IV

Je laissai retomber le rideau et me trouvai dans le temple. C’était une sorte de chambre longue et étroite, sans aucun siège, aux murs de toile, éclairée par un seul quinquet. Quelques personnes, des filles curieuses, des garçons faisant tapage, s’y trouvaient déjà réunies. Tout se passait d’ailleurs avec la plus grande décence : une corde, tendue au milieu de la pièce, séparait les hommes des femmes.

Le Miroir d’amour, à vrai dire, n’était autre chose que deux glaces sans tain, une dans chaque compartiment, petites vitres rondes donnant sur l’intérieur de la baraque. Le miracle promis s’accomplissait avec une admirable simplicité : il suffisait d’appliquer l’œil droit contre la vitre, et au delà, sans qu’il soit question de tonnerre ni de soufre, apparaissait la bien-aimée. Comment ne pas croire à une vision aussi naturelle !

Je ne me sentis pas la force de tenter l’épreuve dès l’entrée. La bayadère m’avait regardé au passage, d’un regard qui me donnait froid au cœur. Savais-je, moi, ce qui m’attendait derrière cette vitre : peut-être un horrible visage, aux yeux éteints, aux lèvres violettes ; une centenaire avide de jeune sang, une de ces créatures difformes que je vois, la nuit, passer dans mes mauvais rêves. Je ne croyais plus aux blondes créations dont je peuple charitablement mon désert. Je me rappelais toutes les laides qui me témoignent quelque affection, et je me demandais avec terreur si ce n’était pas une de ces laides que j’allais voir apparaître.

Je me retirai dans un coin. Pour reprendre courage, je regardai ceux qui, plus hardis que moi, consultaient le destin, sans tant de façons. Je ne tardai pas à goûter un singulier plaisir au spectacle de ces diverses figures, l’œil droit grand ouvert, le gauche fermé avec deux doigts, ayant chacune leur sourire, selon que la vision plaisait plus ou moins. La vitre se trouvant un peu basse, il fallait se courber légèrement. Rien ne me parut plus grotesque que ces hommes venant à la file voir l’âme sœur de leur âme par un trou de quelques centimètres de tour.

Deux soldats s’avancèrent d’abord : un sergent bruni au soleil d’Afrique, et un jeune conscrit, garçon sentant encore le labour, les bras gênés dans une capote trois fois trop grande. Le sergent eut un rire sceptique. Le conscrit demeura longtemps courbé, singulièrement flatté d’avoir une bonne amie.

Puis vint un gros homme en veste blanche, à la face rouge et bouffie, qui regarda tranquillement, sans grimace de joie ni de déplaisir, comme s’il eût été tout naturel qu’il pût être aimé de quelqu’un.

Il fut suivi par trois écoliers, bonshommes de quinze ou seize ans, à la mine effrontée, se poussant pour faire accroire qu’ils avaient l’honneur d’être ivres. Tous trois jurèrent qu’ils reconnaissaient leurs tantes.

Ainsi les curieux se succédaient devant la vitre, et je ne saurais me rappeler aujourd’hui les différentes expressions de physionomie qui me frappèrent alors. Ô vision de la bien-aimée ! quelles rudes vérités tu faisais dire à ces yeux grands ouverts ! Ils étaient les vrais Miroirs d’amour, Miroirs où la grâce de la femme se reflétait en une lueur louche où la luxure s’étalait dans de la bêtise.

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