I

Le matin, quand les ouvriers arrivent à l’atelier, ils le trouvent froid, comme noir d’une tristesse de ruine. Au fond de la grande salle, la machine est muette, avec ses bras maigres, ses roues immobiles ; et elle met là une mélancolie de plus, elle dont le souffle et le branle animent toute la maison, d’ordinaire, du battement d’un cœur de géant, rude à la besogne.

Le patron descend de son petit cabinet. Il dit d’un air triste aux ouvriers :

– Mes enfants, il n’y a pas de travail aujourd’hui... Les commandes n’arrivent plus ; de tous les côtés, je reçois des contrordres, je vais rester avec de la marchandise sur les bras. Ce mois de décembre, sur lequel je comptais, ce mois de gros travail, les autres années, menace de ruiner les maisons les plus solides... Il faut tout suspendre.

Et comme il voit les ouvriers se regarder entre eux avec la peur du retour au logis, la peur de la faim du lendemain, il ajoute d’un ton plus bas :

– Je ne suis pas égoïste, non, je vous le jure... Ma situation est aussi terrible, plus terrible peut-être que la vôtre. En huit jours, j’ai perdu cinquante mille francs. J’arrête le travail aujourd’hui, pour ne pas creuser le gouffre davantage ; et je n’ai pas le premier sou de mes échéances du 15... Vous voyez, je vous parle en ami, je ne vous cache rien. Demain, peut-être, les huissiers seront ici. Ce n’est pas notre faute, n’est-ce pas ? Nous avons lutté jusqu’au bout. J’aurais voulu vous aider à passer ce mauvais moment ; mais c’est fini, je suis à terre ; je n’ai plus de pain à partager.

Alors, il leur tend la main. Les ouvriers la lui serrent silencieusement. Et, pendant quelques minutes, ils restent là, à regarder leurs outils inutiles, les poings serrés. Les autres matins, dès le jour, les limes chantaient, les marteaux marquaient le rythme ; et tout cela semble déjà dormir dans la poussière de la faillite. C’est vingt, c’est trente familles qui ne mangeront pas la semaine suivante. Quelques femmes qui travaillaient dans la fabrique ont des larmes au bord des yeux. Les hommes veulent paraître plus fermes. Ils font les braves, ils disent qu’on ne meurt pas de faim dans Paris.

Puis, quand le patron les quitte, et qu’ils le voient s’en aller, voûté en huit jours, écrasé peut-être par un désastre plus grand encore qu’il ne l’avoue, ils se retirent un à un, étouffant dans la salle, la gorge serrée, le froid au cœur, comme s’ils sortaient de la chambre d’un mort. Le mort, c’est le travail, c’est la grande machine muette, dont le squelette est sinistre dans l’ombre.

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