Le grand Michu se plaisait au collège, ce qui n’était pas le moindre de nos étonnements. Il n’y éprouvait qu’un supplice dont il n’osait parler : la faim. Le grand Michu avait toujours faim.
Je ne me souviens pas d’avoir vu un pareil appétit. Lui qui était très fier, il allait parfois jusqu’à jouer des comédies humiliantes pour nous escroquer un morceau de pain, un déjeuner ou un goûter. Élevé en plein air, au pied de la chaîne des Maures, il souffrait encore plus cruellement que nous de la maigre cuisine du collège.
C’était là un de nos grands sujets de conversation, dans la cour, le long du mur qui nous abritait de son filet d’ombre. Nous autres, nous étions des délicats. Je me rappelle surtout une certaine morue à la sauce rousse et certains haricots à la sauce blanche qui étaient devenus le sujet d’une malédiction générale. Les jours où ces plats apparaissaient, nous ne tarissions pas. Le grand Michu, par respect humain, criait avec nous, bien qu’il eût avalé volontiers les six portions de sa table.
Le grand Michu ne se plaignait guère que de la quantité des vivres. Le hasard, comme pour l’exaspérer, l’avait placé au bout de la table, à côté du pion, un jeune gringalet qui nous laissait fumer en promenade. La règle était que les maîtres d’étude avaient droit à deux portions. Aussi, quand on servait des saucisses, fallait-il voir le grand Michu lorgner les deux bouts de saucisses qui s’allongeaient côte à côte sur l’assiette du petit pion.
– Je suis deux fois plus gros que lui, me dit-il un jour, et c’est lui qui a deux fois plus à manger que moi. Il ne laisse rien, va ; il n’en a pas de trop !