XXVI Partie et revanche

Que faisait cependant le baron Jean de Werth, tandis que ces événements se passaient à Carlscrona et détruisaient la savante stratégie de ses plans ? Il avait été attendre le roi à l’intersection de la route qui, du campement que Gustave-Adolphe devait quitter pendant la nuit, conduisait à Elfsnabe. Le jour commençait à poindre quand il y arriva.

Aucun nuage de poussière ne se montrait au loin. Quelques paysans cheminaient lentement. Jean de Werth s’assit sous un arbre et attendit.

Le soleil monta sur l’horizon ; rien ne paraissait encore sur la route.

« Voilà qui est singulier », pensa le baron.

Et il se mit à se promener de long en large. L’impatience cependant le gagnait ; une heure encore s’écoula sans que rien annonçât dans l’éloignement l’approche d’une troupe de cavalerie.

Un homme à cheval, à la livrée du roi, parut enfin. Jean de Werth courut à sa rencontre et l’interrogea.

– Le roi a pris la route de Carlscrona ce matin à la pointe du jour, dit le courrier qui passa.

La présence de Gustave-Adolphe à Carlscrona le jour même où l’on devait exécuter M. de la Guerche, c’était là quelque chose d’inattendu, qui pouvait avoir des conséquences désastreuses pour les projets de Jean de Werth.

Il s’élança vers la résidence royale sans perdre une minute.

Jean de Werth était de ces hommes qui ne désespèrent pas même lorsque tout semble perdu.

Il entra dans Carlscrona au moment où le cortège du roi y parvenait. Jean de Werth aperçut Gustave-Adolphe, et poussa son cheval au premier rang. À tout hasard, il voulait voir ce qui allait se passer : la fortune lui fournirait peut-être un moyen de tourner cet accident à son avantage.

Deux fois il tenta de s’approcher du roi qu’il salua avec affectation ; le regard de Gustave-Adolphe lui parut si froid que, malgré son audace, Jean de Werth n’osa pas l’aborder.

Quand il fut devant l’échafaud et qu’il vit du même coup Armand-Louis sauvé et la main de son rival dans la main du roi, un instant Jean de Werth, qui n’était plus alors au premier rang, perdit tout espoir. Armand-Louis délivré, c’était Adrienne perdue pour lui ; et Jean de Werth l’aimait alors sincèrement, non pas peut-être comme M. de la Guerche l’aimait lui-même, mais avec l’ardeur du tigre acharné après sa proie, et avec d’autant plus d’ardeur, qu’on la lui disputait. Comme il arrive souvent en pareil cas, l’amour était né de l’orgueil irrité.

Fallait-il perdre en un seul jour le fruit de tant d’efforts ? Jean de Werth ne pouvait pas s’y résigner.

Pendant quelques minutes, qui parurent des siècles, M. de la Guerche, arraché subitement à la mort, avait fait part à Gustave-Adolphe de la mission dont le cardinal de Richelieu l’avait chargé pour le belliqueux souverain de la Suède.

– Eh bien ! monsieur l’ambassadeur, veuillez me suivre, répondit le roi ; je vais à Elfsnabe inspecter un corps d’infanterie qui s’y trouve réuni, vous m’y accompagnerez et me donnerez bien trois jours.

Ces quelques mots firent tressaillir Jean de Werth, qui n’en avait pas perdu une syllabe. Le parti qu’il allait prendre dépendait de la réponse de M. de la Guerche.

Armand-Louis aurait bien voulu courir auprès d’Adrienne, se jeter à ses pieds, lui dire et lui répéter qu’il l’aimait et qu’il l’aimerait toujours ; mais pouvait-il ne pas se rendre à la prière d’un roi qui venait de le sauver ?

– Sire, dit-il en soupirant bien bas, je suis aux ordres de Votre Majesté.

Un soupir de satisfaction souleva la poitrine de Jean de Werth ; apercevant alors M. de Pardaillan perdu dans la foule, il obéit d’instinct à la pensée subite qui venait de lui traverser l’esprit.

« Allons ! pensa-t-il, de l’audace, et Mlle de Souvigny est à moi. »

Et courant auprès du gentilhomme, tandis que le cortège s’éloignait, le roi ayant à sa gauche M. de la Guerche, Jean de Werth saisit la main de son hôte.

