XVI Les barricades de la place aux Oeufs

Pendant qu’une terreur folle emportait et dispersait la foule, Philippe et Marius étaient restés quelques instants près de l’hôtel des Empereurs, abrités dans l’enfoncement d’une porte, pour ne pas être entraînés par le flot des fuyards.

Philippe sentait se révolter en lui tous ses sentiments de loyauté, au souvenir du lâche assassinat qu’on venait de tenter sur la personne du général, et son frère, qui lisait cette indignation sur son visage, se promettait de profiter de la circonstance pour essayer une dernière fois de l’arracher à la guerre civile.

Quand ils s’étaient trouvés seuls :

– Eh bien ! lui avait demandé Marius, veux-tu toujours faire cause commune avec ces meurtriers ?

– Il y a des misérables dans tous les partis, avait répondu sourdement Philippe.

– Je le sais, mais une insurrection est fatalement condamnée, lorsqu’elle commence sous d’aussi tristes auspices... Je t’en supplie, viens avec moi, ne te compromets pas davantage.

Les deux frères s’étaient mis à remonter lentement vers le Cours. Marius poussait Philippe de ce côté, pour l’amener dans la chambre où était caché son enfant, il se disait qu’une fois là, il le retiendrait et le sauverait malgré lui.

– Fine et Joseph se sont réfugiés près d’ici, lui disait-il en marchant. J’ai conseillé à ma femme de passer la journée avec ton fils dans le petit logement de la place aux Oeufs, pour nous mettre à l’abri d’un coup de main facile à accomplir pendant les troubles de cette journée... Allons, viens. Nous ne resterons que quelques minutes, si tu l’exiges.

Philippe suivait son frère sans répondre. Des paroles sévères de M. Martelly lui revenaient à la mémoire. le coup de feu qui avait blessé le général retentissait encore à ses oreilles. Il se raidissait, il ne voulait pas abandonner la cause du peuple, et cependant, maigre lui, il commençait à entendre la voix grave de la raison, lui disant de ne point se mêler à une échauffourée inutile et sanglante. D’ailleurs, il ignorait ce qui se passait ; tout était fini peut-être ; les ouvriers devaient élever des barricades dans les rues éloignées, et ces barricades seraient prises avant qu’on eût le temps de les défendre. L’esprit inquiet, il marchait à côté de son frère, vaincu à demi, ne sachant quel parti prendre.

Ce fut alors que les deux frères, en entrant dans la Grand-Rue, aperçurent sur la place aux Oeufs un rassemblement d’ouvriers qui faisaient à la hâte des barricades.

Marius s’arrêta, désespéré. Il songea que Fine et Joseph allaient se trouver au milieu même de l’insurrection, et il se dit que maintenant Philippe se battrait à coup sûr. Ce qui le désolait davantage, c’était qu’il s’accusait d’être l’auteur de tout le mal. N’était-ce pas lui qui avait conseillé à sa femme de se réfugier là ? N’était-ce pas lui qui venait de conduire son frère en pleine émeute ?

Philippe s’était également arrêté. Il montra la place à son frère. « Vois, lui dit-il, le hasard a voulu m’épargner une lâcheté, en me conduisant vers ceux que j’avais juré de défendre et que j’allais peut-être abandonner... Je me battrai pour la liberté et je veillerai sur mon fils.

Il enjamba les premiers obstacles, jetés en travers de la rue, et se trouva au milieu des ouvriers, qui lui donnèrent de chaudes poignées de main. Marius le suivit et monta rapidement dans la chambre où se trouvaient Fine et Joseph.

Mathéus avait complètement réussi. Il était arrivé à ses fins, pas à pas, servi par les circonstances, marchant vers son but lentement et sûrement. C’était lui qui avait en partie conduit les événements poussant le peuple à l’émeute, l’amenant se battre là où il désirait que l’insurrection éclatât.

