XXVII LA FIN DE LA CONSPIRATION

Michel Zévaco

Mademoiselle De Montpensier fit son entrée à Nantes le lendemain matin du jour où Chalais fut arrêté.

Comparse de ce récit, elle nous échappe ; nous n’avons à étudier ni les mobiles véritables de son obéissance à Richelieu, ni le rôle qu’elle put jouer lorsqu’elle fut devenue Madame. Un seul détail pour éclairer ce recoin obscur ; il nous apparaît que cette noble fille eut un moment le Père Joseph pour confesseur. Ceci donnera la clef de la pensée de Mlle de Montpensier.

Une demi-heure après elle, la reine entra au château de Nantes. En la voyant, le roi eut un mauvais sourire.

« Vous voilà, madame ! dit-il.

– J’ai obéi aux ordres de Votre Majesté, dit la reine d’une voix frémissante. Votre Majesté voudra bien m’expliquer…

– Pourquoi je vous ai appelée ? Pour vous faire assister au mariage de mon frère. »

Anne d’Autriche s’attendait à cette réponse. Mais elle comprit qu’elle ne pourrait parler sans se trahir. Elle se redressa, foudroya son royal époux d’un flamboyant regard de mépris et se retira. À peine Anne d’Autriche fut-elle sortie que Richelieu entra. Peut-être avait-il tout entendu. Il amenait avec lui Gaston d’Anjou, livide et tremblant. Mais il le laissa dans une pièce, qui, n’étant séparée du cabinet royal que par une tenture de velours, devait lui permettre de décocher au jeune prince le trait mortel.

« Sire, dit-il en entrant, je viens parler au roi de choses graves. Les seigneurs qui ont entrepris contre le roi à Paris nous ont suivis à Nantes. L’arrestation des deux frères de Vendôme et de Bourbon les a d’abord épouvantés. Mais ils se sont vite remis de l’alerte. Et loin de renoncer à leurs projets, ils sont accourus à Nantes. Ils sont une centaine.

– Avez-vous leurs noms ? bégaya le roi, ivre de fureur.

– La plupart, sire. Et je sais où les prendre.

– Prenez-les donc, par Notre-Dame ! Et que cela finisse !

– Sire, nous ne sommes pas assez forts…

– Que faut-il faire ? balbutia le roi.

– Sire, la France aime les vainqueurs et dédaigne les fuyards. Soyons vainqueurs sans avoir combattu. Forçons ces hobereaux à fuir honteusement. Tout leur espoir est maintenant en Monsieur. S’il épouse Mlle de Montpensier, l’intrigue vraie ou fausse avec la reine tombe d’elle-même… Pour moi, elle est fausse. Pour tous ces misérables conspirateurs, elle est vraie. Si votre frère épouse Mlle de Montpensier, ils sont désorganisés, désorientés. Il leur faudra plus de deux ans pour reformer une nouvelle intrigue. Et pendant ces deux ans, Sire, la hache frappera !

– Oui ! rugit Louis XIII. De par les saints ! De par mon père ! Nous ferons tomber les têtes rebelles.

– Voilà notre victoire, sire. Quant aux conjurés présents dans la ville de Nantes, il faut les rendre ridicules et odieux en les forçant à fuir. Ils fuiront quand ils verront rouler sous la hache une de ces têtes : Sire, n’oubliez pas que nous tenons celui-là même qui était désigné pour me frapper à Fleury afin que Votre Majesté pût être plus facilement frappée.

– Ce pauvre Chalais ? fit Louis XIII déjà indécis. Il faudrait… Que sais-je ?… Un aveu, par exemple.

– Nous l’aurons, sire ! dit Richelieu. Et maintenant, il faudrait arranger au plus tôt le mariage de Monsieur. »

À ces mots, le roi gronda :

« Je vais faire appeler mon frère…

– Inutile, sire, dit Richelieu. Le voici. »

En effet, la tenture de velours se soulevait et la tête livide de Gaston apparaissait. Le roi l’apostropha rudement :

« Oui ou non, êtes-vous prêt à épouser Mlle de Montpensier ?

– Dès aujourd’hui, si cela plaît à Votre Majesté.

– Vous savez que Mlle de Montpensier est arrivée ?

