XLIV JACQUES CLÉMENT

Pardaillan avait suivi jusqu’à Saint-Cloud les alliés, en spectateur indépendant et curieux d’examiner quelque temps le résultat de son alliance qui était son œuvre. Mais c’est en vain que le Béarnais et Henri III le firent chercher. Il ne se montra dans la tente d’aucun des deux rois. Il allait de Crillon à du Bartas, devenu son ami, et de du Bartas à Crillon, son vieil ami. Bien entendu, les deux officiers prévinrent chacun son maître que Pardaillan suivait l’armée. Le Béarnais, par du Bartas, lui fit offrir un poste dans son conseil intime, ce qui était une façon de lui donner peut-être la situation que devait occuper plus tard Sully. Et il la lui offrit, dit du Bartas, comme au plus fin et au plus loyal diplomate qu’il eût connu. Pardaillan se mit à rire et répondit qu’il avait déjà assez de mal à se conseiller lui-même. Henri III lui fit offrir par Crillon une épée de maréchal dans ses armées, comme au plus intrépide homme d’armes qu’il eût jamais vu. Mais Pardaillan répondit qu’il prétendait se contenter de sa bonne rapière.

Le 2 août, après avoir dîné avec Crillon et du Bartas, Pardaillan leur fit ses adieux en leur disant qu’il partait pour un lointain pays. Les deux officiers le pressèrent en vain de rester et, voyant qu’il était inébranlable, le serrèrent dans leurs bras. Pardaillan monta à cheval et, franchissant le pont de Saint-Cloud, se dirigea vers Paris, sans savoir d’ailleurs, s’il y pourrait rentrer. D’ailleurs, sa pensée n’était pas fixée. S’il parvenait à entrer à Paris, il comptait simplement se reposer deux ou trois mois à l’auberge de la Devinière. Il était riche, grâce à Marie Touchet. Avant de reprendre ses courses à travers le monde et se jeter sans doute en de nouvelles aventures, il lui était doux de songer à quelques mois, peut-être une année passée paisiblement chez la bonne hôtesse, la bonne Huguette à laquelle il ne pensait pas sans un battement de cœur. Après ce repos bien gagné, on verrait…

Pardaillan, donc, s’en allait au pas de son cheval, tout pensif, tantôt rêvant à ce passé si rempli, et tantôt à cet avenir qui se trouvait si vide.

« Seul au monde, songeait-il, sans pouvoir me fixer nulle part, rien dans le cœur, que me restera-t-il ?… Bon ! Il me restera toujours un bien qui en vaut d’autres… tous les autres ensembles : l’indépendance. »

À ce moment, et comme le soleil déclinait à l’horizon, son cheval fit tout à coup un écart. Pardaillan, arraché à sa songerie, ramassa les rênes, se remit d’aplomb et, jetant les yeux autour de lui, vit que ce qui avait effrayé sa bête, c’était un homme qui venait de s’arrêter devant lui et lui souriait. Cet homme portait le costume des Jacobins. Pardaillan tressaillit en reconnaissant Jacques Clément. Il mit pied à terre et serra les deux mains que lui tendait le moine.

– Où allez-vous ainsi, cher ami ? s’écria Jacques Clément d’une voix si claire, si sonore et joyeuse que Pardaillan en fut stupéfait et songea :

« Allons, il a renoncé ! Tant mieux, morbleu, pour lui… et surtout pour l’autre. »

– Je vais à Paris, fit-il tout haut. Jamais je ne vous ai vu le teint si coloré, les yeux si brillants, et surtout un pareil sourire aux lèvres. Vous êtes donc heureux ?

– Au-delà de toute expression, mon ami, mon cher ami…

– Ah ! ah ! fit le chevalier étourdi, et d’où venez-vous ainsi ?

– De l’amour, dit Jacques Clément.

– Mortdiable, à la bonne heure !… Et où allez-vous de ce pas ?

– À la mort, dit Jacques Clément.

Pardaillan demeura soudain glacé. Il regarda mieux le moine. Et dans ses yeux brillants, il entrevit un abîme. Sous cette coloration du visage, il vit la pâleur spectrale d’un homme qui fait le sacrifice de sa vie. Et pourtant, cette joie intense, furieuse, farouche qui éclatait chez le moine était sincère.

