XIX Le bon grain et l’ivraie

Le général et le lieutenant se regardèrent une minute avant de parler. Si l’on avait pu lire dans le cœur de M. de Luxembourg, on y aurait peut-être vu passer les incertaines et fugitives lueurs d’un souvenir noyé dans les ombres d’une vie orageuse et mêlée. Quant à Belle-Rose, jamais, avant cette heure, il ne s’était trouvé, il le croyait du moins, en présence du fameux capitaine dont la renommée brillait d’un éclat radieux même entre les noms redoutables de Turenne et de Condé. Une crainte respectueuse saisit son âme, et son fier regard s’abaissa devant M. de Luxembourg, qu’il dominait cependant de toute la tête. Le vague souvenir du général s’effaça comme un éclair : il ne vit plus devant lui qu’un soldat téméraire qu’il fallait écouter d’abord et punir après.

– Que voulez-vous ? parlez, dit-il.

– Je viens implorer la grâce d’un coupable.

– Son nom ?

– M. de Nancrais.

– Le capitaine qui a battu aujourd’hui même les Espagnols et pris Gosselies ?

– Une belle action, monseigneur !

– Il n’y a pas de belle action contre la discipline !

– On brûlait le drapeau français sur le territoire du roi !

– Il y avait un ordre du jour, monsieur. Eût-on brûlé vingt drapeaux et saccagé cinquante villages, c’était le devoir du soldat de ne pas bouger !

– C’est une faute qu’a rachetée la victoire.

– Il ne s’agit pas de vaincre, il s’agit d’obéir. Si la voix des généraux est méconnue, que devient la discipline ? et sans discipline, il n’y a pas d’armée !

– C’est la première fois que M. de Nancrais a vaincu sans ordre.

– Ce sera la dernière aussi.

– Monseigneur !

– Il faut un exemple. Dans un temps où de la cour nous viennent cent jeunes officiers qui n’ont pas l’habitude de la guerre, tolérer une si grande infraction aux lois militaires, ce serait en autoriser trente. M. de Nancrais mourra.

– De grâce, monsieur le duc, écoutez-moi !

– Eh ! monsieur, qui êtes-vous donc pour montrer tant de persistance ?

– Belle-Rose, lieutenant au corps d’artillerie.

– Belle-Rose ! c’est là un singulier nom ! Belle-Rose !

– Le nom ne fait rien à l’affaire.

– Sans doute, reprit le général, qui ne put s’empêcher de sourire ; mais encore êtes-vous son frère, son parent, son ami ?

– M. de Nancrais est mon capitaine.

– C’est une paire d’épaulettes à gagner !

– Oh ! monseigneur ! fit Belle-Rose avec un accent de reproche.

– Eh bien ! quoi ? À la guerre, c’est la coutume : chacun pour soi et les boulets pour tous.

– Mais…

– Assez ! j’ai bien voulu vous entendre, monsieur, et oublier, pour un instant, l’infraction sévère que vous avez commise en forçant la consigne qui défendait ma porte ; mais cette indulgence, dont vous ne me ferez pas repentir, je l’espère, n’est pas un motif pour pardonner la faute dont M. de Nancrais s’est rendu coupable. Je vous l’ai déjà dit : M. de Nancrais sera passé par les armes demain, au point du jour.

– Non, monseigneur, s’écria Belle-Rose hardiment, non, cela ne sera pas !

– Et qui donc ici pourrait m’en empêcher ?

– Vous-même !

– Moi !

– Oui, vous !

– M. Belle-Rose, prenez garde ! dit le duc pâlissant.

– Oh ! je ne crains rien pour moi ! Le bon droit me défend comme votre justice défendrait M. de Nancrais. On ne tue pas un brave officier parce qu’il a eu du sang dans les veines.

– Morbleu !

– Eh ! monseigneur, si vous aviez été à sa place, peut-être en auriez-vous fait autant !

À cette brusque repartie, le duc de Luxembourg ne put s’empêcher de sourire.

– Soit, dit-il, mais s’il était à la mienne, il ferait comme moi !