– Je le sais, mon bon sire !…

– Vous savez qu’il y a ici une bonne chapelle où M. le cardinal pourra bénir cette union ?

– Je le sais, mon frère !…

– Bien vous prend de vous montrer aussi obéissant ! » rugit Louis XIII.

Gaston se tenait debout par miracle. Ce jeune homme de dix-huit ans, vigoureux, bien fait, donnait à ce moment le spectacle d’une terreur insensée.

« Sire, dit Richelieu, monseigneur le duc d’Anjou accepte : c’est un bon frère. Le mariage sera célébré dans la chapelle et j’aurai l’insigne honneur d’officier moi-même. »

La colère du roi tomba. Il tendit sa main à Gaston qui la baisa en se courbant.

« Eh ! fit Louis XIII avec une gaieté où tremblait un reste de fureur, sais-tu que tu seras presque roi ?

– Sire, dit Gaston, tout à fait remis, j’ose assurer Votre Majesté que je lui garderai une éternelle gratitude de sa royale munificence. »

Comme Gaston sortait des appartements du roi, il fut rejoint par le cardinal, qui lui passa son bras sous le bras et se mit à le féliciter. Tout en le félicitant, il le conduisit jusque dans la cour du château. Là, l’entretien continua. Plusieurs témoins de cette scène disent qu’ils ont vu Monsieur devenir très pâle et refuser énergiquement de la tête : puis ces refus devinrent de plus en plus mous. À ce moment, si l’un de ces témoins avait pu s’approcher, voici ce qu’il eût entendu :

« Réfléchissez. L’aveu seul fera tomber cette tête. Je connais le roi. Si le criminel n’avoue pas, il lui donnera vie sauve. Or, il nous faut cette tête ! Il faut cela pour la paix du royaume, la tranquillité du roi, et votre sûreté, à vous !

– Ma sûreté ? fit Gaston, qui recommença à trembler.

– Sans doute. Si vous le laissez vivre, quelque jour il vous dénoncera formellement et alors…

– Monsieur le cardinal, dit Gaston avec un lamentable soupir, ce que vous me dites de la paix du royaume et surtout de la tranquillité de mon frère me décide. Allons !… »

Alors se passa la chose, l’effroyable chose.

Richelieu donc, toujours tenant le prince par le bras, le conduisit à la porte de l’escalier qui descendait aux cachots. Là, dans les ténèbres, attendait un homme qui portait une écritoire, arme terrible. Richelieu fit un signe à cet homme qui se mit à suivre. Un porteur de torche et un geôlier précédaient le groupe étrange.

On arriva aux cachots. Le geôlier ouvrit une porte. L’homme à la torche entra le premier pour éclairer. Puis Richelieu. Puis Gaston. Quant à l’homme noir pourvu d’une écritoire, il se tint dehors de façon à ne pas être vu du prisonnier. Mais la porte demeura entrebâillée. Dans le cachot se trouvait Chalais. Il était enchaîné.

« Mon pauvre Chalais, dit Gaston, voici M. le cardinal qui t’a voulu voir.

– Je remercie Son Éminence, et vous aussi, monseigneur. »

Chalais se tenait sur ses gardes, rassuré d’ailleurs un peu par la présence de Monsieur, qu’il supposait incapable d’une félonie. Richelieu fit un pas, et, d’une voix grave, prononça :

« Comte de Chalais, Monsieur m’est venu supplier pour vous. Je n’ai rien à refuser au frère de Sa Majesté. Je suis donc venu pour ratifier par ma présence tout ce que dira Monsieur, à qui j’ai fait des promesses sous certaines conditions. Cela dit, je n’ajouterai plus un mot. »

Gaston tremblait, et, par moments, s’essuyait le front. Enfin, il murmura :

« Il faut avouer, Chalais, et tu auras la vie sauve… Tout est découvert, tout ! Comprends-tu ? Toi seul es pris. Tu y laisseras ta tête, si tu n’avoues. Si tu avoues, ce n’est pas toi seul qui auras la vie sauve.

– Et qui donc ? rugit Chalais, frappé au cœur d’un doute terrible.

– Elle ! Comprends-tu ? Elle qui est prise ! Et qui a tout avoué ! Vie sauve pour tous deux !…

– Vie sauve pour elle ! » murmura Chalais.

