ans ; c’était un de ces beaux bruns, dont certaines femmes aiment les sourcils arqués, les longs cils, le nez proéminent et l’air mauvais sujet. Winter avait en outre la taille élancée et l’aspect dégagé qui ne messied pas du tout à un officier de cavalerie légère ; aussi donnait-il la préférence au costume militaire, qui faisait le mieux ressortir tous les avantages de sa personne. Aujourd’hui il était en hussard, demain en lancier, d’autres fois il paraissait sous un uniforme de fantaisie. Au besoin, il était chef d’escadron, commandant d’état-major, aide de camp, colonel, etc. ; il ne sortait pas des grades supérieurs, et pour s’attirer encore plus de considération, il ne manquait pas de se donner une parenté recommandable : il fut tour à tour le fils du vaillant Lasalle, celui du brave Winter, colonel des grenadiers à cheval de la garde impériale ; le neveu du général comte de Lagrange, et le cousin germain de Rapp ; enfin, il n’y avait pas de nom qu’il n’empruntât ni de famille illustre à laquelle il ne se vantât d’appartenir. Né de parents aisés, Winter avait reçu une éducation assez brillante pour être la hauteur de toutes ces métamorphoses ; l’élégance de ses formes et une tournure des plus distinguées complétaient l’illusion.

Peu d’hommes avaient mieux débuté que Winter : jeté de bonne heure dans la carrière des armes, il obtint un avancement assez rapide ; mais devenu officier, il ne tarda pas à perdre l’estime de ses chefs, qui, pour le punir de son inconduite, l’envoyèrent à l’île de Rhé, dans un des bataillons coloniaux. Là il se comporta quelque temps de manière à faire croire qu’il s’était corrigé. Mais on ne lui eut pas plutôt accordé un grade, que s’étant permis de nouvelles incartades, il se vit obligé de déserter pour se soustraire au châtiment. Il vint alors à Paris où ses exploits, soit comme escroc, soit comme filou, lui valurent bientôt le triste honneur d’être signalé à la police comme l’un des plus habiles dans ce double métier.

Winter, qui était ce qu’on appelle lancé, fit une foule de dupes dans les classes les plus élevées de la société ; il fréquentait des princes, des ducs, des fils d’anciens sénateurs ; et c’était sur eux ou sur les dames de leurs sociétés clandestines qu’il faisait l’expérience de ses funestes talents. Celles-ci surtout, quelque averties qu’elles fussent, ne l’étaient jamais assez pour ne pas céder à l’envie de se faire dépouiller par lui. Depuis plusieurs mois, la police était à la recherche de ce séduisant jeune homme, qui, changeant sans cesse d’habits et de logements, lui échappait toujours au moment où elle se flattait de le saisir, lorsqu’il me fut ordonné de me mettre en chasse afin de tenter sa capture.

Winter était un de ces Lovelaces de carcan, qui ne trompent jamais une femme sans la voler. J’imaginai que parmi ses victimes, il s’en trouverait au moins une qui, par esprit de vengeance, serait disposée à me mettre sur les traces de ce monstre. À force de chercher, je crus avoir rencontré cette auxiliaire bénévole ; mais comme par fois ces sortes d’Arianes, tout abandonnées qu’elles sont, répugnent à immoler un perfide, je résolus de n’aborder celle-ci qu’avec précaution. Avant de rien entreprendre, il fallait sonder le terrain, je me gardai donc bien de manifester des intentions hostiles à l’égard de Winter, et pour ne pas effaroucher ce reste d’intérêt, qui, en dépit des procédés indignes, subsiste toujours dans un cœur sensible, ce fut en qualité d’aumônier du régiment qu’il était censé commander, que je m’introduisis près de la ci-devant maîtresse du prétendu colonel. Mon costume, mon langage, la manière dont je m’étais grimé, étant en parfaite harmonie avec le rôle que je devais jouer, j’obtins d’emblée la confiance de la belle délaissée, qui me donna à son insu tous les renseignements dont j’avais besoin. Elle me fit connaître sa rivale préférée, qui déjà fort maltraitée par Winter, avait encore la faiblesse de le voir, et ne pouvait s’empêcher de faire pour lui de nouveaux sacrifices.

Je me mis en rapport avec cette charmante personne, et pour être bien vu d’elle, je m’annonçai comme un ami de la famille de son amant ; les parents de ce jeune étourdi m’avaient chargé d’acquitter ses dettes, et si elle consentait à me ménager une entrevue avec lui, elle pouvait compter qu’elle serait satisfaite la première. Madame *** n’était pas fâchée de trouver cette occasion de réparer les brèches faites à son petit avoir ; un matin elle me fit remettre un billet pour m’avertir que le soir même, elle devait dîner avec son amant sur le boulevard du Temple, à la Galiote. Dès quatre heures, j’allai, déguisé en commissionnaire, me poster près de la porte du restaurant ; et il y avait environ deux heures que je faisais faction, lorsque je vis venir de loin un colonel de hussards, c’était Winter, suivi de deux domestiques ; je m’approche, et m’offre à garder les chevaux ; on accepte, Winter met pied à terre, il ne peut m’échapper, mais ses yeux ayant rencontré les miens, d’un saut il s’élance sur son coursier, pique des deux et disparaît.

J’avais cru le tenir, mon désappointement fut grand. Toutefois je ne désespérais pas de l’appréhender. À quelque temps de là, je fus informé qu’il devait se rendre au café Hardi, sur le boulevard des Italiens : je l’y devançai avec quelques-uns de mes agents, et quand il arriva, tout avait été si bien disposé, qu’il n’eut plus qu’à monter dans un fiacre, dont j’avais fait les frais. Conduit devant le commissaire de police, il voulut soutenir qu’il n’était pas Winter, mais malgré les insignes du grade qu’il s’était conféré, et la longue brochette de décorations fixées sur sa poitrine, il fut bien et dûment constaté qu’il était l’individu désigné dans le mandat dont j’étais porteur.

Winter fut condamné à huit ans de réclusion ; il serait aujourd’hui libéré, mais un faux dont il se rendit coupable durant sa détention à Bicêtre, lui ayant valu un supplément de huit ans de galères, à l’expiration de la première peine, il fut envoyé au bagne, où il est encore. Il partit en déterminé. Cet aventurier ne manquait pas d’esprit ; il est, assure-t-on, l’auteur d’une foule de chansons, fort en vogue parmi les forçats, qui le regardent comme leur Anacréon. Voici l’une de celles qu’on lui attribue.

Air : de l’Heureux pilote.

Travaillant d’ordinaire

La sorgue dans Pantin,

Dans mainte et mainte affaire

Faisant très bon choppin.

Ma gente cambriote,

rendoublée de camelotte,

De la dalle au flaquet ;

Je vivais sans disgrâce,

Sans regoût ni morace,

Sans taff et sans regret.

J’ai fait par comblance

Gironde larguecapé,

Soiffant piéton sans lance,

Pivois non maquillé,

Tirants, passe à la rousse,

Attaches de gratousse,

Combriot galuché

Cheminant en bon drille,

Un jour à la Courtille,

J’m’en étais enganté.