– Mais, reprit Jacques Clément en clignant des yeux d’un air malicieux, comment entrerez-vous à Paris ?

– Dame, je demanderai la permission à messieurs les bourgeois de garde, voilà tout.

– Rien n’entre, rien ne sort. Allons, laissez-moi vous rendre un tout petit service. Prenez cette médaille ; avec cela, non seulement vous pourrez franchir les portes, mais passer partout dans Paris.

Pardaillan prit la médaille.

– Elle devait me servir pour rentrer, continua Jacques Clément… mais je ne rentrerai pas, moi !…

Pardaillan frémit et pâlit. Il posa sa main sur l’épaule du moine.

– Écoutez-moi, dit-il.

– Taisez-vous, interrompit sourdement Jacques Clément, dont les yeux s’éteignirent soudain et devinrent vitreux, dont le visage se fit livide, dont la voix devint âpre, rauque et glaciale. Taisez-vous. Tout ce que vous allez me dire, je le sais. Rien au monde, rien, entendez-vous, ne peut m’empêcher d’aller où je vais ! Si ma mère se levait de sa tombe pour me dire : « N’y va pas ! » je repousserais ma mère et j’irais ! Pardaillan, les destinées vont s’accomplir… taisez-vous !…

Pardaillan jeta un coup d’œil sur le moine et, sur ce visage enflammé, lut une si implacable résolution qu’il comprit qu’en effet toute parole serait vaine. Il fit donc en peu de mots ses adieux à Jacques Clément et remonta sur son cheval.

– Hum ! murmura-t-il en considérant le moine qui s’éloignait à grands pas vers Saint-Cloud, je ne donnerais pas un liard de la peau de Valois… à moins que ce ne soit de celle de ce moine… Pauvre être !… oui, oui… ses destinées vont s’accomplir, comme il disait de cette voix qui me faisait passer un frisson sur la nuque. Et quelle que soit cette destinée, elle est terrible ! Adieu, fils d’Alice de Lux !…

Il poussa un soupir et se mit en route vers Paris où ce fut en effet grâce à la médaille du moine qu’il put entrer sans difficulté.

Il faut savoir que le Parlement de Paris avait été arrêté en masse un mois environ après la mort du duc de Guise. Cette arrestation, qui fut le chef-d’œuvre de Bussi-Leclerc, rentré à Paris en janvier, donna lieu à une jolie page d’histoire que nous nous contenterons d’esquisser.

Le Parlement donc étant en séance toutes chambres réunies, s’occupait de rédiger une adresse à Henri III pour le remercier des concessions qu’il avait faites au Tiers pendant les États. Il ne fallait pas peu de courage pour témoigner cette sympathie au roi au moment même où Paris brûlait les effigies de Valois, jetait bas ses statues, effaçait son nom de tous les monuments. Mayenne alla trouver à la Bastille Bussi-Leclerc, qui y avait repris ses fonctions, et lui dit :

– Combien logeriez-vous bien de robins dans votre Bastille ?

– J’en logerai dix mille s’il le faut, dussé-je les empiler les uns sur les autres.

– Eh bien ! il faut que ce soir, messieurs du Parlement soient vos hôtes, sans quoi ils vont nous faire une guerre civile dans Paris.

– Je m’en charge, dit Bussi-Leclerc.

Et prenant cinq cents hommes d’armes des milices, il marcha sur le palais, entra dans la grande chambre le chapeau sur la tête et les pistolets aux poings. Il y eut grand tumulte ; le président demanda rudement à Bussi de quel droit il entrait ainsi.

– Du droit du plus fort, répondit Leclerc.

Beaucoup de conseillers essayèrent de se sauver, mais se heurtèrent aux piques et aux hallebardes des gens d’armes qui occupaient le palais. Bussi-Leclerc, alors, cria à haute voix :

– Messieurs, n’ayez pas peur, suivez-moi seulement à l’hôtel de ville où l’on a quelque chose à vous dire.

Les membres du Parlement, tout pâles, interrogèrent leur président qui eut un mot superbe :

– Messieurs, dit-il, allons délibérer à l’hôtel de ville puisque cette enceinte a été souillée. Monsieur Bussi-Leclerc vous devez les honneurs au Parlement : veillez donc à ce que nous soyons convenablement escortés.