Il baissa la tête. Ce qui se passa dans ce cœur fut effroyable sans doute.

« Eh bien, gronda Chalais d’un accent farouche, j’avoue ! »

Richelieu tressaillit. Gaston se couvrit le visage des deux mains. Et Chalais dit tout, même que c’était lui qui devait frapper le cardinal, même qu’il était venu à Nantes pour s’entendre avec les autres conjurés.

Richelieu fit un signe. Il avait tout ce qu’il voulait. Il sortit, entraînant Gaston d’Anjou. La porte se referma. Le prisonnier demeura face à face avec les ténèbres au fond desquelles il voyait flotter une jolie figure aux cheveux blonds.

« Pour toi ! » murmura-t-il.

Lorsque Gaston d’Anjou remonta au jour, il lui sembla qu’il sortait de quelque cauchemar. Livide et tremblant, il se glissa vers son appartement. Au moment où il allait s’enfermer, il vit s’avancer vers lui l’une des femmes de chambre de la reine qui lui dit :

« Monseigneur, Sa Majesté veut que vous l’alliez voir.

– Soit ! gronda Gaston. Conduisez-moi. »

Quelques minutes plus tard, il pénétrait dans une vaste pièce située dans la tour du nord où on avait hâtivement aménagé un logis pour la reine. Anne d’Autriche avait les yeux brûlés de fièvre et de larmes. Elle poussa un petit cri de joie à la vue de Gaston et courut à lui.

« Vous savez que Mlle de Montpensier a été mandée à Nantes ?

– Hélas ! madame, je sais qu’elle est arrivée.

– Voici ce qu’il faut faire. Sûrement, on va vous demander de l’épouser… Eh bien, il faut promettre. À tout prix, gagner quinze jours, continua Anne. Promettez tout ce qu’on voudra. Le mariage se fera à Paris. Mais, par tous les moyens, retardez le départ et gagnez quinze jours. Je me charge du reste.

– Ce n’est pas à Paris, madame, que doit se faire ce mariage, c’est ici dans ce château, peut-être même dès demain. »

Anne d’Autriche était brave. Mais, cette fois, la terreur fit irruption dans son esprit. Elle était bien loin de soupçonner, pourtant, que Gaston acceptait cette union.

« Que faire ? murmura-t-elle avec angoisse. Que faire ?… Oh ! j’y suis : au lieu d’atermoyer, refusez tout net.

– Madame, dit Gaston, j’ai accepté…

– Sans doute, puisque vous deviez feindre…

– Madame, je n’ai pas feint. J’ai réellement accepté. Le jour qui plaira au cardinal, j’épouserai Mlle de Montpensier. »

La reine, affolée, crut d’abord à une plaisanterie de Gaston. Mais, lorsque à diverses reprises, il eut répété avec l’obstination d’un mouton buté dans sa lâcheté qu’il voulait tenir sa parole…

« Votre parole ! gronda-t-elle. Et celle que vous avez donnée à vos amis ! À toute la seigneurie de France ! À moi-même !… Allons, vous êtes fou, revenez à vous !

– Je l’étais hier, madame. Aujourd’hui, je suis dans mon bon sens.

– Et c’est pour celui-là que Chalais va mourir ! s’écria Anne d’Autriche avec mépris. C’est pour celui-là qu’est mort Beuvron et que va mourir Boutteville ! C’est à ce félon que je voulais remettre le soin de guérir les blessures que m’ont faites tant d’outrages !…

– Votre Majesté… bégaya Gaston, livide d’épouvante.

– Silence devant la reine de France !… Sortez, monsieur !…

– J’obéis à la reine », bredouilla Gaston.

À toute volée, elle lui jeta la dernière insulte :

« Lâche !… »

Et il s’en alla, le dos courbé, la sueur au front.

Alors, Anne d’Autriche tomba à la renverse, évanouie.

Son rêve était fini…

Au jour fixé par Richelieu eut lieu sans aucun apparat le mariage de Mlle de Montpensier avec Gaston d’Anjou, qui dès lors s’appela Gaston d’Orléans. Le cardinal de Richelieu, en grand costume, officia. Le roi et la reine étaient là. Une trentaine de seigneurs de la cour, une douzaine de dames assistèrent à cette cérémonie. Anne d’Autriche fut magnifique de vaillance et de superbe. Le roi fut plus que jamais bourrelé de soupçons. Gaston trembla du commencement à la fin. Seul, le cardinal fut pleinement satisfait. Son triomphe commençait là.