– Ah ! monsieur le marquis, que je suis heureux ! s’écria-t-il, j’ai pu joindre le roi, lui parler…

– Vous ! dit M. de Pardaillan.

– J’avais juré à Mlle de Souvigny de tout faire pour sauver M. de la Guerche, embrassez-moi, j’ai réussi !

Gustave-Adolphe n’était pas encore aux portes de Carlscrona que déjà Jean de Werth se présentait devant Adrienne. À son approche, elle se leva comme un spectre, sans oser l’interroger, presque sans oser lui parler.

– Rassurez-vous, mademoiselle, lui dit-il, M. de la Guerche vit, il vivra.

Quel rayonnement alors dans le visage d’Adrienne ! On l’avait vue morte, on la vit tout à coup éblouissante de jeunesse et de vie. Elle avait tout oublié, elle ne voyait que M. de la Guerche sauvé, Armand-Louis, cet Armand-Louis qu’elle aimait, arraché aux mains du bourreau !

Un mot de Jean de Werth la rappela au sentiment de la vérité.

– J’ai tenu ma promesse, dit-il, j’ai pu voir le roi et lui demander la vie de celui que la justice allait frapper : maintenant, tiendrez-vous la parole que vous m’avez donnée ?

La pâleur de la mort se répandit de nouveau sur les joues de Mlle de Souvigny, l’implacable réalité se montrait nue et debout devant elle. Adrienne savait à présent qu’il n’y avait nulle pitié à attendre de Jean de Werth. Si on ne parvenait pas à l’émouvoir indifférent, qu’était-ce aveuglé par la passion ?

– Monsieur, ma parole est donnée, je la tiendrai ! dit-elle.

Un mouvement d’orgueil gonfla le sein de Jean de Werth, mais ce n’était pas assez pour lui.

– Madame, reprit-il, l’ambassadeur de Sa Majesté l’empereur Ferdinand n’a plus rien à faire en Suède ; je partirai dans vingt-quatre heures… je voudrais ne pas partir seul.

Adrienne chancela.

– Donnez-moi deux jours, monsieur, et je serai prête ; un jour pour faire mes adieux à cette famille où j’ai été reçue comme l’enfant de la maison, un jour pour tenir mon serment.

Insister eût été peut-être tout compromettre ; d’ailleurs, M. de la Guerche devait être absent pour trois jours, et vingt-quatre heures suffisaient à Jean de Werth pour quitter la Suède.

– Prenez deux jours, madame, dit-il.

Il pouvait donc enfin compter le nombre d’heures qui le séparaient de son triomphe ! Quelle vengeance, et comme il allait punir Armand-Louis de cette préférence qu’une femme lui accordait, et du même coup Adrienne de ses dédains ! Jean de Werth était de cette race farouche d’aventuriers qui en veulent à certaines femmes de l’amour qu’elles leur inspirent. Un homme de guerre qui aspirait à commander des armées, à siéger dans les conseils de l’Empire, à monter à ce rang suprême où le feld-maréchal de Wallenstein brillait sans rival, celui-là amoureux, n’était-ce pas déchoir ?… Jusqu’alors il avait marché libre dans la vie, et maintenant il sentait autour de lui comme une chaîne dont les invisibles anneaux étaient rivés au plus profond de son cœur.

– Oh ! je l’en arracherai ! disait-il quelquefois.

Et aucun effort n’avait pu briser cette chaîne, plus forte que sa volonté.

Décidé à en accepter le poids, mais grondant comme un ours à demi dompté, Jean de Werth s’éloigna du moins avec cette consolation que dans ce duel où son orgueil était engagé la victoire lui restait.

Un deuil sombre et muet remplit la maison du marquis de Pardaillan. Diane n’osait parler à Adrienne qui la fuyait. Adrienne, appelée à toute heure à revoir son terrible fiancé, frissonnait aux premiers sons de sa voix. On comprenait qu’une fièvre ardente consumait la victime. Ces richesses, ces diamants, ces joyaux de prix, ces magnifiques parures que Jean de Werth mettait à ses pieds, elle ne les regardait pas. Quand leurs mains se rencontraient, elle frémissait tout entière. Pouvait-elle sans horreur arrêter sa pensée sur cette idée qu’elle serait unie pour l’éternité à l’homme qu’elle détestait le plus ? Mieux valait mille fois la paix du tombeau. Chaque heure, chaque minute l’enracinait davantage dans ce désir.

