XII Qui prouve que le cœur d’un geôlier n’est pas toujours de pierre

Pendant que Marius, avant le procès, courait la ville inutilement, Fine travaillait de son côté à l’œuvre de délivrance. Elle entreprenait une campagne en règle contre la conscience de son oncle, le geôlier Revertégat.

Elle s’était installée chez lui et passait ses journées dans la prison. Du matin au soir, elle cherchait à se rendre utile, à se faire adorer de son parent qui vivait seul, comme un ours grondeur avec ses deux petites filles. Elle l’attaqua dans son amour paternel, elle eut des cajoleries charmantes pour les enfants, dépensa toutes ses économies en joujoux, en dragées, en chiffons de toilette.

Les petites n’avaient pas l’habitude d’être gâtées. Aussi se prirent-elles d’une tendresse bruyante pour leur grande cousine qui les faisait danser sur ses genoux et qui leur distribuait de si belles et de si bonnes choses. Le père fut attendri, il remercia Fine avec effusion.

Malgré lui, il subissait l’influence pénétrante de la jeune fille. Il grondait lorsqu’il lui fallait la quitter. Elle semblait avoir apporté avec elle la senteur douce de ses fleurs, la fraîcheur de ses roses et de ses violettes. La loge sentait bon, depuis qu’elle se trouvait là, rieuse et légère, ses jupes claires paraissaient y faire de la lumière, de l’air, de la gaieté. Tout riait maintenant dans la salle noire, et Revertégat disait avec un gros rire que le printemps demeurait chez lui. Le brave homme s’oubliait dans les effluves caressants de ce printemps, son cœur s’amollissait, il se départait de la rudesse et de la sévérité de son métier.

Fine était une fille trop rusée pour ne pas jouer son rôle avec une prudence câline. Elle ne brusqua rien, elle amena peu à peu le geôlier à la pitié et à la douceur. Puis elle plaignit Philippe devant lui, elle le força à déclarer lui-même qu’on le retenait injustement en prison. Quand elle tint son oncle dans ses mains, tout assoupi et tout obéissant, elle lui demanda si elle ne pouvait pas visiter la cellule du pauvre jeune homme. Il n’osa dire non, il conduisit sa nièce, la fit entrer et resta à la porte pour faire le guet.

Fine demeura toute sotte devant Philippe. Elle le regardait, Confuse et rougissante, oubliant ce qu’elle voulait lui dire. Le jeune homme la reconnut et s’approcha vivement, d’un air tendre et charmé.

– Vous ici, ma chère enfant, s’écria-t-il. Ah ! que vous êtes gentille de venir me voir... Me permettez-vous de vous baiser la main ?

Philippe se croyait sûrement dans son petit appartement de la rue Sainte, et il n’était peut-être pas loin de rêver une nouvelle aventure. La bouquetière, surprise, presque blessée, retira sa main et regarda gravement l’amant de Blanche.

– Vous êtes fou, monsieur Philippe, répondit-elle. Vous savez bien que maintenant vous êtes marié pour moi... Parlons de choses sérieuses.

Elle baissa la voix et continua rapidement :

– Le geôlier est mon oncle, et, depuis huit jours, je travaille à votre délivrance. J’ai voulu vous voir pour vous dire que vos amis ne vous oublient pas... Espérez.

Philippe, en entendant ces bonnes paroles, regretta son accueil amoureux.

– Donnez-moi votre main, dit-il d’une voix émue. C’est un ami qui vous la demande pour vous la serrer en vieux camarade... Vous me pardonnez ?

La bouquetière sourit, sans répondre.

– Je pense, reprit-elle, pouvoir vous ouvrir prochainement la porte toute grande... Quel jour voulez-vous vous sauver ?

– Me sauver !... Mais je serai acquitté. À quoi bon fuir ? Si je m’échappais, je déclarerais par là même que je suis coupable.

Fine n’avait pas songé à ce raisonnement. Pour elle, Philippe était condamné à l’avance, mais, en somme, il avait raison, il fallait attendre le jugement. Comme elle gardait le silence, pensive et irrésolue, Revertégat frappa deux petits coups contre la porte pour la prier de quitter la cellule.