Après avoir déchargé son fusil sur le général, pendant que la foule terrifiée s’écrasait, il remonta en courant vers le Cours entraînant des groupes d’ouvriers. Il poussait ce cri de ralliement :

– À la place aux Oeufs ! À la place aux Oeufs ! » Dès qu’il fut parvenu à se faire suivre par une dizaine d’insurgés, il cria plus fort et eut bientôt toute une foule sur ses talons. Ce flot d’hommes armés qui traversait le rassemblement donna une direction à l’insurrection encore hésitante. Les ouvriers, ne sachant où se retrancher, se seraient peut-être dispersés ; mais, en voyant un groupe de leurs camarades courir et se diriger vers un endroit qu’ils désignaient, ils voulurent se rendre à ce rendez-vous, et tous ceux qu’un désir de vengeance poussait à la lutte se jetèrent dans la Grand-Rue. Bientôt la place aux Oeufs fut pleine.

Mathéus, en arrivant sur la place, fit remarquer l’excellence de son choix aux ouvriers qui l’entouraient.

– Voyez donc, leur dit-il, l’endroit semble avoir été fait pour se battre.

Cette parole courut dans la foule. En effet, la révolte devait éclater au milieu de la vieille ville, au sein de ces petites rues que l’on pouvait aisément barricader. Chacun sentit que l’insurrection était là chez elle, et on ne songea plus qu’à se battre. Un souffle d’irritation passait sur ces têtes ardentes.

Cependant, les ouvriers n’osaient agir. Le poste de gardes nationaux, que Mathéus avait remarqué le matin, était encore dans un coin de la place.

– Attendez, dit Mathéus aux plus ardents, je me charge de les renvoyer. Ce sont des amis. » Il alla trouver le lieutenant, avec lequel il avait déjà eu un bout de conversation, et lui demanda si ses hommes étaient pour le peuple. Le lieutenant lui répondit qu’ils étaient pour le bon ordre.

– Nous aussi », reprit effrontément Mathéus.

Puis, s’approchant, il ajouta à voix plus basse :

– Écoutez, j’ai un conseil à vous donner. Allez-vous-en au plus vite. Si vous refusez, nous allons être obligés de vous désarmer, de vous tuer peut-être, et on ne se tue pas entre frères. Croyez-moi, ne restez pas une minute de plus.

Le lieutenant regarda autour de lui. Il ne demandait pas mieux que de s’en aller, mais il avait peur de paraître lâche. La position était critique. Lentement, les insurgés entouraient les gardes nationaux et regardaient leurs fusils avec des yeux luisants de désir. D’autre part, des hommes travaillaient déjà aux barricades, et le lieutenant ne pouvait assister à une pareille besogne sans livrer bataille. Il préféra se retirer. Le défilé des gardes nationaux s’accomplit dans un profond silence.

Dès lors la place appartint aux insurgés, qui commencèrent par chercher à s’y fortifier le mieux possible. Le malheur était qu’ils n’avaient pas les matériaux nécessaires pour élever une barricade haute et solide. Ils durent se contenter des bancs et des caisses des marchands d’herbes établis sur la place, ils les mirent d’abord en travers des rues, et ils fouillèrent ensuite les maisons voisines pour trouver des tonneaux, des planches, des matériaux quelconques.

Pendant ce temps, Mathéus se reposait dans sa victoire. Maintenant qu’il était arrivé à son but, il aurait voulu s’effacer autant que possible, disparaître dans la foule, pour ne point se compromettre davantage. Il s’était débarbouillé à une fontaine voisine et avait oublié son fusil contre un mur. Les mains dans les poches, il flânait au milieu des groupes, comme un bon bourgeois, il avait un air si tranquille, que les ouvriers qui l’avaient vu jouant la comédie de la colère ne le reconnaissaient point. Il finit par monter sur les marches d’une maison, d’où il suivit attentivement la scène qui se passait sur la place. Il cherchait du regard Philippe et Marius.

– Vous viendrez dans la souricière, mes petits, pensait-il en souriant d’un sourire silencieux. Mes pièges sont trop bien tendus. Ah ! vous vouliez mettre l’enfant en sûreté. Eh ! niais que vous êtes, vous l’avez jeté dans mes bras... Vous allez accourir pour le protéger, ce cher amour, et vous serez pincés avec lui. Voilà !

Il regardait toujours, il n’avait aucune impatience. Il savait que ceux qu’il attendait ne pouvaient manquer de venir. Lorsque les deux frères débouchèrent de la Grand-Rue, il se contenta de hausser les épaules et de murmurer : « Eh ! je le savais bien.