En faisant nos gambades

Un grand messière franc

Voulant faire parade,

Serre un bogue d’orient.

Après la gambriade,

Le filant sus l’estrade,

D’esbrouf je l’estourbis,

J’enflaque sa limace,

Son bogue, ses frusques, ses passes,

J’m’en fus au fouraillis.

Par contretemps, ma largue,

Voulant se piquer d’honneur,

Craignant que je la nargue,

Moi qui n’suis pas taffeur,

Pour gonfler ses valades,

Encasque dans un rade,

Sert des sigues à foison ;

On la crible à la grive,

Je m’la donne et m’esquive,

Elle est pommée maron.

Le quart d’œil lui jabotte

Mange sur tes nonneurs,

Lui tire une carotte,

Lui montant la couleur.

L’on vient, on me ligotte,

Adieu ma cambriote,

Mon beau pieu, mes dardants.

Je monte à la cigogne,

On me gerbe à la grotte

Au tap et pour douze ans.

Ma largue n’sera plus gironde,

Je serai vioc aussi ;

Faudra, pour plaire au monde,

Clinquant, frusque, maquis.

Tout passe dans la tigne,

Et quoiqu’on en jaspine,

C’est un f… flanchet.

Douz, longes de tirade,

Pour une rigolade,

Pour un moment d’attrait.

Winter, lorsque je l’arrêtai ; avait beaucoup de confrères dans Paris : les Tuileries étaient notamment l’endroit où l’on rencontrait le plus de ces brillants voleurs, qui se recommandaient à la publique vénération, en se parant effrontément des croix de toutes les chevaleries. Aux yeux de l’observateur qui sait s’isoler des préventions de parti, le Château était alors moins une résidence royale qu’une forêt infestée de brigands. Là affluaient une foule de galériens, d’escrocs, de filous de toute espèce, qui se présentaient comme les anciens compagnons d’armes des Charette, des La Roche-Jaquelin, des Stoflet, des Cadoudal, etc. Les jours de revue et de grande réception, on voyait accourir au rendez-vous tous ces prétendus héros de la fidélité. En ma qualité d’agent supérieur de la police secrète de sûreté, je pensai qu’il était de mon devoir de surveiller ces royalistes de circonstances. Je me postai donc sur leur passage, soit dans les appartements, soit au dehors, et bientôt je fus assez heureux pour en réintégrer quelques-uns dans les bagnes.

Un dimanche qu’avec un de mes auxiliaires, j’étais à l’affût sur la place du Carousel, nous aperçûmes, sortant du pavillon de Flore, un personnage dont le costume, non moins riche qu’élégant, attirait tous les regards : ce personnage était tout au moins un grand seigneur ; n’eût-il pas été chamarré de cordons, on l’aurait reconnu à la délicatesse de ses broderies, à la fraîcheur de sa plume, au nœud étincelant de son épée… mais aux yeux d’un homme de police, tout ce qui reluit n’est pas or. Celui qui m’accompagnait prétendit, en me faisant remarquer le grand seigneur, qu’il y avait une ressemblance frappante entre lui et le nommé Chambreuil, avec qui il s’était trouvé au bagne de Toulon. J’avais eu l’occasion de voir Chambreuil ; j’allai me placer devant lui, afin de le regarder de face, et malgré l’habit à la française, le jabot à points d’Angleterre, le crapaud, les manchettes, je reconnus sans peine l’ex-forçat : c’était bien Chambreuil, un fameux faussaire, à qui ses évasions avaient fait un grand renom parmi les galériens. Sa première condamnation datait de nos belles campagnes d’Italie. À cette époque, il avait suivi nos phalanges pour être plus à portée d’imiter les signatures de leurs fournisseurs. Il avait un véritable talent pour ce genre d’imitation, mais ayant trop prodigué les preuves de son habileté, il avait fini par s’attirer une condamnation à trois ans de fers. Trois ans sont bientôt écoulés, Chambreuil ne put cependant se résoudre à subir sa prison, il s’évada, et accourut à Paris, où, pour vivre honorablement, il mit en circulation bon nombre de billets de portefeuilles qu’il fabriquait lui-même. On lui fit encore un crime de cette industrie ; traduit devant les tribunaux, il succomba et fut envoyé à Brest, où, en vertu d’une sentence, il devait faire un séjour de huit ans. Chambreuil parvint de nouveau à rompre son banc ; mais comme le faux était sa ressource ordinaire, il se fit reprendre une troisième fois, et fit partie d’une chaîne que l’on expédia pour Toulon. À peine arrivé, il tenta encore de brûler la politesse à ses gardiens ; arrêté et ramené au bagne, il fut placé dans la trop fameuse salle n° 3, où il fit son temps, augmenté de trois années.

Pendant cette détention, il chercha à se distraire, partageant ses loisirs entre la dénonciation et l’escroquerie qui n’étaient pas moins de son goût l’une que l’autre : son moyen de prédilection était des lettres imaginaires, qui, à sa sortie du bagne, lui valurent deux ans de réclusion dans la prison d’Embrun. Chambreuil venait d’y être conduit, lorsque S. A. R. le duc d’Angoulême, passant dans cette ville, il fit tenir à ce prince un placet dans lequel il se représentait comme un ancien vendéen, un serviteur dévoué, à qui son royalisme avait attiré des persécutions. Chambreuil fut immédiatement élargi, et bientôt après, il recommença à user de sa liberté comme il avait fait toujours.

Quand nous le découvrîmes, à l’étalage qu’il faisait, il nous fut aisé de juger qu’il était dans une bonne veine de fortune ; nous le suivîmes un instant afin de nous assurer que c’était bien lui, et dès qu’il n’y eut plus de doute, je l’abordai de front, et lui déclarai qu’il était mon prisonnier. Chambreuil crut alors m’imposer en me crachant au visage une effrayante série de qualités et de titres dont il se disait revêtu. Il n’était rien moins que directeur de la police du Château, et chef des haras de France ; et moi j’étais un misérable dont il ferait châtier l’insolence. Malgré la menace, je ne persistai pas moins à vouloir qu’il montât dans un fiacre ; et comme il faisait difficulté d’obéir, nous prîmes sur nous de l’y contraindre par la violence.

En présence de M. Henry, M. le directeur de la police du Château ne se déconcerta pas ; loin de là, il prit un ton de supériorité arrogante, qui fit trembler les chefs de la préfecture ; tous redoutaient que je n’eusse commis une méprise. « On n’a pas d’idée d’une audace pareille, s’écriait Chambreuil, c’est une insulte pour laquelle j’exige une réparation. Je vous montrerai qui je suis, et nous verrons s’il vous sera permis d’user envers moi d’un arbitraire que le ministre n’aurait pas osé se permettre. » Je vis le moment où on allait lui faire des excuses et me réprimander. On ne doutait pas que Chambreuil ne fut un ancien forçat, mais on craignait d’avoir offensé en lui un homme puissant, comblé des faveurs de la cour. Enfin, je soutins avec tant d’énergie qu’il n’était qu’un imposteur, que l’on ne put pas se dispenser d’ordonner une perquisition à domicile. Je devais assister le commissaire de police dans cette opération, à laquelle il fallait que Chambreuil fut présent ; chemin faisant, ce dernier me dit à l’oreille, « mon cher Vidocq, il y a dans mon secrétaire des pièces qu’il m’importe de faire disparaître, promets-moi de les retirer, et tu n’auras pas à t’en repentir.

