Malingre avait déposé son épée et sa dague sur un bahut et tiré de son sein un poignard à lame courte, mais très large.
Tout en se livrant à ses occupations avec une parfaite quiétude, il marmottait :
« Cette enragée guenon qui me joue le méchant tour de trépasser avant que j’ai pu lui dire tout ce que j’avais sur le cœur !… Hé ! hé ! me voilà tout à fait riche maintenant ; le magot de la défunte Gillonne était bien garni, hé ! hé ! »
Cette pensée du magot l’amena tout naturellement à se tourner vers l’endroit où il avait posé la cassette.
Il resta bouchée bée, les yeux arrondis par la stupeur : la cassette qu’il avait laissée là, sur la table, quelques minutes avant, la cassette n’y était plus !…
Il se frotta les yeux comme pour s’assurer qu’il était bien éveillé et dit à haute voix :
« Voyons, voyons, je ne dors pas… j’avais bien laissé la cassette là ! »
Et il se mit à fureter partout, revenant toujours et malgré lui à la table, parlant tout haut, sans s’en apercevoir, répétant sans cesse :
« Pourtant, je l’ai laissée là… j’en suis sûr… je ne dors pas… je ne suis pas devenu fou. »
Il se mit à trembler de tous ses membres, ses cheveux se hérissèrent et il se sentit positivement devenir fou de terreur.
En effet, là, de derrière ce rideau auquel il tournait le dos, n’osant plus le regarder, de derrière ce rideau, une voix, la voix de Gillonne, Gillonne qu’il avait pendue de ses propres mains, il n’y avait pas un quart d’heure, la voix de Gillonne s’était fait distinctement entendre :
« Tu l’as dit, Simon… C’est moi qui t’ai repris mon bien ! Ah ! ah ! ah ! même la mort ne peut me séparer de mon or chéri, mon or que j’aimais au-dessus de tout… Tu peux chercher, tu ne trouveras rien !… j’ai repris mon bien, ah ! ah ! ah ! »
Alors, éperdu, stupide d’étonnement, à moitié fou de terreur superstitieuse, il clama désespérément :
« Arrière, fantôme… si tu as repris ton bien, je ne te dois plus rien… Laisse-moi… Je vais prendre mon bien à moi et si ce sont des prières que tu veux, eh bien, je consacrerai une partie de mon trésor en messes pour le salut de ton âme… mais laisse-moi.
– Ton trésor ?… Va, cours, cherche !… Si tu le trouves… »
Et il courut, en effet, comme la morte venait de le lui ordonner.
Et telle était, chez lui, la puissance de l’avarice, que l’idée ne lui vint même pas de fuir ces lieux qu’il croyait hantés.
Non ! la morte avait dit : « Cherche si tu trouves. »
Et la seule crainte qui le tenaillait maintenant était d’arriver trop tard.
Et, tout en courant vers le coin où, la veille, il avait enfoui son coffre, il grognait :
« Pourvu que je n’arrive pas trop tard !… Pourvu que la gueuse ne m’ait pas volé !… »
Et, en creusant le sol avec l’arme qu’il n’avait pas lâchée, poursuivi par cette crainte, cette hantise, il répétait toujours les mêmes phrases.
Cependant il avait creusé déjà un trou assez profond. Il lui semblait qu’il aurait dû déjà rencontrer le bois du coffret.
Il s’arrêta, s’assit les jambes pendantes en dedans du trou qu’il avait creusé et larmoya :
« Elle m’a volé !… la gueuse m’a tout pris. »
Or, comme il répétait pour la centième fois peut-être : « Trop tard !… La gueuse m’a volé ! » une main se posa sur son épaule et une voix railleuse lui cria :
« Eh ! mais c’est mon camarade Simon Malingre !… Çà ! que fais-tu donc là à pareille heure ? »
Il ne fut même pas étonné de voir là Lancelot Bigorne. Tout à son désespoir et à son idée fixe, il désigna le trou et dit de son ton larmoyant :
« La gueuse m’a volé.