– Ah ! si Renaud était ici ! murmurait quelquefois Diane.

– Pourrait-il faire que ma parole ne soit pas engagée ! répondait sourdement Mlle de Souvigny.

– Non, mais il tuerait Jean de Werth.

Mlle de Pardaillan, sous l’apparence charmante d’une fée blonde, avec ses joues pareilles à des feuilles de roses trempées dans du lait, était une personne pleine de hardiesse et de résolution. On eût dit un agneau auquel la nature avait donné un cœur de lion.

Un homme que Mlle de Souvigny n’avait jamais vu se présenta le lendemain à l’hôtel de M. de Pardaillan. Il venait, disait-il, de la part de M. de la Guerche.

– Ah ! voilà ce que je redoutais ! dit Adrienne.

Elle hésita, puis se tournant vers Diane qui l’observait :

– Tiens, reprit-elle, je n’aurai jamais le courage de le recevoir. Parle à cet homme, dis-lui la vérité, dis-lui que j’aime Armand-Louis plus que ma vie et que le désespoir me tue.

Et elle se sauva dans sa chambre.

Diane reçut Magnus. Il avait une lettre de son maître pour Adrienne. Mlle de Pardaillan l’ouvrit aux yeux stupéfaits de Magnus qui savait qu’il n’avait pas affaire en ce moment à Mlle de Souvigny. Cette lecture achevée, Mlle de Pardaillan froissa la lettre de M. de la Guerche entre ses mains mignonnes.

– Toujours avec le roi ! dit-elle. Que fait-il là-bas ? pourquoi n’est-il pas ici ? pourquoi envoyer quelqu’un quand il pouvait venir lui-même ?

– Et le roi, madame ?

– Est-ce qu’il y a un roi quand on aime ! Repartez sur-le-champ ; dites à M. de la Guerche qu’il arrive sans plus tarder ; il faut qu’il soit ici demain, entendez-vous, sans quoi Mlle de Souvigny est perdue pour lui. Ce jour-là une implacable fatalité la pousse à donner sa main à Jean de Werth. Et s’il vous demande qui vous a dit cela, vous lui répondrez que c’est Diane de Pardaillan. Allez !

– Eh ! eh ! dit Magnus, voilà une jeune fille qui parle comme un général.

Mais l’accent impérieux de Diane était en même temps si doux, que Magnus obéit sans réfléchir. D’ailleurs il s’agissait de M. de la Guerche, et ce nom avait la puissance d’un talisman.

Ce qui l’étonnait seulement, c’était de servir de courrier à l’amour lui, Magnus, qui n’avait jamais connu que le dieu du sabre.

« Qui m’eût dit cela il y a un an ? » pensait-il.

Et il enfonçait ses éperons dans le ventre du cheval.

Cependant Mlle de Pardaillan, ravie de ce qu’elle avait fait, rentra chez Mlle de Souvigny.

– Eh bien ! que t’a-t-il dit, que voulait-il ? demanda Adrienne.

– Il m’a dit que M. de la Guerche serait ici dans deux jours.

– Ah ! pauvre Armand !

Mlle de Souvigny prit la lettre qu’elle voyait entre les mains de Diane et la parcourut. Elle ne distinguait les mots qu’à travers un rideau de larmes.

– Et je ne le reverrai plus ! dit-elle en tombant entre les bras de Diane.

– Qui sait ! murmura Mlle de Pardaillan.

Le lendemain, on s’en souvient, était le jour fixé pour le mariage d’Adrienne et de Jean de Werth. On voyait partout les apprêts de la cérémonie. Adrienne, couverte de vêtements blancs, avait plutôt l’air d’un fantôme échappé à la tombe que d’une créature appartenant à la terre.

Jean de Werth était vêtu d’habits magnifiques tout reluisants de pierreries.

L’heure où ils devaient être unis approchait.

M. de Pardaillan couvrait Adrienne de regards pleins de douleur et de pitié. Il regrettait alors de n’être pas mort en essayant de délivrer M. de la Guerche. Il n’aurait pas du moins assisté à cette immolation d’une femme qu’il lui avait confiée et qu’il aimait. Quelquefois un doute, un soupçon traversait son esprit. Jean de Werth était-il véritablement le sauveur d’Armand-Louis ? Mais n’avait-il pas vu lui-même le baron auprès du roi au moment où Gustave-Adolphe s’était approché de l’échafaud ? Et puis il y a de ces abîmes de fourberies dans lesquelles ne descendent jamais les âmes loyales.

