XIX VICTOIRE DE RICHELIEU

Michel Zévaco

Vers midi, le cardinal fit son entrée au Louvre, escorté du chevalier de Louvigni. Il se rendit tout droit au cabinet royal. Louis XIII donna l’ordre d’introduire Son Éminence. Le cardinal entra seul.

« Je vous croyais à Fleury, monsieur le duc, dit Louis XIII.

– Sire, dit Richelieu, je ne me suis pas rendu à Fleury parce que j’ai appris qu’on devait m’y assassiner.

– Vous assassiner… vous ! fit le roi en bondissant. Au fait, ce n’est pas la première fois. Les intrigants s’attaquent à vous parce que vous êtes la colonne de mon trône. En vous frappant, c’est moi qu’on veut abattre. Je veux, monsieur, que vous me disiez la chose tout au long.

– Sire, fit Richelieu, je ne puis être juge et partie. Si le roi le trouve bon, je vais lui présenter l’homme qui est venu m’informer du complot. La conspiration a eu lieu chez sa maîtresse, qui a été un peu l’âme de cette abominable entreprise. Il demande que cette femme ne soit pas inquiétée. Je dois même ajouter qu’il n’a consenti à venir ici que sous cette condition que le nom de sa maîtresse vous serait caché. Je le lui ai promis en votre nom.

– Très bien. Je ratifie cette promesse, dit Louis XIII. Quel est le nom de cette femme ? ajouta-t-il tout aussitôt avec une naïveté qui touchait au cynisme inconscient.

– La duchesse de Chevreuse, sire !

– Elle ! s’écria le roi. Elle ! L’amie de la reine ! Ah ! cette fois…

– Sire, dit Richelieu, par l’homme qui va vous parler, nous pouvons encore apprendre bien des choses. Si nous touchons à la duchesse, cet homme nous échappe.

– Faites donc entrer cet homme. Qui est-ce ?

– Le chevalier de Louvigni… un de vos courtisans. » Louvigni entra.

« Monsieur de Louvigni, dit Richelieu, Sa Majesté veut bien oublier que le complot s’est tenu chez une personne qui vous intéresse. Sa Majesté consent à ne pas savoir le nom de cette personne. Maintenant, parlez !

– Les noms d’abord ! » dit Louis XIII. Louvigni les désigna l’un après l’autre.

Il ne restait plus à dire que le nom de Gaston. Louvigni consulta Richelieu du regard. Louis XIII remarqua ce coup d’œil et s’écria :

« Dites tout, monsieur, je le veux. »

Louvigni nomma Gaston d’Anjou.

« Je m’en doutais ! gronda le roi dans un éclat de rire funèbre. Et, après la mort du cardinal, on m’eût meurtri moi-même, n’est-ce pas, monsieur ? Et ce digne frère, ce bon parent eût épousé la reine Anne, n’est-ce pas, monsieur ?

– Sire, je vous en supplie », murmura Richelieu.

Louis XIII se calma. Louvigni entreprit alors un récit détaillé de la scène du meurtre, telle qu’elle avait été arrêtée.

« C’est bien, monsieur, fit alors Louis XIII, allez et dites à la personne qui vous tient si fort à cœur que je l’engage à quitter Paris. C’est tout ce que je puis faire pour elle. »

Il était près de trois heures lorsque Louvigni quitta le Louvre. À ce moment même, Gaston y rentrait. Quant à Vendôme et à Bourbon, ils avaient quitté Son Altesse aux portes de Paris et avaient pris la route de Blois. Gaston avait juré de nier hardiment. Il avait surtout juré de ne nommer aucun des conjurés. Mais les deux fils de Gabrielle, peu confiants dans cette parole, avaient préféré se mettre à l’abri.

Gaston mit pied à terre dans la cour du Louvre. Il se trouva nez à nez avec le capitaine des mousquetaires qui lui dit :

« Monseigneur, daigne Votre Altesse me suivre jusqu’auprès de Sa Majesté. »

Dix minutes avant Gaston, le Père Joseph était arrivé, qui avait raconté l’intervention imprévue de Trencavel et l’inutile déploiement des mousquetaires. Les conjurés étaient partis. La souricière était vide. Richelieu, qui jusqu’alors avait fait bonne contenance, parce qu’il était sûr de prendre tous les conjurés dans un même coup de filet, Richelieu se mit à trembler.

