Postface

Introduction de l’édition anglaise

Dans une allocution adressée au Comité du Cayley Portrait Fund en 1874, Clerk Maxwell, après avoir évoqué en termes plaisants les travaux d’Arthur Cayley en algèbre supérieure et en géométrie algébrique, concluait son éloge par ces vers :

Marche, armée symbolique ! d’un pas sublime,

Vers les confins embrasés de l’Espace et du Temps !

Là, fais halte, jusqu’à ce que Dickenson te dépeigne.

En deux dimensions, et que nous puissions redécouvrir nous-mêmes

Celui dont l’âme, trop grande pour l’espace vulgaire,

En dimensions s’épanouit sans freins.

À cette époque, tout concept de « dimensions » autres que la longueur, la largeur et la hauteur était réservé aux mathématiciens d’avant-garde ; encore ceux-ci ne voyaient-ils, à de très rares exceptions près, dans la quatrième dimension et les suivantes, qu’un champ d’action leur permettant de pratiquer l’analyse algébrique avec quatre variables ou davantage, au lieu des trois qui suffisent à décrire l’espace auquel nos règles humaines sont applicables. Lorsqu’ils parvenaient par ce biais à des conclusions géométriques, ils ne prenaient en considération que leurs rapports d’analogie avec les résultats correspondant en géométrie à trois dimensions, et ne se préoccupaient nullement du retentissement qu’elles pouvaient avoir sur le système de la Nature. On peut en prendre pour exemple, à la page 161 de ce volume, « le rejeton plus divin encore de ce divin Cube issu du Pays des Quatre Dimensions », qui a pour faces huit cubes tri-dimensionnels et possède seize points angulaires ou coins quadri-dimensionnels.

Au XXe siècle, les travaux d’Einstein, de Lorentz, de Larmor, de Whitehead et d’autres ont montré que quatre dimensions d’espace-temps au moins étaient nécessaires pour expliquer les phénomènes naturels observés, et il y a lieu de penser que ce chiffre de quatre ne serait pas encore suffisant. C’est seulement lorsque les physiciens s’aventurent dans le domaine des vitesses très élevées, comparables par exemple à celle de la lumière, que l’unité de l’espace et du temps s’impose à leur attention, car même s’agissant d’une vitesse comme celle de la planète Mercure sur son orbite, c’est seulement au bout de plusieurs siècles qu’une divergence est devenue apparente par rapport à la trajectoire calculée strictement sur les bases de la géométrie euclidienne et sur les lois de Newton relatives à la gravitation et au mouvement. L’observation du comportement des électrons, qui se meuvent dans le vide à des vitesses comparables à celle de la lumière, a confirmé certaines conclusions d’Einstein et nous a obligés à réviser nos notions fondamentales en matière de cinétique, ainsi que les lois du mouvement, en ce qui concerne ces vitesses élevées. Mais le thème de la Relativité dans son ensemble a suscité un grand intérêt populaire dès l’instant où la théorie de la gravitation formulée par Einstein a été confirmée de façon éclatante par la courbure de la lumière quand elle passe près de la surface solaire et – conséquence de ce phénomène – par le déplacement apparent d’étoiles très proches du Soleil par rapport à leur position relative réelle lorsqu’on les photographie au cours d’une éclipse solaire. On trouvera dans Space, Time and Gravitation du professeur Eddington le meilleur exposé à l’usage des lecteurs profanes sur le thème de la relativité et de la gravitation.

Mais quand une grande vérité vient au jour, on s’aperçoit généralement que déjà des prophètes criant dans le désert ont préparé les gens à accueillir la Révélation lorsque le moment viendrait. Une lettre anonyme publiée dans Nature le 12 février 1920 et intitulée « Euclide, Newton et Einstein », attirait en ces termes l’attention sur l’un de ces prophètes :

« Il y a une trentaine d’années ou davantage, un petit jeu d’esprit fut écrit par le Dr Edwin Abbott, sous le titre « Flatland (le Plat Pays) ». À l’époque de sa publication, il ne suscita pas tout l’intérêt qu’il méritait. Le Dr Abbott dépeint des êtres intelligents dont l’expérience entière se borne à une surface plane, ou à tout autre espace à deux dimensions, qui ne disposent d’aucune faculté leur permettant de prendre conscience de ce qui se passe hors de cet espace et qui n’ont aucun moyen de quitter la surface sur laquelle ils vivent. L’auteur demande alors au lecteur, qui connaît la troisième dimension, d’imaginer qu’une sphère descend sur la surface de Flatland et la traverse. Que penseront les habitants de ce phénomène ? Ils ne verront pas l’approche de la sphère et n’auront aucune notion de sa solidité. Ils ne seront conscients que du cercle qu’elle forme en coupant leur surface plane. Ce cercle, vu d’abord comme un point, augmentera graduellement de diamètre, en repoussant les habitants de Flatland loin de sa circonférence, et ainsi jusqu’à ce que la moitié de la sphère ait traversé la surface ; ensuite, le cercle se contractera progressivement, redeviendra un point et disparaîtra, laissant les indigènes de Flatland jouir en paix de leur territoire… Leur expérience sera celle d’un obstacle circulaire qui s’élargit ou grandit graduellement, puis se contracte, et ils attribueront à une croissance dans le temps ce qu’un observateur étranger vivant dans un espace à trois dimensions sait être un mouvement dans la troisième dimension. Transférons cette analogie à un mouvement de la quatrième dimension à travers un espace tri-dimensionnel ! Supposons que le passé et l’avenir de l’univers soient dépeints dans un espace quadri-dimensionnel et visibles pour tout être qui a conscience de la quatrième dimension. S’il se produit un mouvement de notre espace tri-dimensionnel relatif à la quatrième dimension, tous les changements que nous ressentirons et que nous attribuerons au passage du temps seront dus simplement à ce mouvement, l’ensemble de l’avenir ainsi que du passé existant toujours dans la quatrième dimension. »

On remarquera que, lors de la présentation de la Sphère à l’habitant de Flatland, la troisième dimension implique le temps à travers le mouvement de la Sphère. Dans le Continuum Espace-Temps postulé par la Théorie de la Relativité, la quatrième dimension est une fonction-temps, et l’élément le plus simple est un « événement ». Chaque série de sections parallèles du continuum quadri-dimensionnel présente l’univers tel qu’il existe dans l’espace tri-dimensionnel aux instants correspondant aux sections. Dans toutes les autres directions, les sections impliquent l’élément-temps et représentent l’univers tel qu’il apparaît à un observateur en mouvement.

Il est des esprits mathématiques que les résultats, exprimés en symboles algébriques, de l’analyse d’un continuum de quatre dimensions satisfont entièrement ; mais il en est d’autres qui ressentent le besoin impérieux de se représenter sous une forme visuelle ces résultats que, sous leur forme symbolique, ils ne mettent pas en doute. Pour beaucoup, peut-être pour la grande majorité de ceux-là, la sphère du Dr Abbott pénétrant la surface plane de Flatland sera le meilleur moyen d’imaginer avec une certaine clarté ce que peut être la Quatrième Dimension.

W. GARNETT

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