Belle-Rose continua :

– Une bande de pillards insulte le drapeau français, un capitaine du roi est là, et il ne tirerait pas son épée pour châtier des insolents ! Mais c’est tout bonnement impossible ! On porte l’épaulette, que diable ! L’incendie dévore un village, l’odeur de la poudre monte à la tête, un cheval piaffe, un coup d’éperon est bien vite donné, et l’on part, non pas tant parce qu’on l’a voulu, mais parce qu’on est homme. Alors, qu’arrive-t-il ? L’ennemi tourne bride, on le poursuit le fer dans le dos, on tue à droite et à gauche, on tombe pêle-mêle sur une redoute qu’on enlève d’assaut, on plante le drapeau blanc sur le rempart, on crie : Vive le roi ! on s’embrasse, et au retour, au lieu d’une récompense, c’est une balle de mousquet qui vous attend ! Mais vous-même, monseigneur, qui condamnez si vite et si bien les gens, on connaît de vos prouesses ! Vous auriez passé vingt rivières, massacré dix mille Espagnols, pris trente redoutes ! Voilà ce que vous auriez fait, tout duc et pair de France que vous êtes, et ce que j’aurais fait, moi qui ne suis qu’un pauvre lieutenant !

– Eh bien, on nous aurait fusillés tous deux, reprit le général.

Belle-Rose tressaillit. Dans son ardeur généreuse, il avait un instant oublié la qualité de l’homme auquel il parlait. À ces quelques mots, son juvénile emportement s’apaisa, comme s’apaise l’eau bouillante d’un vase où tombe une onde froide.

– Vous avez fort bien plaidé la cause de M. de Nancrais, ajouta M. de Luxembourg avec dignité ; l’audace ne messied pas à la jeunesse, et celle que vous venez de montrer vous honore en même temps qu’elle me donne une haute opinion du caractère de M. de Nancrais. On n’est point un homme ordinaire lorsqu’on sait inspirer de tels dévouements. Mais il faut avant toute chose que la discipline ait son cours. Malgré vos prières, j’ai donc le regret de vous répéter que le capitaine de Nancrais sera fusillé demain, au point du jour.

M. de Luxembourg, d’un geste noble, salua Belle-Rose, mais le lieutenant ne bougea point. Le duc fronça le sourcil.

– Je croyais m’être clairement expliqué, monsieur ? dit-il.

– Pardonnez-moi, monseigneur, si j’insiste, mais…

– Ah ! monsieur Belle-Rose, j’ai bien voulu ne pas m’offenser de votre audace ; mais une plus longue insistance m’obligerait à me rappeler qui vous êtes et qui je suis.

Belle-Rose sourit tristement.

– Puissiez-vous donc le faire, si le souvenir de la distance qui est entre nous vous rappelle que vous pouvez accomplir une bonne action, et que moi je puis seulement vous en prier.

M. de Luxembourg réprima un geste d’impatience :

– Puisque vous ne voulez pas me comprendre, permettez-moi, monsieur, d’appeler pour qu’on vous reconduise au quartier de l’artillerie.

En achevant ces mots, le duc s’approcha de la table pour prendre la petite sonnette, mais Belle-Rose prévint son mouvement, et s’élançant vers la table, il saisit la main du général.

– Par pitié, monseigneur ! dit-il.

Un éclair de colère passa dans les yeux de M. de Luxembourg ; il se dégagea vivement, et saisissant Belle-Rose d’une main par le revers de son habit, de l’autre il prit un pistolet qu’il appuya contre sa poitrine. Le chien s’abattit, mais l’amorce seule brûla, et le duc, furieux, jeta l’arme à ses pieds. Pas un muscle du visage de Belle-Rose ne frissonna. Mais M. de Luxembourg s’était penché en avant. La violence de son mouvement avait entr’ouvert les vêtements de Belle-Rose, et sur la poitrine à demi nue du lieutenant brillait un médaillon d’or pendu à un cordonnet de soie. La main du général s’en empara.

– D’où tenez-vous ce médaillon ? s’écria-t-il d’une voix brève.

– Ce médaillon ?… je l’ai trouvé.

– Où ?

– À Saint-Omer.

– Quand ?

– En 1658. Mais que vous fait ce médaillon ? c’est de M. de Nancrais qu’il s’agit.

– Vous l’avez trouvé à Saint-Omer, en 1658 ? reprit le duc, vous ? vous-même ?

– Oui, moi, répondit Belle-Rose, qui ne comprenait rien à l’émotion de M. le duc de Luxembourg. J’avais alors douze à treize ans.