Les conseillers se mirent alors en rangs et sortirent entre une double haie de soldats. Cette escorte, d’ailleurs, ne servit pas seulement à leur arrestation : elle leur sauva la vie, car dehors, une bande de mariniers ameuta le peuple qui voulut lapider les malheureux.

Deux heures plus tard, tout le Parlement était sous clef, réparti en diverses chambres de la Bastille. Bussi-Leclerc, qui était facétieux par moments, imagina de mettre les conseillers au pain sec et à l’eau, ce qui fit qu’on le surnomma le grand pénitencier du Parlement.

Or, pendant les mois qui suivirent, ces malheureux, n’ayant plus d’espoir d’être mis en liberté que par le roi, passèrent leur temps à essayer de correspondre avec lui. Mais ils étaient étroitement surveillés. Enfin, à la fin de juillet, un conseiller malade demanda un confesseur, que Bussi-Leclerc lui accorda généreusement. Ce confesseur fut un capucin que le conseiller sonda adroitement. Le capucin avoua qu’il était au roi dans l’âme. Le conseiller avoua alors qu’il n’était pas malade, et demanda au confesseur s’il voulait se charger de faire parvenir au roi un certain nombre de lettres.

Le capucin accepta avec enthousiasme, partit en cachant les lettres sous son froc, et… les porta tout droit chez Mayenne où se tenait un conseil auquel assistait la duchesse de Montpensier. Ceci se passait le 31 de juillet. Le duc de Mayenne lut tout haut les lettres, et ajouta qu’il fallait les brûler.

– Il faut les envoyer à Valois ! s’écria la duchesse de Montpensier. Messieurs, je réponds que nous sommes sauvés, que dans trois jours Paris ne sera plus assiégé, et que demain nous pourrons prier le diable pour l’âme d’Hérode !

Dans la soirée même, Jacques Clément avait les lettres. Marie de Montpensier resta avec lui cette nuit-là et une partie de la journée du lendemain, et sans doute, elle employa activement ces heures à développer un plan de meurtre que le jeune moine finit par comprendre, car il se mit en route…

Ce sont ces lettres des conseillers toujours enfermés à la Bastille que Jacques Clément portait à Saint-Cloud. Mais il portait aussi le poignard que, sur le coup de minuit, dans la chapelle des Jacobins, un ange avait jeté à ses pieds.

Le soleil venait de se coucher lorsque le moine atteignit le pont de Saint-Cloud. Le pont était gardé par trois canons braqués dans la direction de Paris et un régiment d’arquebusiers – royalistes et huguenots mêlés. Un officier interrogea Jacques Clément qui répondit tranquillement qu’il se rendait à Saint-Cloud pour voir une de ses parentes gravement malade. À la grande surprise et à la sourde joie du moine, on le laissa passer : un religieux tout seul qui va consoler les derniers moments d’une parente, cela n’inspire pas défiance.

Arrivé à Saint-Cloud, le premier soin de Jacques Clément fut de s’enquérir du roi. Le roi était à Meudon où le Béarnais avait établi son quartier… Le moine se fit montrer la maison qu’habitait Henri de Valois. C’était une maison d’assez belle apparence, toute en rez-de-chaussée d’ailleurs. L’entrée en était gardée par cinquante hommes.

Jacques Clément attendit non loin de cette porte jusqu’à onze heures du soir, heure à laquelle il vit déboucher dans la rue une nombreuse troupe de cavalerie précédée et flanquée de porteurs de torches. Cette troupe s’avança au grand trot, dans un grand bruit des sabots et des armes… Jacques Clément vit tout à coup le roi qui mettait pied à terre ; sa figure fardée lui apparut dans la lumière des torches, tandis que les gens de l’escorte se rangeaient en demi-cercle et rendaient les honneurs.

Henri III souleva lentement son chapeau et entra dans la maison ; l’escorte se retira ; la lumière des torches s’éteignit dans le lointain… tout retomba au silence et à l’obscurité.

Jacques Clément se mit en marche dans les ténèbres. Sa tête était brûlante, et ses mains glacées.