« Je suis perdu !…

– Oui, dit le Père Joseph, si vous reculez. Non, si vous tenez tête à l’orage. Voici ce qu’il faut faire : exiler la Chevreuse, décapiter deux ou trois des plus compromis, emprisonner Vendôme et son frère, obtenir le mariage de Gaston avec Mlle de Montpensier. Allez, mon fils. »

Richelieu avait appelé le capitaine des mousquetaires, puis était rentré dans le cabinet du roi. Gaston d’Anjou suivit donc le capitaine jusqu’à la porte du cabinet royal. Il entra…

Tout de suite, il vit que le roi savait tout. Dans un dernier effort, il se tourna vers Richelieu et bégaya :

« Je vous félicite de votre audace, monsieur le cardinal. Lorsque le frère du roi de France condescend à vous faire l’honneur que je vous faisais, vous vous dérobez, vous ne paraissez pas au dîner auquel vous aviez convié mes amis.

– Monseigneur, dit Richelieu, c’est qu’il n’y a peut-être personne qui se fût attendu comme moi à être assassiné par ses hôtes… »

Gaston chancela. Richelieu, sentant qu’il jouait là la suprême partie de sa vie, marcha au roi.

« Sire, dit-il, j’ai la douleur d’accuser votre frère de forfaiture, félonie, entreprise contre le roi et embauchage en vue du meurtre de votre ministre. En conséquence, je demande qu’il soit procédé sur-le-champ à l’arrestation de Monsieur.

– C’est faux, sire, je le jure ! »

Louis XIII attendait tout autre chose, une révolte peut-être, quelque terrible riposte digne d’un fils d’Henry IV.

« Monsieur, dit-il, monsieur, les portes devaient être gardées par quatre gentilshommes angevins, par Beuvron et par Montmorency-Bouteville ; M. de Vendôme devait se placer près de vous avec son frère ; et vous, prenant place dans votre fauteuil, comme si vous eussiez eu le droit de rendre déjà la justice, vous deviez dire : « Monsieur le cardinal, au nom de la noblesse française que vous opprimez, j’ai décidé que vous devez mourir. » Et, alors, le cardinal devait être frappé. »

Gaston s’écroula sur ses genoux.

« Ce n’est pas moi !… Non… Ce n’est pas moi !… ».

Louis XIII baissa la tête. Tant de lâcheté lui causait un intolérable sentiment de honte.

« Debout ! gronda-t-il furieusement. Debout, par le sang du Christ ! Un fils, un frère de roi ne s’agenouille pas !…

– Sire, dit Richelieu, Son Altesse vient d’affirmer que ce n’est pas elle qui a voulu perpétrer le forfait de Fleury. Sire, si le duc d’Anjou veut parler, je suis d’avis qu’il soit épargné. La famille royale ne doit pas être soupçonnée.

– Je parlerai ! Je dirai tout ! gémit Gaston.

– Et monseigneur consentira à épouser Mlle de Montpensier ?

– Oui, cardinal, quand le roi voudra !…

– Eh bien, parle ! » dit Louis XIII.

Et le duc d’Anjou parla !… Tandis que, d’une voix morne, il dénonçait l’un après l’autre les malheureux qui lui avaient offert leur dévouement, le cardinal avait été à la porte. Là, il donna deux ordres : l’un au capitaine des mousquetaires, l’autre au valet de chambre.

Le roi écouta en silence le récit de son frère. Cependant, Richelieu écrivait rapidement sur un coin de table, et Gaston le surveillait du coin de l’œil. Quand fut terminée l’effrayante confession, Richelieu aussi avait fini d’écrire.