M. de Luxembourg s’écarta de quelques pas et se prit à considérer le jeune lieutenant. Un voile semblait s’effacer de son visage à mesure que l’examen avançait.

– Eh oui ! s’écria-t-il enfin, la voilà retrouvée cette vague ressemblance qui m’avait frappée à ta vue. Belle-Rose ? m’as-tu dit ; mais tu ne t’appelles pas Belle-Rose ! tu t’appelles Jacques, Jacques Grinedal !

Belle-Rose, effaré, regardait M. de Luxembourg.

– Eh ! parbleu ! tu es le fils de Guillaume Grinedal ! le fauconnier. N’ai-je pas vu la petite maison en dehors du faubourg ?

– Vous ! s’écria Belle-Rose, qui, à son tour, se mit à étudier les traits du général avec une avide curiosité.

– Mais tu n’as donc pas gardé le moindre souvenir d’une journée dont pas une heure ne s’est effacée de ma mémoire ! Ah ! tu n’as pas fait mentir ma prédiction : le brave enfant est devenu un brave officier !

– Le colporteur ! dit enfin Belle-Rose avec explosion.

– Eh oui ! le colporteur, devenu, par la grâce de Dieu, général au service du roi. Les temps ne sont plus les mêmes, le cœur seul n’est pas changé. Enfant, tu m’as rendu service ; homme, c’est à mon tour à te servir.

– Eh bien, monsieur le duc, s’il est vrai que vous vous souveniez de cette nuit passée sous le toit de Guillaume Grinedal, permettez-moi de ne pas vous demander d’autre preuve de votre bienveillance que la vie de M. de Nancrais.

– Encore !

– Toujours ! Je ne veux rien et n’attends rien pour moi ; mais faites que cette rencontre inespérée sauve mon capitaine comme notre première rencontre vous a été de quelque secours. Entre tous les jours de ma vie ce seront deux jours bénis.

M. de Luxembourg tournait et retournait le médaillon entre ses doigts, caressant du regard une image que le couvercle chassé venait de mettre à découvert.

– Tu n’as pas non plus changé, toi, mon ami Jacques, dit-il ; tu es toujours le même garçon fier et résolu. Allons, va. Je ferai pour M. de Nancrais tout ce que les lois militaires me permettront.

Belle-Rose comprit cette fois qu’il n’avait pas à rester davantage ; il s’inclina devant le général et sortit. La Déroute l’attendait au dehors. Aussitôt qu’il reconnut son lieutenant dans la nuit, il courut vers lui.

– C’est vous, enfin ! s’écria-t-il. Voilà une heure que je craignais que vous n’eussiez été rejoindre M. de Nancrais pour ne plus le quitter.

– Eh ! il s’en est fallu d’une étincelle que je ne partisse avant lui !

– Avant ?

– Oui, mais l’étincelle a fait long feu.

– Que Dieu la bénisse ! Et M. de Nancrais ?

– Il n’est pas si mort que tu pensais.

– Vous avez donc vu M. le duc ?

– Je lui ai parlé : c’est un excellent militaire, prompt à la réplique, ferme, décidé, capable de tuer un homme comme un chasseur une alouette, mais au fond doux comme une demoiselle.

– C’est-à-dire qu’on est sûr de tout obtenir à la fin quand il ne vous fait pas sauter la tête au commencement.

– Justement ; tiens, prends ce louis et va boire à sa santé.

– Je vais me griser, lieutenant.

Le lendemain, au point du jour, un officier de la maison du général vint prévenir Belle-Rose qu’il était attendu dans la grande chambre du conseil. Belle-Rose revêtit l’uniforme et partit. Quand il entra dans la salle, le cœur battit à coups redoublés dans sa poitrine. M. le duc de Luxembourg, entouré d’un brillant état-major, était assis dans un grand fauteuil ; parmi les grands officiers de sa suite, plusieurs portaient par-dessus l’habit le cordon des ordres de Sa Majesté.