Puis, il ne les quitta plus du regard. Il les suivit dans la foule et vit Marius monter près de Fine, tandis que Philippe se mêlait aux insurgés.

– Allons, c’est parfait, murmura-t-il encore. Je serai peut-être forcé de tuer le petit jeune homme... Quant au grand niais, son affaire est faite : si les gardes nationaux ne l’envoient pas pourrir dans la terre, nous nous arrangerons pour que les tribunaux l’envoient pourrir dans une prison.

Il descendit et vint rôder autour de Philippe, par curiosité. L’heure où il devait agir n’était pas venue. Il se croyait au spectacle, ses instincts étaient doucement chatouillés par l’espérance d’assister à un massacre. En attendant de pouvoir accomplir le rapt dont il s’était chargé, il résolut de s’amuser à voir tuer les gens.

Cependant, les insurgés s’étaient remis aux barricades. Peu à peu, ils avaient amassé sur la place une quantité de matériaux assez considérable. Il y avait là un pêle-mêle, un entassement d’objets sans nom, qu’ils répartissaient le mieux possible entre les six barricades qui étaient en voie de construction. Ils faisaient la chaîne, se passant des planches, des pavés, tout ce qui leur tombait sous la main. Chacun courait de son côté et revenait jeter au tas ce qu’il avait trouvé. C’était un va-et-vient fiévreux, une sorte de vaste atelier de la révolte, où chaque ouvrier se hâtait, ardent et sombre, la menace à la bouche et la vengeance au cœur. Tandis que la plupart apportaient des matériaux, d’autres, sans doute des charrons et des menuisiers, s’étaient chargés de consolider les barricades. N’ayant ni clous ni marteaux, ils se contentaient d’emboîter les objets les uns dans les autres.

Les deux barricades principales furent élevées à l’entrée de la Grand-Rue du côté du Cours, et à l’entrée de la rue Requis-Novis. Ces barricades, malgré les efforts des insurgés, n’étaient à la vérité que des amas d’objets peu résistants, ne pouvant offrir aucun obstacle sérieux. Quatre barricades, plus maigres encore, furent construites au travers des rues de la Vieille-Cuiraterie, de la Lune-Blanche, de la Vieille-Monnaie et de la Lune-d’Or. Une seule rue resta libre, la rue des Marquises, qui ménageait aux insurgés un passage nécessaire pour communiquer avec la rue Belzunce, la place des Prêcheurs et toutes les ruelles étroites et tortueuses des vieux quartiers, dans lesquels ils espéraient s’enfuir et se perdre, en cas de défaite. Ainsi barricadée, la place aux Oeufs eût été une sorte de forteresse inexpugnable, si les barricades avaient eu plus de solidité.

Philippe, dès qu’il s’était trouvé au milieu des républicains, avait mis la main à l’œuvre sans hésiter. Il avait travaillé comme les autres à apporter aux barricades tout ce qu’il découvrait. Il oubliait les paroles sages de Marius et ne songeait plus à son enfant. Toute sa fougue s’était réveillée en lui et l’emportait.

Comme il traînait un tonneau, il entendit une voix ironique qui lui demandait :

– Voulez-vous que je vous donne un coup de main, mon ami ?

Il leva la tête et reconnut M. de Girousse, qui, les mains dans les poches le considérait avec une curiosité heureuse.

M. de Girousse était arrivé la veille à Marseille. Sentant quelque grave événement dans l’air, il était accouru pour ne pas perdre l’occasion de distraire un instant l’ennui sourd qui le rongeait. Depuis la proclamation de la République, il attendait un drame. Il oubliait parfaitement qu’il appartenait à la noblesse, et regardait les colères du peuple en observateur désintéressé. En fouillant bien au fond de lui, il eût même trouvé plus de sympathie pour la cause démocratique que pour la cause légitimiste, à laquelle son nom le vouait fatalement. À Aix, on ne se gênait pas pour dire que M. de Girousse était un fier original qui se plaisait à serrer la main des ouvriers, et les nobles lui eussent peut-être fermé leurs hôtels, s’il n’eût porté un des plus anciens noms de la Provence.