– Eh bien ! reprit-elle en s’adressant au prisonnier, tenez-vous toujours prêt. Si vous êtes condamné, nous préparerons votre fuite, votre frère et moi... Ayez confiance.

Elle se retira, en laissant Philippe presque amoureux. Maintenant elle avait du temps devant elle pour gagner son oncle. Elle continua à suivre sa tactique, émerveillant le cher homme par sa bonté et sa grâce, l’apitoyant sur le sort du prisonnier. Même elle finit par mettre dans la conspiration ses deux petites cousines, qui, sur un de ses désirs, auraient quitté leur père pour la suivre. Un soir, après avoir attendri Revertégat par toutes les cajoleries qu’elle put trouver, elle en arriva enfin à lui demander carrément la liberté de Philippe.

– Pardieu ! s’écria le geôlier, si cela ne dépendait que de moi, je lui ouvrirais tout de suite la porte.

– Mais cela ne dépend que de vous, mon oncle, répondit naïvement Fine.

– Ah ! tu crois... Le lendemain, on me mettrait sur le pavé, et je crèverais de faim avec mes deux filles.

Ces paroles rendirent la bouquetière toute sérieuse.

– Mais, reprit-elle au bout d’un instant, si je vous donnais de l’argent, moi, si j’aimais ce garçon, si je vous priais à mains jointes de me le rendre ?

– Toi, toi ! » dit le geôlier avec étonnement.

Il s’était levé, il regardait sa nièce pour voir si elle ne se moquait pas de lui. Quand il la vit grave et émue, il plia le dos, vaincu, adouci, consentant du geste.

– Ma foi, ajouta-t-il, je ferai ce que tu voudras... Tu es une trop bonne et trop belle fille.

Fine l’embrassa et parla d’autre chose. Désormais elle était sûre de la victoire. À plusieurs reprises, de loin en loin, elle reprit la conversation, elle habitua Revertégat à l’idée de laisser échapper Philippe. Elle ne voulait pas jeter son parent dans la misère, et elle lui offrit la première une récompense de quinze mille francs. Cette offre éblouit le geôlier qui dès lors lui appartint, pieds et poings liés.

Et voilà comment Fine avait pu dire à Marius, avec son fin sourire : « Suivez-moi... Votre frère est sauvé.

Elle mena le jeune homme à la prison. En chemin, elle lui conta toute sa campagne, elle lui dit comment elle avait peu à peu gagné son oncle. L’esprit droit de Marius se révolta d’abord au récit de cette comédie. Puis il songea aux intrigues employées par M. de Cazalis, il se dit qu’il usait après tout des mêmes armes que ses adversaires, et le calme se fit en lui.

Il remercia Fine d’une façon touchante, il ne sut comment lui témoigner sa reconnaissance. La jeune fille, heureuse de sa joie émue, écoutait à peine ses protestations de dévouement.

Ils ne purent voir Revertégat que le soir. Le geôlier, dès les premiers mots de la conversation, montra à Marius ses deux petites filles qui jouaient dans un coin de la loge.

– Monsieur, dit-il simplement, voici mon excuse... Je ne demanderais pas un sou, si je n’avais ces enfants à nourrir.

Cette scène était pénible pour Marius. Il l’abrégea autant que possible. Il savait que le geôlier cédait à la fois par intérêt et par dévouement, et, s’il ne pouvait le mépriser, il se sentait mal à l’aise en concluant avec lui un marché pareil.

D’ailleurs, tout fut arrêté en quelques minutes. Marius déclara qu’il partirait le lendemain matin pour Marseille et qu’il en rapporterait les quinze mille francs promis par Fine. Il comptait aller les prendre chez son banquier : sa mère avait laissé une cinquantaine de mille francs qui se trouvaient placés chez M. Bérard, dont la maison était une des plus fortes et des plus connues de la ville. La bouquetière devait rester à Aix et y attendre le retour du jeune homme.

Il partit, plein d’espérance, voyant déjà son frère libre. Comme il descendait de la diligence, à Marseille, il apprit une nouvelle terrible qui l’écrasa. Le banquier Bérard venait d’être mis en faillite.

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