M. de Luxembourg salua Belle-Rose de la main et lui indiqua une place située de manière à bien voir tout ce qui allait se passer. Sur un signe du général, tout le monde s’assit dans un profond silence, un officier sortit, et un instant après, les portes, ouvertes à deux battants, livrèrent passage à M. de Nancrais, qui entra suivi de deux grenadiers. M. de Nancrais aperçut Belle-Rose, tous deux échangèrent un sourire, l’un d’adieu, l’autre d’espérance ; puis le capitaine s’inclina devant le conseil et attendit. M. de Luxembourg ôta son chapeau à plumes blanches et se leva.

– Monsieur de Nancrais, dit-il, vous avez hier manqué gravement à la discipline ; vous qui deviez, comme officier, donner l’exemple de la soumission, vous avez désobéi aux ordres de vos supérieurs et mérité, par ce fait, un sévère châtiment : vous êtes déchu et cassé de votre grade. Hier, vous m’avez remis votre épée ; vous devez maintenant perdre vos épaulettes. Messieurs, faites votre devoir.

À ces mots, deux officiers s’approchèrent de M. de Nancrais et lui enlevèrent les insignes de son commandement. M. de Nancrais pâlit légèrement. Belle-Rose, glacé de terreur, n’osait pas faire un seul mouvement.

– Les lois militaires vous condamnent à mort, vous le savez, monsieur, continua le duc de Luxembourg ; n’avez-vous rien à dire pour votre défense ?

– Rien ; votre sentence est juste, et je l’ai méritée. Quand on viole les lois de la discipline ainsi que je l’ai fait, on n’ajoute pas à sa faute une maladresse, celle de rester vivant.

– Allez donc, monsieur.

À ces mots funèbres, Belle-Rose cacha sa tête entre ses mains, de grosses gouttes de sueur perlaient sur son front. M. de Nancrais fit quelques pas vers la porte ; il allait en franchir le seuil, lorsque la voix du général l’arrêta.

– Approchez, monsieur, dit-il.

M. de Nancrais, surpris, revint prendre sa place au milieu de la salle. Belle-Rose releva la tête.

– Au nom du roi, reprit M. de Luxembourg, et agissant en raison des pouvoirs qui m’ont été conférés, je vous fais remise de la peine de mort.

– Vous me graciez, moi ! s’écria le capitaine en faisant deux pas en avant. Dégradé et vivant ! Mais que voulez-vous donc que je devienne ?

– Écoutez-moi jusqu’au bout, monsieur, et si vous avez à faire quelques réclamations, vous les ferez après.

M. de Nancrais croisa ses bras sur sa poitrine et se tut. Tout le corps de Belle-Rose était penché en avant pour mieux entendre ce qu’allait dire le duc. Celui-ci continua :

– Vous avez été puni pour la faute, monsieur, et c’était justice ; il est équitable maintenant que vous soyez récompensé pour la victoire.

M. de Nancrais tressaillit, et Belle-Rose respira comme un homme qui, après être resté quelque temps sous l’eau, revient à la lumière.

– Vous avez lavé votre faute dans le sang de l’ennemi, la trace en doit être effacée. Au nom du roi, je vous ai retiré l’épée de capitaine ; au nom du roi, je vous rends une épée de colonel. Prenez-la donc, monsieur, et si vous servez toujours dignement votre pays comme vous l’avez fait jusqu’à présent, de nouvelles récompenses ne tarderont pas à vous chercher.

M. le duc de Luxembourg tendit la main à M. de Nancrais. Cet homme fort que l’approche de la mort ne pouvait émouvoir, se troubla comme un enfant aux paroles du général ; il prit l’épée d’une main tremblante, et, sans voix pour le remercier d’une faveur si noblement accordée, il ne put exprimer que par son trouble et son émotion la grandeur de sa reconnaissance. Les officiers l’entourèrent, et M. de Luxembourg, s’esquivant, s’approcha de Belle-Rose.

– Tu en as appelé du général au colporteur, dit-il, le colporteur s’est souvenu.

Belle-Rose voulut répondre, M. de Luxembourg l’arrêta.

– J’étais ton obligé, lui dit-il avec bonté, j’ai voulu prendre ma revanche : voilà tout ; maintenant, au lieu d’un protecteur, tu en as deux.

Une minute après ce fut au tour de M. de Nancrais.

– Je sais ce que je te dois, dit-il à Belle-Rose ; si tu as perdu un ami en M. d’Assonville, tu as gagné un frère en moi, souviens-t’en.