– » Je te le promets.

– » Tu les trouveras sous un double fonds, dont je t’expliquerai le secret. » Il m’indiqua comment je devais m’y prendre. Je retirai en effet les papiers de l’endroit où ils étaient, mais pour les joindre aux pièces qui légitimaient son arrestation. Jamais faussaire n’avait disposé avec plus de soin l’échafaudage de sa supercherie : on trouva chez lui une grande quantité d’imprimés, les uns avec cette suscription : Haras de France ; les autres avec celle-ci : Police du Roi ; des feuilles à la Tellière portant les intitulés du ministère de la guerre, des états de services, des brevets, des diplômes, et un registre de correspondance toujours ouvert, comme par mégarde, afin de mieux tromper l’espion, étaient autant de pièces probantes des hautes fonctions que Chambreuil s’attribuait. Il était censé en relation avec les plus éminents personnages : les princes, les princesses lui écrivaient ; leurs lettres et les siennes étaient transcrites en regard les unes des autres, et, ce qui paraîtra bien étrange, c’est qu’il s’entretenait aussi avec le préfet de police, dont la réponse se trouvait sur le registre menteur, en marge d’une de ses missives.

Les lumières que la perquisition avait fournies corroborèrent si complètement mes assertions au sujet de Chambreuil, qu’on n’hésita plus à l’envoyer à la Force en attendant sa mise en jugement.

Devant le tribunal, il fut impossible de l’amener à confesser qu’il était le forçat que je m’opiniâtrais à reconnaître. Il produisit, au contraire, des certificats authentiques par lesquels il était constaté qu’il n’avait pas quitté la Vendée depuis l’an II. Entre lui et moi les juges furent un instant embarrassés de prononcer ; mais je réunis tant et de si fortes preuves à l’appui de mes dires, que l’identité ayant été reconnu, il fut condamné aux travaux forcés à perpétuité, et enfermé au bagne de Lorient, où il ne tarda pas à reprendre ses anciennes habitudes de dénonciateur. C’est ainsi qu’à l’époque de l’assassinat du duc de Berry, de concert avec un nommé Gérard Carette, il écrivit à la police qu’ils avaient des révélations à faire au sujet de ce crime affreux. On connaissait Chambreuil, on ne le crut pas ; mais quelques personnes, assez absurdes pour imaginer que Louvel avait des complices, demandèrent que Carette fût amené à Paris ; Carette fit le Voyage, et l’on n’apprit rien de plus que ce que l’on savait.

L’année 1814 fut l’une des plus remarquables de ma vie, principalement sous le rapport des captures importantes que j’opérai coup sur coup. Il en est quelques-unes qui donnèrent lieu à des incidents assez bizarres. Au surplus, puisque je suis en train de coudre des narrations les unes aux autres, je vais raconter.

Depuis près de trois ans, un homme d’une stature presque gigantesque était signalé comme l’auteur d’un grand nombre de vols commis dans Paris. Au portrait que tous les plaignants faisaient de cet individu, il était impossible de ne pas reconnaître le nommé Sablin, voleur excessivement adroit et entreprenant, qui, libéré de plusieurs condamnations successives, dont deux aux fers, avait repris l’exercice du métier, avec tous les avantages de l’expérience des prisons. Divers mandats furent décernés contre Sablin ; les plus fins limiers de la police furent lancés à ses trousses ; on eut beau faire, il se dérobait à toutes les poursuites ; et si l’on était averti qu’il s’était montré quelque part, lorsqu’on y arrivait, il n’était déjà plus temps de découvrir sa trace. Tout ce qu’il y avait d’inspecteurs à la préfecture s’étant à la fin lassé de courir après cet invisible ce fut à moi que revint la tâche de le chercher et de le saisir, si faire se pouvait. Pendant plus de quinze mois, je ne négligeai rien pour parvenir à le rencontrer ; mais il ne faisait jamais dans Paris que des apparitions de quelques heures, et sitôt un vol commis, il s’éclipsait sans qu’il fût possible de savoir où il était passé. Sablin n’était en quelque sorte connu que de moi, aussi, de tous les agents, étais-je celui qu’il redoutait le plus. Comme il voyait de loin, il s’y prenait si bien pour m’éviter, qu’il ne me fût pas donné une seule fois d’apercevoir même son ombre.

Cependant, comme le manque de persévérance n’est pas mon défaut, je finis par être informé que Sablin venait de fixer sa résidence à Saint-Cloud, où il avait loué un appartement. À cette nouvelle, je partis de Paris, de manière à n’arriver qu’à la tombée de la nuit ; on était alors en novembre, et il faisait un temps affreux. Quand j’entrai dans Saint-Cloud, tous mes vêtements étaient trempés : je ne pris pas même le temps de les faire sécher, et dans l’impatience de vérifier si je ne m’étais pas embarqué sur un faux avis, je pris, au sujet du nouvel habitant, quelques renseignements desquels il résultait qu’une femme, dont le mari marchand forain, avait près de cinq pieds dix pouces, était récemment emménagée dans la maison de la mairie.

Les tailles de cinq pieds dix pouces ne sont pas communes, même parmi les Patagons : je ne doutai plus que l’on ne m’eût indiqué le véritable domicile de Sablin. Toutefois, comme il était trop tard pour m’y présenter, je remis ma visite au lendemain, et pour être bien certain que notre homme ne m’échapperait pas, malgré la pluie je me décidai à passer la nuit devant sa porte. J’étais en vedette avec un de mes agents ; au point du jour, on ouvre, et je me glisse doucement dans la maison, afin d’y pousser une reconnaissance ; je veux m’assurer s’il est temps d’agir. Mais, près de mettre le pied sur la première marche de l’escalier, je m’arrête, quelqu’un descend… C’est une femme, dont les traits altérés et la démarche pénible révèlent un état de souffrance : à mon aspect, elle jette un cri, et remonte ; je la suis, et en m’introduisant avec elle dans le logement dont elle a la clef ; je m’entends annoncer par ces mots prononcés avec effroi : « Voilà Vidocq ! » Le lit est dans la seconde pièce, j’y cours ; un homme est encore couché, il lève la tête, c’est Sablin ; je me précipite sur lui, et avant qu’il ait pu se reconnaître, je lui passe les menottes.

Pendant cette opération, madame, tombée sur une chaise, poussait des gémissements, elle se tordait et paraissait en proie à une douleur horrible. « Et qu’a donc votre femme, dis-je à Sablin ?