Diane semblait avoir la fièvre comme Adrienne ; seulement ses joues, au lieu d’avoir la couleur de la neige, étaient en feu. À toute minute, elle tendait l’oreille ou regardait par la fenêtre.

Cependant, Magnus n’avait pas perdu une minute pour rejoindre Armand-Louis. En quelques mots, le vieux soldat le mit au courant de l’entretien qu’il avait eu avec Mlle de Pardaillan. Armand-Louis se sentit froid jusque dans les os. Il courut chez Gustave-Adolphe.

– Sire, dit-il, il faut que je parte, il y va de mon bonheur, il y va de ma vie !

Gustave-Adolphe voulut savoir ce qui se passait. En écoutant M. de la Guerche, il se souvint de Marguerite et du jour où il l’avait trouvée gisant sur le talus d’un chemin.

– Mort de ma vie ! courez ! je pars avec vous ! dit-il.

Un moment après, on voyait passer trois flèches sur la route. C’était le roi, M. de la Guerche et Magnus.

Jean de Werth, cette fois, ne doutait plus du succès. L’heure fatale, l’heure décisive était venue. Il n’en était plus séparé que par un petit nombre de minutes qui s’écoulaient rapidement et qu’il comptait en esprit. Jean de Werth, radieux, saluait le jour qui voyait son triomphe d’un regard où brillaient toutes les flammes de l’orgueil.

« Allons ! pensait-il, l’audace a toujours raison. »

Quand le moment fut venu où il put se présenter chez sa fiancée, le baron alla quérir M. de Pardaillan qui le conduisit en personne auprès de Mlle de Souvigny. Quelle force permit à Adrienne de se tenir droit en ce moment ? ce courage du désespoir qui permet aux victimes héroïques de recevoir le coup de la mort debout et sans faiblir. Le premier coup de midi sonna. Jean de Werth s’inclina et lui présenta la main.

– Pas encore ! s’écria Diane qui ne respirait plus et qui, le corps penché en avant, faisait signe à tout le monde de se taire.

On entendit alors comme le roulement d’un tonnerre dans la rue ; la grande porte de l’hôtel roula sur ses gonds ; un tumulte extraordinaire retentit dans la cour, sur le perron, puis dans l’escalier ; la voix sonore d’un écuyer cria : « Le roi ! » ; la porte de la galerie s’ouvrit à deux battants, et Gustave-Adolphe parut, ayant à son côté M. de la Guerche ; Jean de Werth pâlit.

– Ah ! Renaud n’eût pas mieux fait ! dit Diane avec exaltation.

À la vue d’Armand-Louis, Adrienne poussa un grand cri :

– Ah ! ne m’accusez pas… il vous a sauvé ! s’écria-t-elle en courant vers M. de la Guerche.

Le regard d’Armand-Louis venait de rencontrer celui de Jean de Werth.

– Qui ? demanda-t-il.

– Ne me forcez pas à le nommer ! reprit Adrienne dont les yeux se détournaient avec horreur de Jean de Werth.

– Lui ! s’écria de nouveau Armand-Louis. Il y a dans tout ceci quelque épouvantable machination dont le secret m’échappe… mais, Dieu merci, j’arrive à temps.

Jean de Werth était devenu plus blanc qu’un linceul : il comprenait déjà que tout était perdu, mais son orgueil ne pliait pas. Adrienne ne voyait qu’Armand-Louis. Il était devant elle, elle tenait ses mains. Quelque chose lui disait qu’elle était sauvée.

– Ah ! quand on m’a dit que vous alliez mourir, j’ai failli devenir folle ! reprit-elle. Un homme était là qui m’a dit qu’il vous sauverait, mais que, pour prix de cet effort, il voulait ma main… J’ai lutté… mais la peur de vous voir monter sur l’échafaud l’a emporté… ; j’ai promis, j’avais tout tenté et n’avais rien obtenu ! Que s’est-il passé après, je l’ignore ; mais cet homme est venu me dire que vous étiez libre, qu’il vous avait arraché à la mort, et ma main est tombée dans la sienne… ; mais, descendue de l’autel, je vous le jure, je serais morte !