*

* *

Chalais avait avoué : le procès fut terminé en quelques jours. Chalais avait avoué parce que Gaston et Richelieu lui avaient promis vie sauve pour la duchesse de Chevreuse et pour lui-même. Ce fut donc avec stupeur qu’il s’entendit condamner à avoir le cou tranché par la hache. L’exécution fut fixée au troisième jour.

Chalais fut conduit à l’échafaud à neuf heures du matin. L’exécuteur des hautes œuvres avait été prévenu qu’il eût à se trouver dans la chapelle au point du jour afin de prendre sa place dans le cortège. Mais, à l’heure dite, il ne se présenta pas. On trouva un soldat qui, moyennant remise de la peine des galères à laquelle il avait été condamné, consentit à remplacer l’exécuteur des hautes œuvres.

Pendant tout le trajet, la foule, étonnée, vit marcher près du condamné, tête nue comme lui, sans armes comme lui, ne le quittant pas des yeux, ne prononçant pas un mot, un homme… un homme jeune comme le condamné, beau comme lui… C’était Louvigni.

Le soir de ce jour, un carrosse de voyage emporté par un galop furieux de deux chevaux blancs d’écume entra dans Nantes, et poussa jusqu’au château. Une femme descendit du carrosse, franchit le pont-levis et, à l’officier qui accourait au bruit, jeta ces mots :

« Je suis la duchesse de Chevreuse. Allez dire au cardinal que je veux lui parler… »

L’officier, comme tout le monde, savait qu’une accusation capitale pesait sur la duchesse en fuite. Il murmura :

« Fuyez, madame, fuyez…

– Hâtez-vous, dit la duchesse en secouant la tête, vous ne comprenez donc pas ? Je veux parler au cardinal !

– Soit, madame ! Je vais avoir l’honneur de vous conduire. »

Quelques instants plus tard, la duchesse était en présence de Richelieu.

En sortant de Marchenoir, la duchesse de Chevreuse toucha Blois. L’arrestation du duc de Vendôme et du Grand-Prieur qu’elle apprit là ne l’effraya pas outre mesure. Les deux chefs tombaient. Mais restait l’armée, toute la noblesse de France soulevée contre Richelieu. Il s’agissait donc simplement de trouver un autre chef.

Ce fut l’œuvre qu’entreprit la duchesse. Elle eut alors une quinzaine de journées d’activité fiévreuse ; elle poussa jusqu’à Nancy, séjourna un jour à Reims ; et, finalement, elle revint sur Paris, toute radieuse. Elle avait ranimé les défaillants, exaspéré les ardents, soufflé partout l’esprit de bataille.

« Ils tiennent Gaston, songeait-elle. Mais si faible que soit celui-ci, il tiendra bien encore un mois ou deux. D’ici là, Richelieu sera mort ; ce pauvre roi ira dans quelque couvent bégayer des prières. Anne sera la vraie maîtresse du royaume, et moi… »

C’était près de Paris qu’elle se disait ces choses. Et comme elle s’interrogeait sur ce qu’elle pourrait bien être dans la nouvelle cour, elle s’aperçut que cet avenir la laissait indifférente.

Maintenant, elle comprenait que toute cette conspiration ne l’intéressait plus. Et toute sa pensée tenait dans ces mots : Je vais le revoir !

À l’hôtel de Chevreuse, un serviteur unique, demeuré à son poste, lui apprit qu’après la perquisition qui avait suivi la journée de Fleury, nul n’était venu.

« Bien ! se dit la duchesse. Il est avec ceux de Cheverny. »

« Nul n’est venu, continuait le serviteur, si ce n’est un grand diable qui dit avoir une mission pour Madame la duchesse.

– C’est de lui ! dit-elle. Où est cette dépêche ?

– Le grand diable ne veut la remettre qu’à Madame la duchesse. Il va venir. Il vient trois fois par jour. »

La duchesse attendit donc. Deux heures plus tard, le grand diable apparut. C’était Corignan, porteur de la lettre de Marine. Cette lettre, la duchesse la lut en pâlissant.