» – Ne voyez-vous pas qu’elle est dans les mals ? Toute la nuit, ça été le même train ; quand vous l’avez rencontrée, elle sortait pour aller chez madame Tire-monde. »

En ce moment, les gémissements redoublent : « Mon Dieu ! mon Dieu ! je n’en puis plus, je me meurs, messieurs, ayez pitié de moi ; que je souffre donc ! Aie, aie, à mon secours. » Bientôt ce ne sont plus que des sons entrecoupés. Pour ne pas être touché d’une telle situation, il aurait fallu avoir un cœur de bronze. Mais que faire ? Il est évident qu’ici une sage-femme serait très nécessaire… Cependant, par qui l’envoyer chercher ? nous ne sommes pas trop de deux pour garder un gaillard de la force de Sablin… Je ne puis sortir, je ne puis non plus me résoudre à laisser mourir une femme ; entre l’humanité et le devoir, je suis réellement l’homme le plus embarrassé du monde. Tout à coup un souvenir historique, très bien mis en scène par madame de Genlis, vient m’ouvrir l’esprit ; je me rappelle le grand monarque, faisant auprès de Lavallière l’office d’accoucheur. Pourquoi, me dis-je, serais-je plus délicat que lui ? Allons vite, un chirurgien ; c’est moi qui le suis. Soudain je mets habit bas, en moins de vingt-cinq minutes, madame Sablin est délivrée : c’est un fils, un fils superbe à qui elle a donné le jour. J’emmaillote le poupon, après lui avoir fait la toilette de la première entrée ou de la première sortie, car je crois qu’ici les deux expressions sont synonymes ; et, quand la cérémonie est terminée, en contemplant mon ouvrage, j’ai la satisfaction de voir que la mère et l’enfant se portent bien.

Maintenant il s’agit de remplir une formalité, l’inscription du nouveau né sur les registres de l’état civil ; nous étions tout portés, je m’offre à servir de témoin, et lorsque j’ai signé, madame Sablin me dit : « Ah ! monsieur Jules, pendant que vous y êtes vous devriez bien nous rendre un service.

– » Lequel ?

– » Je n’ose vous le demander.

– » Parlez, si c’est possible… ?

– » Nous n’avons pas de parrain, auriez-vous la bonté de l’être ?

– » Autant moi qu’un autre. Où est la marraine ? »

Madame Sablin nous pria d’appeler une de ses voisines, et dès que celle-ci fut prête, nous allâmes à l’église accompagnés de Sablin, que j’avais mis dans l’impossibilité de se sauver. Les honneurs de ce parrainage ne me coûtèrent pas moins de cinquante francs, et pourtant il n’y eut pas de dragées au baptême.

Malgré le chagrin qu’il éprouvait, Sablin était tellement pénétré de mes procédés qu’il ne put s’empêcher de m’en témoigner sa reconnaissance.

Après un bon déjeûner que nous nous fîmes apporter dans la chambre de l’accouchée, j’emmenai son mari à Paris, où il fut condamné à cinq ans de prison. Devenu garçon de guichet à la Force, où il subissait sa peine, Sablin trouva, dans cet emploi, non-seulement le moyen de bien vivre, mais encore celui de s’amasser, aux dépens des prisonniers et des personnes qui venaient les visiter, une petite fortune qu’il se proposait de partager avec son épouse ; mais, à l’époque où il fut libéré, ma commère, madame Sablin, qui aimait aussi à s’approprier le bien d’autrui, était en expiation à Saint-Lazarre. Dans l’isolement où le jetait la détention de sa ménagère, Sablin fit comme tant d’autres, il tourna à mal, c’est-à-dire qu’ayant un soir pris sur lui le fruit de ses économies, qu’il avait converties en or, il alla au jeu et perdit tout. Deux jours après, on le trouva pendu dans le bois de Boulogne : il avait choisi pour s’accrocher un des arbres de l’Allée des Voleurs.

Ce n’était pas, comme on l’a vu, sans m’être donné beaucoup de peine, que j’étais parvenu à livrer Sablin aux tribunaux. Certes si toutes les explorations eussent nécessité autant de pas et de démarches, je n’y aurais pas suffi ; mais presque toujours le succès se faisait moins attendre, et quelquefois il était si prompt que j’en étais moi-même étonné. Peu de jours après mon aventure de Saint-Cloud, le sieur Sebillotte, marchand de vin, rue de Charenton, n° 145, se plaignit d’avoir été volé : suivant sa déclaration, les voleurs s’étant introduits chez lui, à l’aide d’escalade, entre sept et huit heures du soir, lui avaient enlevé douze mille francs, espèces sonnantes, deux montres d’or et six couverts d’argent. Il y avait eu effraction tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Enfin, toutes les circonstances de ce crime étaient si extraordinaires, que l’on conçut sur la véracité de M. Sebillotte des doutes que j’eus la mission d’éclaircir. Un entretien que j’eus avec lui me convainquit de reste que sa plainte ne mentionnait que des faits très réels.

M. Sebillotte était propriétaire, il y avait chez lui plus que de l’aisance, et il ne devait rien ; par conséquent, je ne voyais pas dans sa situation l’ombre d’un motif pour que le vol dont il se plaignait fut simulé, cependant ce vol était de telle nature, que pour le commettre, il avait fallu connaître parfaitement les êtres de la maison. Je demandai à M. Sebillotte quelles personnes fréquentaient le plus habituellement son cabaret ; et quand il m’en eut désigné quelques-unes, il me dit : « C’est à peu près tout, sauf les passants, et puis ces étrangers qui ont guéri ma femme ; ma foi, nous avons été bien heureux de les rencontrer ! la pauvre diablesse était souffrante depuis trois ans, ils lui ont donné un remède qui lui a fait bien du bien.

– » Les voyez-vous souvent ces étrangers ?

– » Ils venaient ici prendre leurs repas, mais depuis que ma femme va mieux, on ne les voit que de loin en loin.

– » Savez-vous quels sont ces gens ? Peut-être auront-ils remarqué ?…

– » Ah, monsieur, s’écria madame Sebillotte, qui prenait part à la conversation, n’allez pas les soupçonner, ils sont honnêtes, j’en ai la preuve.

– » Oh oui ! reprit le mari, elle en a la preuve ; qu’elle vous conte ça : vous verrez. Raconte donc à monsieur… »

Alors madame Sebillotte commença son récit en ces termes : « Oui, monsieur, ils sont honnêtes, j’en mettrais ma main au feu. Enfin figurez-vous, il n’y a pas plus de quinze jours, c’était justement la semaine d’après le terme ; j’étais occupée à compter l’argent de nos loyers, quand une des femmes qui sont avec eux est venue à entrer ; c’était celle qui m’a donné le remède dont j’ai éprouvé un si grand soulagement ; et il n’y a pas à dire qu’elle m’ait pris un sou pour ça, bien au contraire. Vous sentez bien que je ne puis pas faire autrement que de la voir avec plaisir. Je la fis asseoir à côté de moi, et pendant que je mettais les pièces par cent francs, voilà qu’elle en aperçoit une où il y a ce gros père, appuyé sur deux jeunesses, avec une peau sur les épaules, en manière de sauvage, qui tient un bâton ; ah ! me dit-elle, en avez-vous beaucoup de cette façon-là ?

– » Pourquoi, lui dis-je ?