Il marcha le long de la rue ; puis ne voulant pas s’écarter du logis du roi, il revint sur ses pas et aperçut alors une grange ouverte. Il y entra, s’étendit sur des bottes de paille, et, les yeux fixés devant lui, dans la nuit, la main crispée sur le manche de la dague sacrée que Dieu lui avait envoyée, il évoqua puissamment la figure de l’ange qui lui avait donné le poignard… et quand l’image de Marie de Montpensier fut devant lui, il sourit d’un sourire terrible et doux…

À l’aube, comme les trompettes sonnaient, comme tout s’ébrouait et s’éveillait dans ce vaste camp qui s’étendait d’Argenteuil à Saint-Cloud et de Saint-Cloud à Vaugirard, Jacques Clément se leva. Il grelottait et claquait des dents. Il s’aperçut alors que cette grange où il venait de passer la nuit attenait à une auberge. Il entra dans la salle de l’auberge, où une servante allumait le feu. La servante se retourna vers le moine et demeura toute saisie :

– Comme vous êtes pâle, mon père… on dirait que vous venez de tuer quelqu’un…

Jacques Clément n’eut pas un tressaillement. Il sourit faiblement et répondit :

– C’est le froid du matin. Un bon verre de vin me rendra mes couleurs.

La servante lui apporta une bouteille dont il but la moitié. Puis, ayant payé, il sortit et se mit à errer dans Saint-Cloud. Au bout d’une heure de cette promenade morne, il s’aperçut qu’il avait grand-faim. Il eut un mouvement comme pour se diriger vers une auberge, puis s’arrêtant court :

– Est-ce bien la peine ? murmura-t-il.

Vers neuf heures du matin, il se trouvait devant la porte du logis royal. À chaque instant, des courriers y arrivaient ou en sortaient. Jacques Clément demeura une heure à considérer ces allées et venues, ce mouvement qui se faisait autour de la maison. Il regardait ces choses. Mais en réalité, il ne les voyait pas. Il songeait… Il regardait en lui-même. Enfin, un long frémissement l’agita. Son regard, jusque-là vitreux, s’emplit d’une intense lumière qui rayonna. Ce regard, il le darda vers le ciel éclatant, comme s’il y eût une dernière fois cherché l’image de l’ange et, d’un pas ferme, il marcha à la porte du logis.

– Au large ! cria la sentinelle, en croisant sa pique.

Jacques Clément eut un geste d’impatience et parut un moment déconcerté, comme s’il se fut attendu à entrer tout droit sans aucun obstacle possible.

– Au large ! répéta la sentinelle, en même temps que plusieurs soldats s’approchaient et commençaient à le repousser sans ménagement pour sa robe de moine.

– Je veux voir le roi ! cria Jacques Clément.

À ce moment, Henri III passait dans l’entrée de la maison, d’une pièce à l’autre.

– Que veut cet homme ? demanda-t-il à un officier.

– Je vais m’en enquérir, sire, répondit l’officier.

– Surtout, reprit Henri III, qu’on ne le rudoie pas, on dirait que je ne veux plus voir de moine parce que je suis avec les huguenots.

– Que voulez-vous, mon digne père ? demanda l’officier en s’approchant de Jacques Clément.

– Parler au roi, dit le moine d’une voix ferme.

– On n’entre pas ainsi chez Sa Majesté.

– Je viens de Paris, dit alors Jacques Clément ; au péril de ma vie, j’apporte au roi des lettres importantes.

– Des lettres de Paris ! Oh ! C’est différent !… Donnez, messire, donnez !…

Jacques Clément tira de son froc un paquet de sept ou huit lettres, en prit une au hasard et la tendit à l’officier en lui disant :

– Que le roi lise celle-ci. S’il trouve que cela en vaille la peine, il m’appellera ; mais je jure que c’est moi seul qui lui remettrai les autres.