Une vigoureuse poignée de main termina ce laconique discours, et le nouveau colonel courut se faire reconnaître par son régiment. Comme Belle-Rose rentrait au quartier de sa compagnie, une personne qui en sortait le heurta.

– Cornélius !

– Belle-Rose ! s’écrièrent-ils en même temps, et les deux amis s’embrassèrent.

– C’est un jour heureux, reprit Belle-Rose. Il en est donc encore dans la vie !

– Il en est mille ! répliqua Cornélius, dont le visage rayonnait de bonheur. J’ai vu votre père, le digne Guillaume Grinedal ; il m’appelle son fils ; j’ai vu Pierre, qui veut à toute force être soldat, afin de devenir capitaine ; j’ai là une lettre de Claudine qui me prouve que je suis aimé autant que j’aime, et vous demandez si, dans la vie, il y a des jours heureux ! Mais elle en est pleine !

Belle-Rose sourit.

– Bah ! continua le jeune enthousiaste, si je rencontre jamais une autre Claudine, je vous la donne, et vous serez de mon avis.

– Nous chercherons, mais en attendant que nous l’ayons trouvée, vous devenez mon frère d’armes.

– Oui, certes ; je suis volontaire, et je prétends bien prendre Bruxelles avec vous.

– Pierre en sera-t-il ?

– Parbleu ! il me suit.

– Déjà !

– Demain il arrive au camp, et le soir même il compte monter sa première garde.

Tout en causant de leurs affaires et de leurs espérances, les deux jeunes gens étaient sortis des lignes. La journée était belle et tiède ; ils poussèrent dans la campagne. Comme ils entraient dans un chemin creux, un coup de fusil retentit à quelque distance, et la balle s’aplatit contre un caillou, à deux pas de Belle-Rose. Cornélius s’élança sur le revers du chemin. Un léger nuage de fumée flottait sur la lisière d’un champ de houblon.

– Oh ! oh ! s’écria-t-il, ce sont des maraudeurs espagnols. Je ne vois plus le camp.

– Reculons alors, répondit Belle-Rose : des épées contre des mousquets, la partie n’est pas égale.

Tous deux rétrogradèrent, observant, l’un à droite, l’autre à gauche, ce qui se passait dans les environs. Ils n’avaient pas fait cinq cents pas, qu’un second coup de feu partit d’un petit bois. La balle cette fois traversa le chapeau de Cornélius.

– Un pouce plus bas, dit Cornélius en saluant l’ennemi invisible, et j’étais mort.

Un nouvel éclair suivit le second, et la balle coupa, sur la poitrine de Belle-Rose, le revers de son habit.

– Parbleu ! dit-il, nous sommes bien sots de rester exposés comme des cibles à leurs coups ; gagnons les blés.

Tous deux s’y jetèrent à l’instant et filèrent dans la direction du camp, dont les premières tentes se voyaient à un mille en avant.

Quelques détonations éclatèrent de distance en distance, mais les balles, chassées au hasard, labouraient les épis sans atteindre les fugitifs.

– Ils nous croient donc bien riches ! dit Cornélius en riant. Vous verrez que ces maraudeurs sont des marchands ruinés par la guerre.

Profitant des haies, des taillis, des sentiers creux, Belle-Rose et Cornélius, le pied leste et l’œil au guet, gagnèrent les abords du camp sans coup férir. La première vedette n’était plus qu’à une centaine de pas, lorsque Belle-Rose, donnant du pied contre une souche, trébucha ; au même instant, deux balles, passant au-dessus de lui, s’enfoncèrent dans le tronc d’un chêne.

– Bienheureuse chute ! dit Belle-Rose, je lui dois la vie.

Quelques soldats accoururent au bruit de ce dernier coup, et Cornélius, mettant l’épée à la main, s’élança vers un champ voisin, d’où s’envolait un flocon de vapeur. Mais déjà les maraudeurs avaient disparu.

– Allons ! dit-il en revenant auprès de Belle-Rose, voilà une guerre où il n’y aura pas grand honneur à vaincre. Quels maladroits !

Ils traversaient le camp lorsque, au détour d’une rue, Cornélius poussa Belle-Rose du coude. – Regardez, lui dit-il. Belle-Rose leva les yeux et vit M. de Villebrais qui passait à cheval.

– Voilà, j’imagine, le capitaine des maraudeurs, reprit Cornélius.

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