– » C’est que, voyez-vous, ça vaut cent quatre sous. Autant vous en aurez à ce prix, autant mon mari vous en prendra, si vous voulez les mettre à part.

– » Je croyais qu’elle plaisantait, mais le soir, je n’ai jamais été plus surprise que de la voir revenir, son mari était avec elle, nous avons vérifié ensemble notre argent, et comme il s’est trouvé parmi trois cents pièces de cent sous de celles qui lui convenaient, je les lui ai cédées, et il m’a compté soixante francs de bénéfice. Ainsi jugez, d’après cela, si ce sont d’honnêtes gens, puisqu’il n’aurait tenu qu’à eux de les avoir troc pour troc. »

À l’œuvre, on connaît l’ouvrier : la dernière phrase de madame Sebillotte me disait assez de quelle espèce d’honnêtes gens elle faisait l’éloge : il ne m’en fallut pas davantage pour être certain que le vol dont je devais rechercher les auteurs, avait été commis par des Bohémiens. Le fait de l’échange était dans leur manière, et puis madame Sebillotte, en me les dépeignant, ne fit que me confirmer de plus en plus dans l’opinion que je m’étais formée.

Je quittai bien vite les deux époux, et dès ce moment tous les teints basanés me devinrent suspects. Je cherchais dans ma tête où je pourrais en trouver le plus de cette nuance, lorsque, passant sur le boulevard du Temple, j’aperçois, attablés dans un espèce de cabaret, appelé la Maison rustique, deux individus dont le cuivré et l’étrange tournure éveillent dans mon esprit quelques réminiscences de mon séjour à Malines. J’entre, qui vois-je ? Christian avec un de ses affidés, qui est également de ma connaissance : je vais droit à eux, et présentant la main à Christian, je le salue du nom de Coroin, il m’examine un instant, puis mes traits lui revenant à la mémoire, ah ! s’écrie-t-il, en me sautant au cou avec transport, voilà mon ancien ami.

Il y avait si long-temps que nous ne nous étions vus, que nécessairement, après les compliments d’usage, nous avions bien des questions à nous adresser mutuellement. Il voulut savoir quelle avait été la cause de mon départ de Malines, lorsque je l’avais quitté sans le prévenir ; je lui fis un conte qu’il eut l’air de croire. « C’est bien, c’est bien, me dit-il, que cela soit vrai ou non, je m’en rapporte ; d’ailleurs je te retrouve, c’est le point essentiel. Ah ! vas, les autres seront bien contents de te revoir. Ils sont tous à Paris, Caron, Langarin, Ruffler, Martin, Sisque, Mich, litle, enfin jusque à la mère Lavio qui est avec nous…, et Betche donc… la petite Betche.

– » Ah oui, ta femme ?

– » C’est elle qui aura du plaisir. Si tu es ici à six heures, la réunion sera complète. Nous nous sommes donné rendez-vous pour aller au spectacle ensemble. Tu seras de la partie, j’espère : d’abord puisque te voilà, nous ne nous quittons plus ; tu n’as pas dîné ?

– » Non.

– » Ni moi non plus ; nous allons entrer au Capucin.

– » Au Capucin, soit, c’est tout près.

– Oui, à deux pas, au coin de la rue d’Angoulême. »

Le marchand de vin-traiteur, dont l’établissement porte pour enseigne la grotesque image d’un disciple de Saint-François, jouissait alors de la faveur de ce public aux yeux duquel la quantité en tout a toujours plus de prix que la qualité ; et puis pour ces célébrateurs du dimanche ou du lundi, pour ces bons vivants qui se mettent en riole sur semaine, n’est-il pas bien doux d’avoir un endroit, où, sans faire trop mauvaise chère, et sans blesser personne, on puisse se présenter dans toutes les tenues possibles, dans toutes les longueurs de barbe, dans tous les degrés d’ivresse ?

Tels étaient les avantages que l’on avait au Capucin, sans compter l’immense tabatière bannale, toujours ouverte sur le comptoir du bourgeois, pour l’agrément de quiconque, en passant, souhaitait se régaler d’une petite prise. Il était quatre heures quand nous nous installâmes dans ce lieu de liberté et de jouissance. Jusqu’à six heures, l’intervalle était long ; j’étais impatient de revenir à la Maison rustique, où devaient se rassembler les compagnons de Christian. Après le repas, nous allâmes les rejoindre ; ils étaient au nombre de six ; en les abordant, Christian leur parle dans son langage ; aussitôt, on m’entoure, on m’accueille, on m’embrasse, on me fête à l’envi ; la satisfaction brille dans tous les regards. « Point de comédie, point de comédie, s’écrient les nomades d’une voix unanime.

– » Vous avez raison, dit Christian, point de comédie, nous irons au spectacle une autre fois ; buvons, mes enfants, buvons.

– Buvons, répètent les Bohémiens. »

Le vin et le punch coulent à grands flots. Je bois, je ris, je cause, et je fais mon métier. J’observe les visages, les tics, les gestes, etc., rien ne m’échappe ; je récapitule quelques indications qui m’ont été fournies par monsieur et madame Sebillotte, et l’histoire des pièces de cent sous, qui n’avait été pour moi que le principe d’une conjecture, devient la base d’une conviction entière. Christian, je n’en doute pas, Christian, ou ses affidés, sont les auteurs du vol dénoncé à la police. Combien je m’applaudis alors d’un coup d’œil fortuit, donné si à propos à l’intérieur de la Maison rustique ! Mais ce n’est pas tout que d’avoir découvert les coupables : j’attends que les cerveaux soient raisonnablement exaltés par les sublimations alcoholiques, et quand toute la société est dans un état où il ne faut qu’une chandelle pour en voir deux, je sors et cours en toute hâte au théâtre de la Gaîté, où, après avoir fait appeler l’officier de paix de service, je l’avertis que je suis avec des voleurs, et me concerte avec lui pour que dans une heure ou deux au plus, il nous fasse tous arrêter, hommes et femmes.

L’avis donné, je fus promptement de retour. On ne s’était pas aperçu de mon absence ; mais à dix heures, la maison est cernée ; l’officier de paix se présente, et avec lui un formidable cortège de gendarmes et de mouchards ; on attache chacun de nous séparément, et l’on nous entraîne au corps-de-garde. Le commissaire nous y avait précédé ; il ordonne une fouille générale. Christian, qui prétend se nommer Hirch, s’efforce en vain de dissimuler les six couverts d’argent de M. Sebillotte, et sa compagne, madame Villemain, c’est ainsi qu’elle prétend s’appeler, ne peut dérober à une investigation des plus rigoureuses les deux montres en or, mentionnées dans la plainte ; les autres sont aussi obligés de mettre en évidence de l’argent et des bijoux, dont on les débarrasse.