L’officier persuadé que le moine ne voulait pas manquer une bonne occasion de récompense approuva d’un signe de tête et porta la lettre à Henri III… Quelques minutes, Jacques Clément demeura devant l’entrée sous l’œil des gardes. Mais il avait une physionomie si souriante, si vraiment radieuse que les soldats se disaient : « Sûrement, il y a quelque bonne nouvelle pour Sa Majesté… » L’officier reparut à ce moment et lui fit signe… le moine se redressa… les gardes ne reconnurent pas ce visage livide, un visage de cadavre où la mort parlait… Jacques Clément entra !…

Dans la pièce où on l’introduisit, il vit Henri III assis dans un fauteuil et entouré d’une douzaine de ses principaux officiers. Le roi jeta à peine un coup d’œil sur le moine, et, d’un ton nonchalant, demanda :

– Il paraît que vous avez d’autres lettres ? Donnez.

– Sire, fit Jacques Clément d’une voix contrainte, basse et rauque, une voix qui fit frissonner les assistants, sire, les lettres ne sont rien, ce que j’ai à vous dire est tout.

– Parlez donc… vous venez de Paris ?… vous êtes entré à la Bastille ?…

– Sire, je ne puis parler que seul à seul avec Votre Majesté. Ce que j’ai à dire est d’une importance mortelle…

Henri III fit un geste. Les officiers hésitèrent. Mais le roi ayant répété le geste, ils sortirent. Jacques Clément les suivit des yeux… la porte se ferma.

– Voici les lettres, sire, dit Jacques Clément qui tendit le paquet.

Le roi commença à décacheter et à lire la première en disant :

– Bien… très bien… Oh ! mais c’est admirable… et vous, messire, qu’aviez-vous à ajouter ?… Je vous…

Un cri terrible jaillit de la gorge du roi, interrompant sa phrase : il venait de voir un poignard dans la main du moine, et le moine, le visage convulsé, effrayant, se pencher sur lui en grondant :

– Hérode ! J’ai à te dire de par Dieu que ta dernière heure est venue !…

Au même instant, Henri III sentit comme un froid le pénétrer au ventre. Il voulut se lever et retomba ; en même temps, il s’aperçut qu’il était inondé de sang et qu’il portait au bas-ventre un poignard enfoncé jusqu’au manche : le moine n’avait fait qu’un geste et s’était reculé, les bras croisés…

Tout cela, depuis la remise des lettres, avait à peine duré deux secondes, et déjà, au cri poussé par le roi, la chambre se remplissait d’officiers et de gardes qui saisissaient le moine.

– Sire ! demanda Crillon, qu’y a-t-il ? Cet homme vous a-t-il insulté ?

Alors tous virent ce qu’ils n’avaient pas aperçu d’abord : le poignard enfoncé dans le ventre du roi, qui, d’une voix éteinte, murmura :

– Ah ! le méchant moine !… il m’a tué !…

Dans le même moment, Jacques Clément tomba assommé par un coup de masse que lui porta un garde ; un autre lui déchargea son pistolet à bout portant dans l’oreille ; trois ou quatre autres le lardèrent de coups d’épée ; en une minute, ce corps ne fut plus qu’une plaie affreuse, et tout pantelant encore, fut traîné dehors, livré à la foule énorme qui accourait, déchiqueté, démembré, réduit en bouillie. Les cris de désespoir, les imprécations, les jurons, les menaces contre Paris, pendant deux ou trois minutes, emplirent la maison, la rue, se répandirent par le village et se propagèrent par tout le camp.

Cependant, des courriers partaient dans toutes les directions ; une heure plus tard, le roi de Navarre arrivait ventre à terre, et sautait d’un bond dans la chambre où Henri III, étendu sur un lit de camp, était évanoui, tandis que deux chirurgiens pansaient la blessure…

Alors un morne silence tomba sur le camp…

Ce ne fut que dans la soirée qu’Henri III reprit connaissance. Il déclara courageusement à tous ceux qui l’entouraient que ce n’était rien, qu’il avait la vie dure et qu’il en reviendrait. Puis il ordonna qu’on le laissât seul avec le roi de Navarre et qu’on lui apportât de quoi écrire.

– Sire, dit Henri d’une voix ferme…

– Mon frère ! interrompit le Béarnais en pleurant.

– Sire !… écoutez-moi. Je vais mourir. J’ai une heure de vie environ. C’est suffisant pour rédiger l’acte qui vous désigne pour mon unique successeur au trône de France !…

Et saisissant la plume, il ajouta avec un sourire :

– Le roi va mourir… vive le roi !… Adieu Valois, vive Bourbon !…

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