Roncherolles, Saint-André, Lagarde, Roland, depuis le matin, étaient là, sans se parler. Il n’y avait qu’eux devant le brasier. Il y avait quelqu’un pourtant qui regardait cela d’une fenêtre de la maison d’en face. C’était la dame sans nom.
La nuit commença à tomber. Roland s’en alla dîner. Le maréchal de Saint-André, enfin, prononça :
– Cette fois, il est mort.
Le grand-prévôt tressaillit et fixa le brasier.
– Lagarde, dit-il alors, celui qui a allumé le feu passera à la grande prévôté ; je lui dois mille écus.
Il se tourna vers le maréchal, et, avec un rire étrange :
– Il était temps que cet homme meure !
– Oui. Le roi va être content.
– Et la reine ! pensa Lagarde.
– Le drôle eût été capable d’empêcher le mariage de mon fils avec votre fille, ajouta Saint-André à voix basse.
– Comment savez-vous !… gronda Roncherolles.
– Je ne sais rien. J’ai entendu dire que ce truand osait lever les yeux sur votre fille. Et puis l’affaire de l’auberge…
– C’est vrai, c’est vrai ! murmura Roncherolles rassuré.
– Adieu, grand-prévôt ; je vais me coucher, je tombe.
– Il faut que vous veniez chez moi. Nous avons à causer…
– De quoi ?…
– De ce mariage ! fit Roncherolles, les dents serrées.
Lagarde demeura seul avec deux de ses acolytes.
– L’animal est mort, dit l’un deux, il faut nous en aller.
– Nous allons rester ici toute la nuit ! dit Lagarde.
Tous trois allèrent se gîter à quelque distance, dans un recoin d’où ils pouvaient surveiller les ruines du cabaret.
En voyant tomber Le Royal de Beaurevers, Myrta, saisissant le flambeau placé près de la trappe, mit le feu à la paille. Elle souleva Beaurevers dans ses bras et le descendit dans les caves. Puis, remontant, prit le flambeau, rabattit la trappe et l’assujettit à l’intérieur. Tout cela demanda les deux minutes pendant lesquelles les sbires reprenaient haleine…
Myrta avait déposé Beaurevers sur le sol, elle écouta. Dans la main, elle tenait un large couteau. Des pensées de meurtre roulaient dans sa tête.
– Ils ne l’auront pas vivant, moi vivante. Paris ne verra pas au gibet Le Royal de Beaurevers. Le gibet ! À lui !… Si le feu s’éteint, s’ils ouvrent cette trappe, mon beau Royal, je te tuerai, d’un coup au cœur. Après ça, je me poignarderai.
Les ronflements de l’incendie, les grondements de la rue lui indiquèrent que sa manœuvre avait réussi.
– Ils ne descendront pas…
Elle jeta son couteau. Ses traits se détendirent. Elle se mit à trembler, et tout à coup, éclata en sanglots. Elle s’agenouilla près de Beaurevers et vit deux blessures qu’elle lava avec du vin. Le Royal ouvrit les yeux, se vit dans une cave, et sourit.
– Ma petite Myrta, tu as réussi à me sauver ? Ah ! je…
Le reste fut bredouillé : de nouveau, il perdit connaissance.
– Qu’il est beau, seigneur ! soupira Myrta.
Des heures s’étaient écoulées. On n’entendait plus de bruit. De temps à autre, Myrta montait l’escalier, puis, touchant la trappe, constatait qu’elle se refroidissait.
– Il doit faire nuit, dit-elle à un moment.
Elle ne se trompait pas. Il était plus de minuit. Elle fit tomber la barre de la trappe et essaya de soulever. Quelque chose pesait. Elle s’arc-bouta. Beaurevers pleura de rage.
– C’est moi qui devrais faire tout cela !
Brusquement, la trappe céda et se rabattit. Myrta passa la tête et vit sa maison anéantie. Elle n’en eut pas un battement de cœur.
– Ils sont partis, dit-elle en redescendant. La nuit est noire. Il faut en profiter. Où irons-nous ?
– En face, dit Beaurevers. N’est-ce pas là que demeure une femme qui s’appelle la Dame sans nom ?
– Quoi ! dit Myrta, vous voulez aller… là !
– Certes, ma chère Myrta. Cette femme m’a dit une nuit : « Si jamais vous avez besoin d’un refuge, venez me trouver. » Voilà le refuge. Allons chez la Dame sans nom.
Myrta fit le signe de croix, apeurée.
– J’ai bien pu le sauver des estafiers de Roncherolles, murmura-t-elle, mais comment pourrai-je le sauver de ce spectre qu’on a vu rôder dans le cimetière des Innocents ?…