Depuis le matin, il courait les rues de Marseille, étudiant les progrès de l’émeute, se mettant aux premières places, au beau milieu de la bagarre, pour ne perdre aucun détail. Une seule chose l’avait révolté, le coup de feu tiré sur le général. Autrement, il trouvait que le peuple payait généreusement de sa personne, qu’il avait une colère superbe et de magnifiques violences.

Dès qu’il avait entendu dire que les insurgés élevaient des barricades à la place aux Oeufs, il s’était hâté d’accourir. Il voulait assister au dénouement du drame. Il pénétra dans l’enceinte des barricades, se mêla aux combattants, décida qu’il ne bougerait de là que lorsque tout serait terminé.

Philippe le regardait avec étonnement. Le comte était planté devant lui, vêtu d’une redingote noire, coiffé d’un feutre mou ; et, sous son bras, il tenait un grand diable de sabre, tout rouille, couvert de poussière. Il souriait d’un air goguenard.

– Vous ici ! s’écria Philippe. Vous êtes des nôtres ?

M. de Girousse regarda son sabre.

– N’est-ce pas que c’est un beau sabre ? dit-il sans répondre. On vient de me le confier pour la défense de la liberté.

Et il raconta en raillant comme quoi il venait d’être enrôlé parmi les insurgés. Ces derniers, manquant d’armes, cherchaient à s’en procurer par tous les moyens possibles. Un serrurier avait fait observer, au milieu d’un groupe, que les marchands fripiers de la rue Belzunce et de la rue Sainte-Barbe devaient avoir de vieilles armes dans leurs magasins. Une bande était aussitôt partie pour aller s’emparer de ces armes. M. de Girousse, poussé par la curiosité, avait suivi la bande et avait même pénétré avec elle dans les boutiques. C’était dans une de ces boutiques qu’un ouvrier le prenant pour un camarade, lui avait remis le grand diable de sabre qu’il tenait sous son bras.

– Celui qui me l’a donné, ajouta-t-il, m’a fait jurer de le plonger dans le ventre des ennemis de la patrie... Je crois que je ne tiendrai pas mon serment... Mais, comme je trouve que ce sabre fait un bon effet sous mon bras, je le garde. N’est-ce pas qu’un de mes ancêtres, qu’un des preux de jadis, ne devait pas avoir une meilleure mine que moi en ce moment ?

Philippe ne put s’empêcher de sourire.

– Je vous ai fait une sotte question tout à l’heure, dit-il au comte avec un peu d’amertume. Je vous ai demandé si vous étiez des nôtres... J’oubliais que vous ne pouviez vous trouver ici qu’en curieux. Vous venez voir si le peuple sait bien mourir. Eh bien ! je crois que vous serez content de lui.

Le républicain s’était redressé. Il montra au gentilhomme la foule ardente et active des ouvriers.

– Voyez-les, reprit-il. C’est là le troupeau que vos pères ont tondu et marqué de leur fer rouge. Pour la troisième fois, en soixante ans, le troupeau se fâche. Je vous le prédis, il finira par manger ses gardiens... Au lieu de le pousser à la révolte, il eût mieux valu lui accorder la liberté et le pain dont il a besoin pour vivre. Il aurait employé à créer des œuvres utiles toutes les énergies qu’il dépense aujourd’hui pour élever des barricades.

M. de Girousse ne raillait plus. Il était devenu grave. Philippe continua violemment :

– Votre place n’est pas ici. Vous venez au milieu de nos barricades, comme les patriciens de l’antique Rome allaient au cirque voir mourir des esclaves... Ah ! malgré votre bonté, il y a du sang cruel dans vos veines. Vous avez des curiosités de maître ennuyé, je le vois, et notre insurrection, cette insurrection qui va nous coûter des larmes, n’est pour vous qu’un spectacle. Croyez-moi, vous feriez mieux de vous en aller. Nous ne sommes pas des acteurs, nous n’avons pas besoin de parterre.

Le vieux comte avait pâli. Il resta immobile un instant ; puis comme Philippe se baissait pour reprendre son tonneau, il lui demanda d’une voix paisible :

– Mon ami, voulez-vous me permettre de vous aider ?

Il prit le tonneau d’un bout. Le républicain et le légitimiste le portèrent ainsi jusqu’à la barricade, où ils le jetèrent.