« C’est bien, dit Louis XIII, si vous voulez que je vous pardonne, commencez par demander pardon à Son Éminence. »

Le duc d’Anjou, la rage au cœur, bredouilla :

« Monsieur le cardinal, je vous demande pardon… »

Alors se passa quelque chose d’étrange. Le cardinal alla ouvrir la porte et prit des mains du valet de chambre un lourd volume à fermoir d’argent qu’il déposa sur la table. Ce volume, il l’ouvrit. Puis il détacha la croix d’or enrichie de diamants qu’il portait au cou et la plaça sur le livre grand ouvert. Le roi, étonné, regardait. Gaston essaya de prendre un air de dignité et balbutia :

« Monsieur, quand un prince de sang royal s’abaisse à demander pardon…

– Il élève à sa hauteur ceux à qui s’adresse cette demande de pardon ! interrompit Richelieu. Et, alors, ceux-là ont le droit d’agir en princes du sang et de prendre pour la sûreté de la famille royale toutes les précautions qui leur semblent bonnes. – Sire, je viens de donner l’ordre à votre capitaine d’aller fouiller l’hôtel de Chevreuse. – Quant à vous, monseigneur, voici l’Évangile sur cette table, voici une croix qui fait Dieu présent parmi nous, voici enfin une formule que j’ai préparée. Lisez-la, monseigneur, et, la main sur l’Évangile, répétez-la !…

– Oui, oui ! » s’écria Louis XIII.

Le duc d’Anjou prit le papier, il étendit la main et, à haute voix, répéta le serment dicté par le cardinal :

Sur Dieu et sur l’Évangile, je jure fidélité au roi et à ses conseils. Je jure d’aimer et affectionner le roi et ceux qu’aime le roi. Je jure de répéter au roi et à ses conseils tout discours que j’aurai entendu, de nature à porter atteinte à l’autorité ou à la vie ou au bonheur du roi ou de ses conseils.

Gaston, sûr désormais d’échapper à tout châtiment, avait prononcé ces paroles d’une voix forte. Aussitôt, il se tourna vers le roi et ajouta :

« Sire, c’est comme un frère que je veux désormais aimer le roi et le servir ! »

Alors, cette sombre figure de Louis XIII s’éclaira. Le roi alla à Gaston, et l’embrassa sur les deux joues en disant :

« Tout est pardonné, oublié. Si vous voulez m’aimer en frère, je veux, moi, vous traiter comme mon propre fils… »

Louis XIII et Richelieu demeurèrent seuls. Richelieu était blême.

« Sire, dit-il à haute voix, j’ai l’honneur de demander mon congé à Votre Majesté.

– Quoi ! s’écria Louis XIII, après le serment que mon frère vient de vous faire ?

– Ce serment m’assure de la fidélité de Monsieur : c’est tout. Sire, songez au nombre d’ennemis qui m’entourent. Le roi, en m’accordant mon congé, me fera grâce de la vie. Si vous m’ordonnez de rester, c’est que vous me condamnez à mort !…

– Non pas, de par tous les saints ! Attendez… »

Et tandis que Richelieu palpitait, le roi s’assit à la table et, rapidement, écrivit :

Monsieur le cardinal.

Je vous adresse les présentes pour vous témoigner l’horreur que j’ai des entreprises tentées contre votre personne et l’affection que j’éprouve de jour en jour plus grande pour vous. Je veux vous faire savoir que je ratifie toutes mesures que vous croirez devoir prendre pour votre sûreté, la mienne et celle de l’État. Assurez-vous que je ne changerai jamais et que quiconque vous attaquera, vous m’aurez pour second. Et je prie Dieu, monsieur le cardinal, qu’il vous tienne en sa sainte garde.

Le roi data, signa et scella cette lettre, qu’il remit à son ministre. Le cardinal la dévora d’un ardent regard et devint pourpre de joie et d’orgueil… Cette lettre, en effet, lui conférait une sorte de dictature ; elle lui livrait d’avance tous ses ennemis pieds et poings liés.

Richelieu se courba devant le roi et murmura simplement :

« Ma vie vous appartient, sire ; disposez-en. »

Et Richelieu sortit.

*

* *

Dans cette journée même la duchesse de Chevreuse attendait le résultat de l’action. Elle était prête à tout événement. Dans la cour attendait un carrosse tout attelé. Toute frissonnante, elle regarda l’horloge.

« Midi ! murmura-t-elle. Mon beau lion lève sa griffe d’acier sur le monstre. C’est l’heure de la délivrance, l’heure de mort… »

À ce moment même, l’une des vitres vola en éclats. Une pierre tomba sur le tapis. Un papier l’enveloppait. La duchesse le saisit vivement, le déroula et déchiffra ces mots :

Le cardinal de Richelieu, instruit par moi de ce qui devait s’accomplir, a envoyé à Fleury une demi-compagnie de mousquetaires. À l’instant où vous recevrez ce message, votre amant sera arrêté. Jugez de l’amour que j’avais pour vous par l’infamie où je me perds pour tuer celui que vous aimez.