J’étais bien curieux de savoir quelles réflexions cet événement suggérerait à mes anciens camarades : je croyais lire dans leurs yeux que je ne leur inspirais pas la moindre défiance, et je ne me trompais pas, car à peine fûmes-nous au violon, qu’ils me firent presque des excuses d’avoir été la cause involontaire de mon arrestation : « Tu ne nous en veux pas ? me dit Christian, mais qui diable aussi se serait attendu à ce qui vient d’arriver ? Tu as bien fait de dire que tu ne nous connaissais pas ; sois tranquille, nous nous garderons bien de dire le contraire ; et comme on n’a rien trouvé sur toi qui puisse te compromettre, tu es bien sûr qu’on ne te retiendra pas. » Christian me recommanda ensuite d’être discret, au sujet de son nom véritable, et de ceux de ses compagnons : « Au reste, ajouta-t-il, la recommandation est superflue, puisque tu n’es pas moins intéressé que nous à garder le silence à cet égard. »

J’offris aux Bohémiens de leur consacrer les premiers moments de ma liberté ; et dans l’espoir que je ne tarderais pas à être élargi, ils m’indiquèrent leurs domiciles, afin qu’à ma sortie, je pusse aller prévenir leurs complices. Vers minuit, le commissaire me fit extraire, sous le prétexte de m’interroger, et nous nous transportâmes aussitôt au Marché Lenoir, où restaient la fameuse Duchesse ainsi que trois autres des affidés de Christian que nous arrêtâmes à la suite d’une perquisition qui mit entre nos mains toutes les preuves nécessaires pour les faire déclarer coupables.

Cette bande était composée de douze individus, six hommes et six femmes ; ils furent tous condamnés, les uns aux fers, les autres à la réclusion. Le marchand de vin de la rue de Charenton recouvra ses bijoux, ses couverts, et la plus grande partie de son argent.

Madame Sebillotte fut dans la joie. Le spécifique des Bohémiens avait eu pour effet de rendre sa santé moins chancelante, la nouvelle des douze mille francs retrouvés la guérit radicalement ; et, sans doute aussi, l’expérience qu’elle avait faite ne fut pas perdue pour elle ; elle se sera souvenu qu’une fois dans sa vie il avait failli lui en cuire d’avoir vendu cent quatre sous des pièces de cinq francs : Chat échaudé craint l’eau froide.

Cette rencontre des Bohémiens est presque miraculeuse ; mais dans le cours des dix-huit années que j’ai été attaché à la police, il m’est arrivé plus d’une fois d’être fortuitement rapproché de personnes avec lesquelles le hasard m’avait mis en contact durant les agitations de ma jeunesse. À propos d’occurrences de ce genre, je ne puis résister à l’envie de consigner dans ce chapitre une de ces mille réclamations absurdes qu’il me fallait entendre chaque jour ; celle-ci me procura une bien singulière reconnaissance.

Un matin, tandis que j’étais occupé à rédiger un rapport, on m’annonce qu’une dame fort bien mise désire me parler : elle a, me dit-on, à vous entretenir d’une affaire des plus importantes. J’ordonne de la faire entrer. Elle entre : « Je vous demande pardon de vous avoir dérangé ; vous êtes monsieur Vidocq ? c’est à monsieur Vidocq que j’ai l’honneur de parler ?

– » Oui, madame ; que puis-je pour votre service ?

– » Beaucoup, monsieur ; vous pouvez me rendre l’appétit et le sommeil… Je ne dors plus, je ne mange plus… Qu’on est malheureuse d’être sensible !… Ah ! monsieur, que je plains les personnes qui ont de la sensibilité ; je vous jure, c’est un bien triste présent que le ciel leur a fait là !… il était si intéressant, si bien élevé… Si vous l’aviez connu, vous n’auriez pas pu vous empêcher de l’aimer… Pauvre Garçon !…

– » Mais, madame, daignez vous expliquer ; peut-être me faites-vous perdre un temps précieux.

– » Il était ma seule consolation…

– » Enfin, de quoi s’agit-il ?

– » Je n’aurai pas la force de vous le dire. (Elle fouille dans son sac, d’où elle tire un imprimé qu’elle me remet en détournant la vue). Lisez plutôt.

– » Ce sont les Petites-Affiches que vous me donnez-là ; sans doute vous vous méprenez.

– » Je le voudrais, monsieur, je le voudrais. Je vous en supplie, jetez les yeux sur le numéro 32740, dans mon affliction je ne saurais vous en dire davantage. Ah ! qu’il est cruel… (Des larmes s’échappent de ses yeux, la parole expire sur ses lèvres, elle est agitée par des sanglots, elle paraît éprouver des suffocations.) Ah ! j’étouffe ! j’étouffe ! je sens quelque chose qui me remonte… Ah ! ah ! ah ! ah ! ah… »

Je tends un siège à la dame, et tandis qu’elle s’abandonne à sa douleur, je tourne deux ou trois feuillets pour arriver au numéro 32740, c’est sous la rubrique des effets perdus ; la page est trempée de larmes ; je lis : Petit épagneul, longues soies argentées, oreilles tombantes ; il est parfaitement coiffé ; une marque de feu au-dessus de chaque œil ; physionomie excessivement spirituelle, et queue en trompette formant l’oiseau de paradis. Il est très caressant de son naturel, ne mange que du blanc de volaille, et répond au nom de Garçon, prononcé avec douceur. Sa maîtresse est dans la désolation : cinquante francs de récompense a qui le ramènera rue de Turenne, numéro 23. « Eh bien ! madame, que voulez-vous que je fasse pour Garçon ? les chiens ne sont pas de ma compétence. Je veux bien que celui-là ait été fort aimable.

– » Oh ! oui, monsieur, aimable ! c’est le mot, soupira la dame avec un accent qui allait au cœur ; et de l’intelligence ! on n’en a pas plus que cela ; il ne me quittait pas… Ce cher Garçon ! croiriez-vous que pendant nos saints exercices de la mission, il avait l’air aussi recueilli que moi ? Enfin, on l’admirait, c’était édifiant… Hélas ! dimanche dernier, nous allions encore ensemble au salut, je le portais sous mon bras ; vous savez que ces petits êtres ont toujours des besoins… ; au moment d’entrer à l’église, je le pose à terre, pour qu’il fasse ses nécessités ; j’avance quelques pas afin de ne pas le gêner, et quand je me retourne… plus de Garçon… J’appelle, Garçon ! Garçon… ! Il avait disparu… Je manque la bénédiction pour courir après ; et… jugez de mon malheur, il ne m’a pas été possible de le retrouver. C’est pourquoi je viens aujourd’hui près de vous, afin que vous ayez l’extrême bonté d’envoyer à sa recherche. Je paierai tout ce qu’il faudra ; mais, surtout, qu’on ne le brutalise pas, car je répondrais qu’il n’y a pas de sa faute.

– » Ma foi, madame, qu’il y ait de sa faute ou non, cela ne me regarde pas ; votre réclamation n’est pas de la nature de celles qu’il m’est permis d’écouter : s’il fallait ici nous occuper de chiens, de chats, d’oiseaux, nous n’en finirions pas.

– » C’est bien, monsieur ; puisque vous le prenez sur ce ton, je m’adresserai à son Excellence… Si l’on n’a pas de la complaisance pour les personnes qui pensent bien… Savez-vous que j’appartiens à la Congrégation, et que…

– » Que vous apparteniez au diable, si vous voulez… » Je ne puis pas achever ; une difformité que je remarque tout à coup dans la dévote maîtresse de Garçon, provoque de ma part un éclat de rire tel, qu’elle en est tout-à-fait déconcertée.