– Ah ! l’infâme ! s’écria M. de la Guerche qui enveloppait Adrienne de ses bras.

– Cet homme mentait ! dit alors Gustave-Adolphe.

Jean de Werth fit un pas. Gustave-Adolphe le couvrit de son regard flamboyant.

– Je suis étonné, monsieur le baron, reprit-il, de trouver ici l’ambassadeur de Sa Majesté l’empereur d’Allemagne, quand je lui ai moi-même signifié qu’il n’avait rien à espérer du roi de Suède ! La guerre est déclarée, monsieur, retournez donc chez vous, et par le plus court chemin… Ce n’est pas devant moi, j’imagine, que Jean de Werth osera soutenir qu’il a été pour quelque chose dans la délivrance de M. de la Guerche ?

Le front livide et hautain de Jean de Werth ne s’abaissa pas.

– Ville perdue ! répondit-il dédaigneusement.

– Ainsi, madame, poursuivit le roi, vous ne devez rien à Jean de Werth. Cette main qu’il avait volée est libre.

Adrienne poussa un cri de joie :

– Libre !… je suis libre ! reprit-elle.

Jean de Werth se tourna tout à coup vers M. de Pardaillan.

– C’est ici le moment de savoir, dit-il d’un voix brève, si un gentilhomme à qui j’ai sauvé la vie sur un champ de bataille sait tenir la parole qu’il a librement donnée. La vôtre est engagée, monsieur, et je ne vous la rends pas.

À l’accent de cette voix nerveuse, M. de Pardaillan sentit comme la lame aiguë d’un poignard entrer dans son cœur.

– Ai-je rien dit, ai-je rien fait qui vous fit croire que je ne m’en souvenais pas ? s’écria-t-il, le visage bouleversé par une incommensurable douleur.

Mais, délivrée de ce cauchemar qui la tuait, Adrienne avait retrouvé toute sa vaillance.

– Ne tremblez pas, vous qui avez eu pour moi les soins et la tendresse d’un père ! s’écria-t-elle. Je saurai rester fidèle à mon cœur et à mes devoirs. N’est-il pas vrai que, majeure, je puis librement disposer de ma main, et jusqu’à cette époque, sujette du roi de France, ne suis-je pas libre en Suède de la refuser à qui l’exige ?

– C’est vrai, répondirent à la fois Gustave-Adolphe et M. de Pardaillan.

– Eh bien ! j’attendrai, et, si M. de la Guerche a le même cœur que moi, dans deux ans, je serai sa femme… En cette seule chose jusque-là, mon père, je résisterai à votre volonté.

– Bien ! s’écria Diane.

– Deux ans ! dit Jean de Werth, c’est plus de temps qu’il n’en faut pour vaincre la Suède… moi aussi, j’attendrai !

Armand-Louis et le roi avaient fait un pas.

Jean de Werth, que jamais la crainte n’avait approché, les regarda l’un et l’autre en face, puis, frappant sur la garde de son épée où l’on voyait pendre la dragonne brodée par Adrienne :

– Monsieur le comte, s’écria-t-il, si vous voulez que Mlle de Souvigny s’appelle Mme de la Guerche, venez prendre ce nœud de rubans que je porte là. Alors seulement, moi aussi, je vous dirai : « Elle est à vous ! » Jusqu’alors, permettez-moi de me rappeler que Mlle de Souvigny m’a été fiancée par celui qui remplace ici-bas son père !

Ce n’était plus l’aventurier qui parlait, c’était le capitaine qui avait fait ses preuves dans cent combats.

– Ah ! j’aime mieux cela ! répondit Armand-Louis. Ainsi, monsieur, vous promettez de rendre à M. de Pardaillan la parole qu’il vous a donnée, si la main que j’étends vers vous arrache de votre flanc ce nœud que vous emportez ?

– Je le jure, et j’en donne pour témoignage ce gant que je jette à vos pieds !

– Guerre alors et guerre implacable ! s’écria M. de la Guerche, qui ramassa le gant d’une main fiévreuse.

– Quant à vous, Sire, continua Jean de Werth, il y a des champs de bataille en Allemagne… Au revoir !

Et il s’éloigna lentement, fièrement, la main sur la dragonne de son épée.

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