Ce n’était pas signé. Mais il n’y avait pas besoin de signature. Chaque lettre de ce billet criait la passion de Louvigni.

La duchesse de Chevreuse demeura écrasée. Elle avait feint l’amour pour armer le bras de Chalais. Et maintenant elle eût tout donné pour qu’il fût sauvé.

« Henry ! bégaya-t-elle, affolée. Ô mon Henry, si tu meurs, je mourrai avec toi !… »

Ce moment de faiblesse dura peu. Presque aussitôt elle rassembla son énergie. En quelques instants, elle eut placé dans un portemanteau de voyage tout ce qu’elle possédait dans l’hôtel en or ou en bijoux précieux. Puis elle descendit rapidement, prit place dans le carrosse et dit :

« À Fleury, ventre à terre… »

Il y avait un peu plus d’une heure que la duchesse était partie lorsqu’un cavalier mit pied à terre devant l’hôtel. Il portait la livrée de Vendôme. Il demanda à être admis sur-le-champ en présence de la duchesse, disant qu’il était question de vie ou de mort. Il était porteur d’une dépêche pour elle. On lui répondit que la duchesse était partie. Où ? On l’ignorait. À ce moment, un deuxième cavalier couvert de sueur entra dans la cour en faisant une grimace de satisfaction. Au valet qui s’avançait vers lui, il dit :

« Prévenez seulement Mme la duchesse que je suis envoyé ici par Mlle de Lespars ; c’est tout, brave homme.

– Comment vous appelez-vous ? fit le valet, ébahi.

– Verdure. J’appartiens à M. le comte de Mauluys. »

Verdure esquissait son plus aimable sourire, lorsqu’un troisième cavalier arriva en trombe dans la cour. C’était Chalais, livide, tremblant. Il s’élança vers l’intérieur. Le valet courut à lui :

« Ah ! monsieur le comte…

– Où est-elle ? râla Chalais.

– Partie ! Et voici un cavalier qui demande Mme la duchesse. »

Hagard, Chalais se tourna vers l’homme qu’on lui désignait et il reconnut les armes de Vendôme. L’homme le reconnut aussi sans doute.

« Monsieur le comte, dit-il, j’apportais cette dépêche à Mme la duchesse. »

Chalais saisit la lettre et l’ouvrit. Ce geste en disait long sur ses relations avec la duchesse. Mais il ne savait ce qu’il faisait. Il lut :

Tout est découvert. Fuyez et venez nous rejoindre à Blois. De, là, nous marcherons sur Nantes. S’il le faut, nous irons nous enfermer à La Rochelle et nous déchaînerons la guerre civile. Venez en toute hâte.

« Où est la duchesse ? » demanda machinalement Chalais.

Marine, la soubrette de la duchesse, était accourue. Elle venait de tout entendre. Elle s’approcha de Chalais, avec sa familiarité de confidente, et lui glissa :

« Madame est partie subitement après avoir lu un papier qui lui est parvenu d’étrange façon… »

« Elle est sur la route de Blois ! songea Chalais avec un tressaillement d’indicible joie. »

« Marine, pour Dieu, pour ta maîtresse, un cheval à l’instant ! Le mien est fourbu.

– Un cheval pour Monsieur le comte ! cria Marine.

– Licencie tout le monde, ajouta Chalais à voix basse, et viens nous joindre à Blois. »

Quelques instants plus tard, Chalais s’élançait, sortait de Paris sans être inquiété et prenait la route de Blois. Une demi-heure s’écoula. Verdure, installé sur sa borne, paraissait ne rien voir, ne rien entendre de ce qui se passait autour de lui. Parfois seulement, il maugréait de confuses paroles où il était question de bizarres corvées, d’accusations portées contre Mauluys qui condamnait ses gens à mourir de soif.

« C’est bien fait, grogna Verdure à un moment, il ne verra pas la lettre. Il ne voulait pas la lire, le sot ! Saint-Priac a vu la fameuse lettre. Le cardinal l’a vue et revue. M. de Mauluys ne la verra pas. Ça lui apprendra ! »

Verdure en était là de son monologue et de ses ricanements, lorsqu’un coup de marteau violent ébranla la grande porte de l’hôtel que Marine avait fait refermer.