« N’est-ce pas que je suis bien risible ? dit-elle ; riez, monsieur, riez. »

Au moment où ma subite gaîté s’apaise un peu. « Pardonnez, madame, à ce mouvement dont je n’ai pas été le maître ; j’ignorais d’abord à qui j’avais affaire, maintenant je sais à quoi m’en tenir. Vous déplorez donc bien la perte de Garçon ?

– » Ah ! monsieur, je n’y survivrai pas.

– » Vous n’avez donc jamais éprouvé de perte à laquelle vous ayez été plus sensible ?

– » Non, monsieur.

– » Cependant, vous eûtes un mari en ce monde ; vous eûtes un fils ; vous avez eu des amants…

– » Moi, monsieur ? je vous trouve bien osé…

– » Oui, madame Duflos, vous avez eu des amants ; vous en avez eu. Rappelez-vous une certaine nuit de Versailles… » À ces mots, elle me considère plus attentivement ; le rouge lui monte au visage : Eugène, s’écrie-t-elle ! et elle s’enfuit.

Madame Duflos était cette marchande de nouveautés, dont j’avais été quelque temps le commis, lorsque, pour me dérober aux recherches de la police d’Arras, j’étais venu me cacher dans Paris. C’était une drôle de femme que madame Duflos ; elle avait une tête superbe, l’œil hautain, le sourcil en relief, le front majestueux ; sa bouche, relevée par les coins, était plus grande que nature, mais elle était ornée de trente-deux dents d’une éclatante blancheur ; des cheveux d’un beau noir et un nez aquilin à cheval sur une petite moustache passablement fournie, donnaient à sa physionomie un air qui eût peut-être été imposant, si sa poitrine placée entre deux bosses, et son cou plongé dans ces doubles épaules, n’eussent fait naître l’idée d’un polichinelle. Elle avait environ quarante ans quand je la vis pour la première fois : sa mise était des plus recherchées, et elle visait à se donner un port de reine ; mais du haut de la chaise où elle était perchée de telle façon que ses genoux s’élevaient de beaucoup au-dessus du comptoir, elle ressemblait moins à une Sémiramis qu’à l’idole grotesque de quelque pagode indienne. En l’apercevant sur cette espèce de trône, j’eus beaucoup de peine à tenir mon sérieux ; cependant je ne dérogeai point à la gravité de la circonstance, et j’eus assez d’empire sur moi pour convertir en salutations respectueuses des dispositions d’un tout autre genre. Madame Duflos tira de son sein un gros lorgnon, à l’aide duquel elle se mit à me regarder, et quand elle m’eût toisé de la tête aux pieds « Que souhaite, monsieur, me dit-elle ? » J’allais répondre, mais un commis qui s’était chargé de ma présentation, lui ayant dit que j’étais le jeune homme dont il lui avait parlé, elle me fixe de nouveau et me demande si je m’entends au commerce. En fait de commerce, j’étais assez novice, je garde le silence ; elle réitère la question, et comme elle manifeste de l’impatience, je me vois forcé de m’expliquer. « Madame, lui dis-je, je ne connais pas le commerce de nouveautés, mais avec du zèle et de la persévérance, j’espère parvenir à vous satisfaire, surtout si vous avez la bonté de m’aider de vos conseils.

– » Eh bien ! vous me faites plaisir, j’aime que l’on soit franc ; je vous accepte, vous remplacerez Théodore.

– » Dès qu’il vous conviendra, madame, je suis à vos ordres.

– » En ce cas, je vous arrête, et à dater d’aujourd’hui, je vous prends à l’essai. »

Mon installation eut lieu sur-le-champ. En ma qualité de dernier commis, c’était à moi qu’était dévolue la tâche d’approprier le magasin et l’atelier, où une vingtaine de jeunes filles, toutes plus jolies les unes que les autres, étaient occupées à façonner des colifichets destinés à tenter la coquetterie provinciale. Jeté au milieu de cet essaim de beautés, je me crus transporté au sérail, et convoitant tantôt la brune, tantôt la blonde, je me proposais de faire circuler le mouchoir, lorsque, dans la matinée du quatrième jour, madame Duflos qui avait sans doute surpris quelque œillade, m’invita à passer dans son cabinet ; « M. Eugène, me dit-elle, je suis fort mécontente de vous ; vous n’êtes ici que depuis très peu de temps, et déjà vous vous permettez de former des desseins criminels au sujet des jeunes personnes que j’occupe. « Je vous avertis que cela ne me convient pas du tout, du tout, du tout. »

Confondu de ce reproche mérité, et ne pouvant imaginer comment elle avait deviné mes intentions, je ne lui répondis que par quelques paroles insignifiantes. « Vous seriez bien embarrassé de vous justifier, reprit-elle ; je sais bien qu’à votre âge vous ne pouvez guères vous passer d’avoir une inclination ; mais ces demoiselles ne sont votre fait sous aucun rapport : d’abord elles sont trop jeunes, ensuite elles sont sans fortune ; à un jeune homme il faut quelqu’un qui puisse subvenir à ses besoins, quelqu’un de raisonnable. » Pendant cette morale, madame Duflos, nonchalamment étendue sur une chaise longue, roulait des yeux dont les mouvements eussent infailliblement produit un bruyant désopilement de ma rate, si sa bonne ne fut venue très à propos lui dire qu’on la demandait au magasin.

Ainsi finit cet entretien, qui me démontra la nécessité de me tenir désormais sur mes gardes. Sans renoncer à mes prétentions, je ne parus plus voir qu’avec indifférence les ouvrières de ma patronne, et je fus assez habile pour mettre en défaut sa pénétration ; sans cesse elle veillait sur moi, épiait mes gestes, mes paroles, mes regards ; mais elle ne fut frappée que d’une seule chose, la rapidité de mes progrès. Je n’avais pas fait un mois d’apprentissage, et déjà je savais vendre un schall, une robe de fantaisie, une guimpe, un bonnet, comme le plus ergoté des commis. Madame était enchantée, elle eut même la bonté de me dire que si je continuais à me montrer docile à ses leçons, elle ne désespérait pas de faire de moi le coq de la nouveauté. « Mais surtout, ajouta-t-elle, plus de familiarité avec les poulettes ; vous m’entendez, M. Eugène, vous m’entendez. Et puis j’ai encore une recommandation à vous faire, c’est de ne pas vous négliger sous le rapport de la toilette, c’est si gentil un homme bien mis ! Au surplus, dorénavant, c’est moi qui veux vous habiller, laissez-moi faire, et vous verrez si je ne fais pas de vous un petit Amour. » Je remerciai madame Duflos, et comme je craignais qu’avec son goût extravagant, elle ne me transformât en Cupidon à peu près comme elle s’était transformée en Vénus, je lui dis que je désirais lui épargner le soin d’une métamorphose qui me paraissait impossible ; mais que si elle se bornait aux avis, je les recevrais avec reconnaissance et m’empresserais de les mettre à profit.