« Louvigni ! murmura-t-elle. Henry prisonnier de Louvigni ! »

Elle interrogea Corignan. Des jours et des jours s’étaient écoulés depuis que Marine avait écrit sa lettre. Il n’y avait plus aucune chance que Chalais se trouvât à Beaugency. N’importe ! Elle remonta dans sa chaise de voyage et cria : « Route de Beaugency ! » Corignan l’avait suivie en grognant :

« Mes dix mille livres, Madame la duchesse voudra bien ne pas oublier mes dix mille livres… »

Le carrosse s’était élancé. La duchesse était comme folle. Corignan demeura hébété. Il se mit à hurler :

« Que va dire Brigitte ! Plus de lettre ! Et pas de dix mille livres ! Que va-t-elle dire, Seigneur !… »

Le serviteur de la duchesse, attendri par cette douleur, lui tendit un petit écu en disant :

« Prenez toujours cela… »

Corignan essuya ses yeux, le regarda de travers, puis, avec un haussement d’épaules :

« Au fait, c’est toujours un acompte !… »

Il prit donc l’écu, fut s’enfermer dans une taverne où il le but jusqu’au dernier denier.

À Beaugency, la duchesse de Chevreuse trouva maître Panard qui se remettait tout doucement du coup que lui avait octroyé Chalais. À ce nom de Chalais, que prononça tout d’abord la duchesse, l’hôte du Dieu d’Amour entra dans une indescriptible fureur, que la vue de quelques pistoles apaisa.

Le digne aubergiste raconta alors ce qui s’était passé.

La duchesse de Chevreuse respira.

Il lui parut que Chalais avait dû échapper à la poursuite. Le même jour, elle poussa à Blois et courut à l’hôtel Cheverny.

La duchesse trouva le vieux Cheverny qui lisait une lettre de M. de Droué, laquelle venait de lui être remise par un messager arrivé de Nantes. Le gentilhomme interrompit sa lecture, courut à sa rencontre et lui baisa la main en disant :

« Voici donc, au milieu de l’orage, un rayon de soleil qui nous arrive !

– L’orage ? » interrogea la duchesse.

Cheverny désigna la lettre qu’il avait laissée sur une table. La duchesse se mit à trembler. Ses yeux s’obscurcirent. Elle eut l’effroyable intuition que cette lettre apportait la mort. Cheverny hochait la tête et disait :

« Tous nos plans sont renversés, ma pauvre duchesse : le mariage de Monsieur avec Mlle de Montpensier est consommé ! »

La duchesse éclata d’un rire nerveux : ce qui, un mois plus tôt, lui eût semblé la pire catastrophe, la touchait à peine.

« Bah ! fit-elle, un mariage peut se faire et peut aussi se défaire. Est-ce tout ce que vous annonce cette dépêche ?

– Non, malheureusement. La suite est plus terrible : nos jeunes gens, pris de terreur, sont partis de Nantes.

– Mais d’où leur vient cette panique ?

– De la force du cardinal, de son audace : il a fait saisir l’un de vos amis, le plus hardi peut-être, le meilleur sans doute, un charmant compagnon que vous regretterez, duchesse… »

La duchesse de Chevreuse murmura :

« Chalais est arrêté !…

– Oui ! Arrêté, jugé, condamné…

– Condamné ! râla-t-elle.

– À avoir la tête tranchée !

– Adieu ! fit la duchesse qui se leva brusquement.

– Eh ! où courez-vous ? Ma foi, la voilà partie. Hum ! La nouvelle de la condamnation de Chalais semble… est-ce que ?… Pauvre duchesse !… »

La chaise de la duchesse roulait déjà sur les pavés de Blois.

La nuit vint…

Le carrosse, enfin, atteignit Nantes et, sur l’ordre de la duchesse, fila droit au château.

L’officier du poste la conduisit aux appartements du cardinal. Brusquement, elle se vit devant Richelieu. Et elle n’eut qu’un mot :

« Grâce !… »

Elle était à genoux, les mains tendues et, maintenant, elle sanglotait.

