Qu’était devenu Stragildo ? Nous allons le dire en peu de mots.
Stragildo avait été enfermé dans le caveau voisin de celui où Simon Malingre et Gillonne devaient si tristement terminer leurs jours.
Deux journées, deux mortelles et longues journées se passèrent ainsi, sans qu’il eût pu même ébaucher un plan quelconque.
Le troisième jour, la porte du cachot voisin s’ouvrit. Il entendit comme le bruit sourd d’un corps posé à terre sans précaution, et la porte se referma.
Stragildo qui, toujours silencieux, écoutait, la face collée contre un trou de la cloison, put assister à la mort de Gillonne ainsi qu’à la longue et terrible agonie de Malingre, devenu fou.
Pas un instant, l’idée ne lui vint d’intervenir et d’essayer de sauver la femme qui râlait derrière cette cloison qu’il aurait pu facilement abattre.
Il ne songea pas davantage à intervenir lorsque le fou se mit à creuser le trou où il cherchait son trésor.
De temps en temps, il exprimait tout haut ses pensées.
« Oui, oui, creuse, creuse toujours… je n’ai pas besoin de me presser… tu travailles pour moi… Par l’enfer, c’est à croire que mon maître Satan lui-même m’a dépêché ce fou pour me prêter assistance… il me donne une idée et il fait ma besogne. »
D’où provenait donc la satisfaction de Stragildo ?
Tout simplement de ceci : ses yeux s’étaient habitués à l’obscurité et il avait remarqué que Malingre, dans sa folie, creusait le sol sous la porte de son cachot.
Cette action irraisonnée du fou avait été un trait de lumière pour Stragildo qui s’était dit :
« Laissons le fou préparer la besogne et cherchons si je ne pourrais trouver un ustensile qui puisse me permettre de pratiquer un trou dans cette cloison.
« Après quoi j’agrandirai ce trou commencé et passerai sous cette porte… Quant au fou, s’il me gêne… »
Un rire silencieux compléta sa pensée.
« Enfin, je crois que ceci fera mon affaire. »
Ceci, c’était tout simplement une tige de fer longue de quelques pouces et grosse comme un doigt.
Il s’en saisit et dit :
« Oui, ça ira avec ça… Mais je n’entends plus mon aide… Çà ! ce maître fainéant serait-il fatigué et se reposerait-il par hasard ?… »
Rapidement, Stragildo, doué d’une force peu commune, avait pratiqué une brèche suffisante et, sa tige de fer à la main, s’était faufilé dans le caveau voisin.
Il alla droit au fou qu’il secoua brutalement.
« Tiens ! fit-il avec la plus complète indifférence, il est mort !… »
Sans s’attarder en réflexions, il repoussa le corps qui le gênait et inspecta les travaux.
Malingre, sans savoir ce qu’il faisait, avait creusé comme une sorte de tranchée qui s’étendait sous la porte.
Stragildo continua ce travail, y apportant la méthode et le soin nécessaires.
Après quelques heures d’un labeur acharné, Stragildo se trouva de l’autre côté de la porte, dans le couloir des caves.
Là, il respira fortement et s’arrêta quelques secondes en épongeant son front ruisselant de sueur.
« Si la porte de là-haut est aussi barricadée, je suis perdu », murmura-t-il.
Néanmoins, il ne s’arrêta pas longtemps et s’aventura dans le couloir en tâtonnant.
Au bout de quelques pas, il heurta les dernières marches d’un escalier qu’il se mit à gravir avec précaution.
Au haut de l’escalier, il se trouva devant une porte qu’il essaya d’ouvrir.
La porte résista.
« Malédiction ! elle est fermée à clef », murmura-t-il sourdement.
Alors il se mit à inspecter minutieusement la serrure, et un sourire de satisfaction vint errer sur ses lèvres.
Il glissa la pointe de sa tige entre le bois et le mur et appuya de toutes ses forces décuplées.
La porte céda.
Il était libre.
Son premier mouvement fut de fuir immédiatement.
Mais une réflexion lui vint, il se retourna et poussa soigneusement la porte en la refermant de son mieux, puis il s’orienta.
Il y voyait clair maintenant et pouvait se diriger aisément.
Il pénétra dans une salle du rez-de-chaussée, elle était déserte ; mais, sur un meuble, il vit une épée et une dague.
Il prit la dague et, après avoir inspecté la lame avec un sourire farouche, il la passa à sa ceinture et continua ses recherches.
« Voyons plus haut », fit-il, après avoir constaté que le rez-de-chaussée était inhabité.
Et il monta au premier.
Sur le palier, un murmure de voix lui fit dresser la tête.
« Ils sont dans le grenier », fit-il avec un sourire de satisfaction.
Et, sa dague au poing, il monta au grenier.
Au fur et à mesure qu’il approchait, il entendait plus distinctement des voix.
Soudain, il s’arrêta net, cloué sur place.
Il venait d’entendre distinctement une phrase complète.
« Oh ! oh ! fit-il avec une joie délirante, inutile d’aller plus loin… je les tiens tous. »
Et il redescendit à pas de loup et se trouva en quelques instants dans le jardin qu’il franchit sans encombre.
Sur la route, avant de s’éloigner, il se tourna vers la maison ; le poing en l’air et les dents serrées, il répéta encore :
« Tous !… je les tiens tous !… ils sont à moi. »
Et il partit rapidement en grommelant :
« Montmartre !… Soit, allons à Montmartre, et je trouverai sûrement. »