– Diable ! dit M. de Girousse, ce n’était pas lourd, mais mon sabre me gênait terriblement.

Il se frotta les mains, pour en essuyer la poussière et revint sur la place, où il se trouva face à face avec Marius. Après les premières paroles de surprise : « Votre frère vient de me conseiller de m’éloigner, reprit-il en souriant. Il a raison, je suis un vieux curieux... Cachez-moi donc quelque part.

Marius le fit monter dans la maison où se trouvaient Fine et Joseph. Le comte s’établit sur le palier du troisième étage, devant une fenêtre qui donnait sur la place. Les paroles de Philippe avaient mis en lui une tristesse profonde.

Marius n’était descendu que pour prier son frère de venir rassurer la pauvre Fine et l’enfant, qui se mouraient de frayeur. Il remonta, après que Philippe lui eut promis d’aller le rejoindre. Ce dernier voulait avant tout faire le tour de la place. Les six barricades étaient terminées ; du moins les insurgés avaient renoncé à les exhausser davantage, ne trouvant plus de matériaux. Un silence lourd commençait à régner dans la foule. Des ouvriers, assis à terre, attendaient en se reposant. On sentait, dans les voix plus basses, que l’heure de la lutte approchait.

Ce qui inquiéta Philippe, ce fut le peu d’armes sérieuses qu’il remarqua entre les mains des combattants. Une cinquantaine au plus avaient des fusils. Le reste était armé de bâtons, même de queues de billard, volées dans les cafés. Il est vrai qu’une grande partie de ceux qui n’avaient pas de fusils étaient pourvus d’armes bizarres venant des boutiques de fripiers : les uns tenaient des broches, de vieilles lances, de vieux sabres ; d’autres ne possédaient que de simples barres de fer. Autour de la fontaine, qui se trouve au milieu de la place, il y avait une dizaine d’ouvriers qui aiguisaient des lames rongées de rouille, sur les pierres froides de la margelle du bassin. Les cartouches étaient également en petit nombre. On en avait à peine quelques centaines, prises dans les gibernes des gardes nationaux qu’on avait désarmés.

Philippe comprit que les barricades ne pourraient tenir longtemps. Il ne voulut décourager personne en montrant ses inquiétudes. Il recommanda seulement de faire occuper les maisons voisines des barricades. Son espoir était que les assaillants reculeraient, si l’on pouvait les accabler d’une pluie de projectiles, du haut des fenêtres et des toits.

Plusieurs maisons avaient déjà été envahies. Les insurgés frappèrent aux logements qu’ils voulaient occuper, menaçant d’enfoncer les portes, si on ne les ouvrait pas. Puis, ils exigèrent les clefs des terrasses, ils firent de chaque fenêtre une meurtrière, de chaque toit une place forte. Pendant près d’une demi-heure, ils travaillèrent uniquement à monter des pierres dans les maisons. En haut, ils arrachaient et brisaient les tuiles, ils encombraient les terrasses de débris, qu’ils devraient pousser ensuite sur la tête des soldats.

Quand Philippe se fut assuré que toutes les dispositions étaient prises, il se décida à rejoindre son frère. Il avait obtenu de diriger les hommes qui occuperaient la maison où Marius avait caché Fine et Joseph. Cette maison faisait l’angle de la Grand-Rue et de la place aux Oeufs, à droite, en venant du Cours. Philippe prévoyait que la barricade de la Grand-Rue serait la plus vigoureusement attaquée et il n’était pas sans inquiétude sur les dangers qu’allaient courir les personnes réfugiées là, au beau milieu de la lutte.

Il n’introduisit que des hommes dévoués et il leur fit jurer de défendre la porte jusqu’au dernier souffle. Après les avoir placés sur le toit et aux fenêtres, il revint sur le palier du troisième étage, où il trouva M. de Girousse qui lui montra une porte du doigt.

– On vous attend », lui dit-il simplement.

Pendant que Philippe prenait ces dispositions, Mathéus était remonté sur le perron de la maison qui se trouvait de l’autre côté de la place. Il avait vu le républicain se montrer aux fenêtres, et son sourire silencieux de coquin avait reparu comme une grimace sur ses lèvres.

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