– On t’a volé, compère ?… Mais, cornes du diable ! ce n’est pas une raison pour brailler comme un veau à l’abattoir… On ne réveille pas ainsi les gens, que diable !… Allons, lève-toi et suis-moi. »
Ces mots, dits d’une voix rude, commencèrent à tirer quelque peu Malingre de son engourdissement cérébral.
Il reconnut enfin Bigorne, la mémoire lui revint et, avec la mémoire, la conscience de la passe critique en laquelle il se trouvait.
« Maintenant, marche de bonne grâce, si tu ne veux pas que je te pousse avec la pointe de ma rapière. »
Malingre dut donc se résigner à marcher.
Mais, lorsqu’il vit que Lancelot Bigorne se disposait à le faire entrer dans la salle même où il avait pendu Gillonne, la crainte du fantôme vint assaillir son esprit déjà fortement ébranlé par des secousses successives et il se raidit nerveusement en disant d’une voix suppliante :
« Non, pas là… pas là… »
Malingre ne pensait qu’au fantôme qui lui avait parlé là, derrière ce rideau, au fantôme qui l’avait dépouillé.’
« Puisque tu as juré de nous perdre, ce que tu ferais indubitablement si je te laissais aller, ne voulant pas être tué par toi, je vais, puisque je te tiens, te tordre le cou comme à un poulet… ou plutôt non, je vais te pendre ici même.
– Me pendre ici ? dit Malingre qui avait entendu vaguement.
– Oui, scélérat, ici même… derrière ce rideau !… »
Malingre se mit à rire.
« Ouais ! tu ris de cela, toi ?… Serais-tu brave, par hasard ?
– Me pendre ici, reprit Malingre qui riait toujours, que non… la place est prise… elle y est déjà, elle !…
– Bien ! bien ! Je vois où le bât te blesse », dit Lancelot, qui crut comprendre.
Et, se levant, il alla tirer le rideau.
Mais Malingre se boucha les yeux de ses poings fermés et s’aplatit à terre en gémissant.
« Regarde s’il n’y a pas de quoi te pendre proprement. »
Malingre regarda, en effet, et resta béant de stupeur.
La corde était toujours là, se balançant lentement au-dessus de l’escabeau qui avait été remis en place par une main mystérieuse ; seulement Gillonne, qu’il avait laissée pendue au bout de cette corde, Gillonne n’y était plus !
Malingre se demandait de plus en plus s’il n’y avait pas là de la magie.
« Allons, fit rudement Bigorne, marche… »
Et la scène qui s’était passée entre Malingre et Gillonne recommença.
Seulement cette fois, c’était Malingre qui se trouvait dans la situation de Gillonne, et c’était Lancelot Bigorne qui le piquait, lui, Malingre, de la pointe de sa rapière et, lui désignant la corde, lui disait :
« Marche ! »
Arrivé là, le misérable perdit la notion des choses.
Il vit, il sentit vaguement que Lancelot, riant et grimaçant, poussant de formidables hi han ! lui passait le nœud fatal au cou ; il sentit, une seconde, une douleur atroce à la nuque et il se sentit balancé dans le vide et ce fut la fin…
*
* *
Or, Malingre n’était pas mort et Gillonne n’était pas morte.
Lancelot Bigorne avait assisté, caché dans un des bahuts qui ornaient la salle, à l’entretien de Malingre et de Gillonne.
C’est lui qui, profitant de ce que Malingre se trouvait occupé à pendre Gillonne derrière le rideau, avait adroitement subtilisé la cassette.
C’est lui qui, sorti par une fenêtre, était allé à l’autre où il avait assisté à toute la scène de la pendaison.
Lui encore qui avait dépendu l’infortunée Gillonne à temps, lui avait donné des soins, l’avait rappelée à elle et lui avait soufflé les paroles qui jetèrent la terreur dans le cerveau de Malingre.