Chacun crut que c’étaient les gens du lieutenant criminel. Nul n’alla ouvrir.

« Voilà une maison bien mal tenue », maugréa Verdure.

Et, tranquillement, il alla ouvrir.

« Monsieur Trencavel ! fit-il.

– Verdure ! s’écria Trencavel. Toi ici !

– Moi-même. M. le comte m’a mis là de faction pour vous attendre. Suivez-moi, monsieur. »

Et comme Trencavel hésitait :

« Elle n’est pas ici, dit Verdure, goguenard. Si vous voulez la voir, suivez-moi. »

Et Verdure, bien certain désormais de son fait, sortit de l’hôtel, traînant son cheval par la bride et sans se donner la peine de s’assurer que Trencavel suivait. Trencavel l’eût suivi jusqu’au bout du monde.

Depuis son entrevue avec le roi, Louvigni s’était renfermé chez lui.

Il était environ quatre heures lorsque son valet qu’il avait appelé lui dit :

« Monsieur sait-il les bruits qui courent à propos de Mme la duchesse ?

– En fuite ? fit machinalement Louvigni.

– Oui, monsieur, et, avec elle, plusieurs grands seigneurs qui, paraît-il, ont entrepris contre le roi, et après lesquels courent un grand nombre de gens d’armes ; on dit que parmi les fugitifs se trouve aussi le grand ami de monsieur, c’est-à-dire M. le comte de Chalais qui… »

Le pauvre diable n’eut pas le temps d’achever. Louvigni lui avait sauté à la gorge et rugissait :

« En fuite ! Tu dis que Chalais est en fuite !… Tu dis que Chalais est vivant ! Que Chalais n’est pas arrêté ! Voyons, raconte ! » reprit Louvigni, en reprenant à peu près possession de lui-même.

Et le valet raconta. Il n’était question que de cela dans Paris. Dans toutes les églises, on chantait le Te Deum. Des bandes de gens parcouraient les rues en criant : « Vive M. le cardinal ! qu’on a voulu meurtrir ! » Tout le monde désignait les conjurés. Et on citait M. de Chalais. Louvigni s’affaissa.

Ainsi, sa trahison était inutile ! Chalais avait pu fuir !…

« Oh ! grinça-t-il, je me tuerai peut-être, mais pas avant de lui avoir arraché le cœur. »

Tous les conjurés n’avaient pas fui. Deux d’entre eux, vers trois heures, étaient tranquillement rentrés dans Paris. C’étaient le comte de Montmorency-Boutteville et le marquis de Beuvron, tous deux jeunes, aimables et brillants seigneurs à qui souriait le printemps de leur vie. Ils se dirigeaient vers la place Royale.

« Tout est bien fini, disait Beuvron ; je crois le cardinal imprenable.

– C’est mon avis, marquis, reprenait Boutteville. Mais, puisque nous sommes résolus à le braver, puisque nous voulons donner un exemple à la noblesse je crois que le moment est venu de le défier et de nous battre en duel sous ses yeux. »

Ils arrivaient sur la place Royale. Lorsqu’on vit ces deux gentilshommes dégainer, un rassemblement se forma aussitôt. La chose avait lieu sous les fenêtres même du cardinal. Plusieurs gentilshommes accoururent.

« Messieurs, messieurs, que voulez-vous faire ?

– Eh ! dit Beuvron, voici le cas que nous faisons des édits !

– Rengainez, par le Ciel ! cria l’un des gentilshommes présents. Voici les mouches du cardinal. »

Mais déjà les deux adversaires s’attaquaient. Beuvron, le premier, fondit sur Boutteville en disant :

« Dépêchez-vous de me tuer, mon cher, voici qu’on vient nous arrêter ! »

Des gens armés sortaient en effet de l’hôtel du cardinal.

« Holà ! cria le chef des gardes. Bas les épées, messieurs ! »

À ce moment même, Beuvron tomba et rendit le dernier soupir.

« Votre épée, monsieur de Boutteville ! » dit le chef des gardes.

Quelques instants plus tard, Boutteville avait disparu. On le conduisit à la Bastille. Il en sortit, c’est vrai, mais ce fut pour marcher à l’échafaud.

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