Ce furent d’effrayantes secondes. Et, lorsque, enfin, la crise parut se calmer un peu, d’une voix timide, honteuse, le cardinal glissa :

« Il est trop tard, madame !…

– Trop tard ! fit-elle. Le roi a toujours droit de grâce !…

– Je vous dis qu’il est trop tard.

– Laissez-moi le voir, dit-elle avec un sourire à faire pleurer. Cela me donnera la force de parler au roi, et à vous, monseigneur… de trouver les paroles qui doivent le sauver.

– Le voir ! le voir ! haleta Richelieu. Voir qui ?…

– Lui !… Le condamné !… Monseigneur, reprit-elle d’un accent rauque, ne me refusez pas cela ».

Richelieu jeta un manteau sur ses épaules. Une sorte de rage secouait ses gestes. La malheureuse s’étonnait de cette fureur. Il la saisit par un bras et l’entraîna…

Ils traversèrent la cour du château. Ils franchirent le pont-levis. Richelieu, d’un pas rude, s’avança vers le petit logis aux croisillons de bois. Il heurta le marteau. Elle bégaya :

« Monseigneur, monseigneur, où sommes-nous ?

– Chez Louvigni ! » répondit-il.

Chose étrange, ce mot la rassura. Chez Louvigni ! Tout s’expliquait. Sa haine faisait de lui un geôlier.

Richelieu frappait à coups redoublés.

« Qui frappe ? Qui es-tu ? Passe ton chemin, ou je tue !…

– Ouvre ! cria Richelieu. Ouvre à ton maître le cardinal. »

La porte s’ouvrit. Une sorte de spectre apparut. La duchesse ne le reconnut pas d’abord. Il avait les cheveux gris !…

« Louvigni, dit Richelieu, voici Mme de Chevreuse qui veut voir Chalais… »

Les yeux vides de Louvigni n’exprimèrent pas de surprise. Il eut un grognement qui signifiait :

« Venez !… »

Et il monta sans s’assurer si la duchesse le suivait. Il arriva dans une petite pièce du premier étage et posa le flambeau sur une table. Puis, entrouvrant les tentures d’une portière, il passa dans la pièce voisine. Elle demeura là, figée, le regard fixé sur ces tentures, les yeux agrandis. Une voix, soudain, lui parvint qui la fit grelotter. La voix disait :

« Puisque vous avez voulu le voir, regardez-le… »

Et Louvigni parut dans l’encadrement de la portière, trébuchant, faisant des efforts inouïs pour se tenir debout et marcher. Il tenait dans sa main droite la tête du supplicié.

Rien ne lui répondit. Il s’avança, titubant.

Tout à coup, il heurta quelque chose du pied. Il baissa les yeux et vit la duchesse de Chevreuse étendue, livide, les yeux fermés, sans mouvements.

« Morte ? râla Louvigni. Tuée par moi ! »

Avec bien de la peine, car tout semblait brisé en lui, il se baissa et la toucha au front. Elle était glacée. Alors, il se releva. Il se mit à reculer. Il ne disait plus rien. Il n’y avait plus rien de vivant en lui. Il disparut derrière la portière. Un coup sourd ébranla le plancher.

Le lendemain matin, le roi, le cardinal de Richelieu, la reine, le duc d’Orléans et Madame, et toute la cour, reprirent le chemin de Paris. Richelieu triomphait…

En sortant du château, il jeta un sombre regard du côté du petit logis et vit que la porte en était restée ouverte. Une minute, il hésita, comme s’il eût eu quelque ordre à donner. Puis, haussant les épaules, il se mit en route. Que Louvigni et la duchesse fussent morts ou vivants, que lui importait à ce moment où tout tremblait devant lui ?…

La duchesse n’était pas morte. Vers l’aube, l’air frais qui entrait par la porte ouverte et envahissait la maison la réveilla. Le hideux souvenir lui revint avec l’instantanéité d’un choc de foudre. Péniblement, elle parvint à se relever. Elle n’éprouvait aucune peur physique à se trouver si près du cadavre de son amant. L’affreuse douleur de son cœur eût suffi d’ailleurs à la préserver de toute appréhension nerveuse.

Elle entra sans trembler dans la pièce où se trouvait le cadavre. Et alors, soudain, dans l’angle le plus obscur de cette pièce, elle vit Louvigni qui semblait dormir.

Louvigni était mort !…

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