Lui toujours qui avait confié Gillonne à Bourrasque, lequel l’avait descendue dans le caveau voisin de celui où se trouvait déjà Stragildo, pendant que Riquet transportait au grenier la cassette tant convoitée par Malingre.
Lui qui s’était élancé derrière Malingre et, après l’avoir laissé longtemps creuser le sol, l’avait enfin conduit là où il s’était livré à un simulacre de pendaison pour achever de le terrifier, ensuite de quoi il l’avait dépendu, descendu dans le caveau et jeté auprès de Gillonne qui, certes, se serait passée de ce voisinage.
*
* *
Cependant, les secousses violentes qui avaient agité successivement et si rapidement son cerveau avaient fortement ébranlé la raison de l’infortuné Malingre.
Lorsque, sortant de l’évanouissement dans lequel il était tombé, il revint à lui, il se trouva dans l’obscurité d’une cave, sorte de cachot.
Lorsque, ses yeux s’habituant à l’obscurité du cachot, il vit Gillonne qui, terrifiée elle-même, s’était blottie en un coin et le regardait avec une crainte mêlée d’une satisfaction farouche, sa raison vacilla complètement et le malheureux devint fou tout à fait.
Il commença par montrer du doigt Gillonne en disant :
« Là !… Là !… Abomination !… le fantôme !… Que me veux-tu encore ? Tu m’as pris tout mon or… tout mon or chéri, tu me l’as pris… Tu as pris ma vie… Maintenant, c’est mon âme que tu veux ?… Hein ?… oui, pour la porter à messire Satan ?… Arrière !… Arrière !… Tu ne l’auras pas, mon âme… non, tu ne l’auras pas… »
À ces mots, Gillonne comprit et elle frémit :
« Fou ! murmura-t-elle, il est fou !… Doux Jésus !… Mais il va m’étrangler… Je ne veux pas rester ici… Non, c’est trop horrible ! Je deviendrais folle moi-même. »
Et comme, à ce moment précis, Gillonne, au paroxysme de la terreur, frappait à la porte à tour de bras en hurlant, le fou crut que le fantôme se ruait sur lui ; il se dressa tout d’une pièce et saisit l’infortunée au cou par-derrière, en criant :
« Ah ! je te tiens… je te tiens bien !… Voyons qui sera le plus fort de nous deux… Ah ! ah ! Mon or ?… où est mon or ?… Tu dis qu’il est là… Où çà ?… Ici ?… Oui ?… Bon, bon, attends que je finisse de t’étrangler, car je te connais, moi… tu serais capable de me prendre par-derrière quand je creuserai là pour retrouver mon or !… Ah ! ah ! ah ! je savais bien que je te ferais rendre gorge… Je savais bien que je serais le plus fort. »
Et le fou lâcha Gillonne.
Mais Gillonne était bien morte, cette fois-ci, morte étranglée par Malingre, le fou, qui lui avait incrusté ses doigts, véritables griffes, dans le cou.
Sans plus s’occuper du cadavre, le fou se rua à plat ventre dans un coin de la cave et se mit à gratter le sol avec ses ongles, et tout en grattant, il grognait :
« Il est ici, mon or… c’est ici qu’elle me l’a caché… Ah ! ah ! ah ! comme je l’ai bien forcée à parler… mais il faut creuser… creuser encore… C’est dur !… très dur !… mais n’importe, c’est pour mon or que je vais retrouver. »
Et il creusait toujours, en effet.
Ses doigts étaient en sang, mais il ne s’en apercevait pas, il ne sentait rien.
Longtemps encore il creusa le sol en grognant :
« Je le retrouverai, mon or… je le retrouverai… »
Soudain il s’arrêta et resta étendu de tout son long, la face contre terre, dans la fosse que lui-même avait creusée.
Il était mort !