À quelque temps de là (c’était quatre jours avant la Saint-Louis), madame Duflos m’annonça que voulant, suivant son usage, aller à la foire de Versailles avec une partie de marchandises, elle avait jeté les yeux sur moi pour l’accompagner. Nous partîmes le lendemain, et quarante-huit heures après, nous étions établis sur le Champ-de-Foire. Un domestique qui nous avait suivi couchait dans la boutique ; quant à moi, je logeais avec madame à l’auberge ; nous avions demandé deux chambres, mais, vu l’affluence des étrangers, on ne put nous en donner qu’une ; il fallut se résigner. Le soir, madame se fit apporter un grand paravent, dont elle se servit pour séparer la pièce en deux, de manière que nous devions être chacun à notre particulier. Avant d’aller nous coucher, elle me sermonna pendant une heure. Enfin nous montons : madame passe chez elle, je lui souhaite le bon soir, et en deux minutes je suis au lit. Bientôt elle laisse échapper quelques soupirs, c’est sans doute l’effet de la fatigue qu’elle a éprouvée pendant la journée ; elle soupire encore, mais la chandelle est éteinte, et je m’endors. Tout à coup je suis interrompu dans mon premier somme, il me semble que l’on a prononcé mon nom : j’écoute… Eugène, c’est la voix de madame Duflos ; je ne réponds pas ; « Eugène, appelle-t-elle de nouveau, avez-vous bien fermé la porte ?

– » Oui, Madame.

– » Je pense que vous vous trompez ; voyez-y, je vous prie, et surtout assurez-vous si le verrou est bien poussé ; on ne saurait prendre trop de précautions dans les auberges. »

Je procède à la vérification, et reviens me coucher. À peine me suis-je replacé sur le côté gauche, que madame commence à se plaindre « Quel mauvais lit ! on est rongé des punaises ; impossible de fermer l’œil ! Et vous, Eugène, avez-vous de ces insectes insupportables ? » Je fais la sourde oreille, elle reprend : « Eugène, répondez donc, avez-vous, comme moi, des punaises ?

– » Ma foi, Madame, je n’en ai pas encore senti.

– » Vous êtes bien heureux, je vous en fais mon compliment, car moi, elles me dévorent, j’ai des ampoules d’une grosseur… ; si cela continue, je passerai une nuit blanche. »

Je garde le silence, mais force à moi est de le rompre, lorsque madame Duflos, exaspérée par la souffrance, et ne sachant plus, entre les picotements et les démangeaisons, de quel bois faire flèche, se mit à crier à tue-tête : « Eugène ! Eugène ! mais levez-vous donc, je vous prie, et faites-moi le plaisir d’aller dire à l’aubergiste qu’il vous donne de la lumière, pour faire la chasse à ces maudites bêtes. Dépêchez-vous, mon ami, je suis dans un enfer. »

Je descends, et remonte avec une chandelle allumée, que je dépose sur le somno, auprès de la couchette de ma bourgeoise. Comme j’étais ce qu’on appelle en petite tenue de dragon, c’est-à-dire le paniau volant ou la bannière au vent, je me retirai bien vite, autant pour ménager la pudeur de madame Duflos, que pour échapper aux séductions d’un négligé galant, dans lequel il me semblait qu’il y avait du dessein. Mais, à peine ai-je fait le tour du paravent, madame Duflos jette un cri. « Ah ! Qu’elle est grosse, c’est un monstre, je n’aurai jamais la force de la tuer ; comme elle court, elle va s’échapper. Eugène ! Eugène ! venez ici, je vous en supplie. » Il n’y avait pas à reculer ; nouveau Thésée, je me risque, et, m’approchant du lit, « Où est-il, dis-je, où est-il le Minotaure, que je l’extermine ?

– » Je vous en conjure, monsieur Eugène, ne plaisantez pas comme cela… Tenez, tenez, la voilà qui court ; l’apercevez-vous sous l’oreiller ? À présent elle descend… quelle vitesse ! il semble qu’elle sente ce que vous lui réservez. »

J’eus beau faire diligence, je ne pus ni atteindre ni voir le dangereux animal. Je cherchai partout où il aurait pu se glisser ; je me donnai tout le mouvement imaginable pour le découvrir, ce fut peine inutile ; le sommeil nous gagna pendant cet exercice, et à mon réveil, si, par un retour sur le passé, je fus porté à réfléchir que madame Duflos avait été plus heureuse que l’épouse de Putiphar, j’eus la douleur de penser que je n’avais pas eu toute la vertu de Joseph.

Dès ce moment, j’eus la mission de veiller toutes les nuits à ce que madame ne fût plus incommodée par les punaises. Mon service de jour en devint considérablement plus doux. Les égards, les prévenances, les petits présents, ne m’étaient pas épargnés ; j’étais, ainsi que le conscrit de Charlet, nourri, chaussé, habillé et couché avec le gouvernement aux frais de la princesse. Par malheur, la princesse était quelque peu jalouse, et le gouvernement tant soit peu despotique. Madame Duflos ne demandait pas mieux, sous plus d’un rapport, que je m’amusasse comme un bossu ; mais elle entrait dans des fureurs toutes les fois qu’elle me voyait jeter les yeux sur une femme. À la fin, excédé de cette tyrannie, je lui déclarai un soir que j’étais décidé à m’en affranchir. « Ah ! vous voulez me quitter, me dit-elle, nous verrons ! puis s’armant d’un couteau, elle s’élance pour m’en percer le cœur. J’arrêtai son bras, et sa rage s’étant apaisée, je m’engageai à rester, sous la condition qu’elle serait plus raisonnable. Elle promit ; mais, dès le lendemain, des rideaux de taffetas vert furent adaptés au grillage du cabinet où j’étais relégué, depuis que madame avait jugé à propos de m’employer exclusivement à la tenue de ses livres. Cette mesure était d’autant plus vexatoire, que désormais il n’y avait plus moyen d’avoir en perspective le personnel du magasin. Madame Duflos était par trop ingénieuse à m’isoler du reste de la terre ; chaque jour c’était nouvelle précaution pour m’accaparer. Enfin mon esclavage devint si rigoureux, que tout le monde s’apercevait de la tendresse dont j’étais l’objet. Les demoiselles de boutique, qui étaient bien aise de mettre martel en tête à la bourgeoise, venaient à chaque instant me parler, tantôt sous un prétexte, tantôt sous un autre ; cette pauvre madame Duflos en était tourmentée ! c’était une pitié… À toute heure du jour, il me fallait essuyer des reproches c’était des scènes à n’en plus finir. Je ne me sentis pas la force de rester plus long-temps soumis à un pareil régime. Afin d’éviter un éclat qui, dans ma position, aurait pu me compromettre (j’étais alors évadé du bagne), je fis secrètement retenir ma place à la diligence, et je filai. J’étais loin de supposer à cette époque que vingt ans plus tard, je reverrais dans les bureaux de la police, la petite bossue de la rue Saint-Martin ; c’est le proverbe qui l’a voulu : Deux montagnes ne se rencontrent pas

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