XXXIX Sauve qui peut

Magnus, de son côté, n’avait pas perdu son temps. Il profita d’un moment où personne ne le voyait pour avertir Adrienne et Diane qu’elles eussent à se tenir prêtes à partir à la première heure du jour. Leurs chevaux, sellés et bridés, seraient devant la porte du pavillon. Magnus se chargeait du reste.

– Si j’échoue, leur dit-il, je ne verrai pas mon échec.

Un vague effroi se glissa dans l’âme des deux cousines. Elles échangèrent un long regard et passèrent la nuit en prières.

Magnus ne dormit pas non plus ; il allait et venait lentement autour du pavillon. Le son de la cloche qui tintait dans l’éloignement lui rappelait ce funèbre couvent de Saint-Rupert vers lequel Mme d’Igomer entraînait Mlle de Souvigny et Mlle de Pardaillan, comme une louve deux brebis ravies au bercail. Les sentinelles se promenaient silencieusement dans l’ombre des murailles. Une lampe brûlait dans l’appartement d’Adrienne. Un homme sortit bientôt de celui de Mme d’Igomer, qui devint sombre comme la nuit. Immobile contre un arbre, Magnus vit passer Jean de Werth ; plus rapide et plus menaçant qu’un fantôme, il s’effaça dans les ténèbres.

Frantz, qui l’accompagnait, revint auprès de Magnus.

– Demain, je vous rendrai à Saint-Rupert le déjeuner que vous m’avez offert à l’enseigne des « Trois Mages », lui dit-il. Quand les grands font chère lie, les petits peuvent grignoter.

– Et qui vous empêche de chercher le repos en attendant ? demanda Magnus.

– Je suis comme les chats, je guette, répondit Frantz. J’ai idée qu’il y a une souris en campagne.

Et il s’éloigna sans faire plus de bruit qu’un renard qui rampe sous un taillis.

Ces quelques mots firent comprendre au soldat que Frantz avait conçu des soupçons, et l’engagèrent à redoubler de surveillance. Il avait devant lui un adversaire qu’on n’arriverait pas à vaincre sans efforts.

Une heure après, Magnus entendit un cri sourd, et presque aussitôt un bruit semblable à celui que ferait le corps d’un homme en tombant.

Il fit un bond du côté des écuries d’où partait ce cri. Frantz était debout, un poignard à la main, et devant lui, renversé, la poitrine ouverte, l’écuyer de Mlle de Pardaillan. Les dernières convulsions de l’agonie agitaient son corps.

– Voilà la souris, dit Frantz en riant ; vieille souris, ma foi, à qui l’âge n’a pas appris qu’il ne faut plus rôder, l’heure du couvre-feu passée.

Le sang bouillonnait dans les veines de Magnus.

– Pourquoi avez-vous tué cet homme ? demanda-t-il en s’efforçant de rester calme. Demain Mlle de Pardaillan va m’importuner de ses plaintes et de ses cris.

– Voyez, répondit Frantz.

Et du doigt il lui montra les chevaux des deux cousines tout sellés qui enfonçaient leurs naseaux dans l’avoine.

– Ce vieux coquin achevait de boucler leurs sangles, reprit-il ; je me méfiais de ce sournois depuis longtemps. J’ai profité de l’occasion et je m’en suis débarrassé.

Un râle déchira la poitrine de l’écuyer, sa tête roula sur le sol et il expira.

– J’imagine que Mme la baronne d’Igomer ne me cherchera pas querelle, poursuivit Frantz ; j’ai saisi l’occasion aux cheveux… non, à la gorge, car c’est par là que je l’ai pris, ce vieux mécréant.

Et, tout en parlant, il se mit en devoir de débarrasser les chevaux de leur harnachement.

– À votre place j’aurais agi comme vous l’avez fait, dit Magnus qui posa la main sur le bras de Frantz ; mais, puisque la besogne est faite, laissons les selles sur le dos des chevaux. Ne faut-il pas qu’ils soient prêts à la première pointe du jour ?

– Ma foi, vous avez raison, camarade. De cette façon personne n’aura perdu son temps, ni lui, ni moi.

Frantz prit une lanterne de corne et passa dans une écurie voisine.

– Avant de songer à dormir une heure ou deux, je veux savoir, dit-il encore, si ce vieux coquin n’a pas joué de ce côté quelque autre tour de sa façon.

Magnus, qui le suivait pas à pas, remarqua alors une douzaine de chevaux tout sellés, le mors dans la bouche, l’étrier au flanc, et retenus au râtelier par un simple licol.

– Ç’a été jusqu’à présent la précaution inutile, dit Frantz ; mais si nos oiseaux s’étaient envolés, nous avions des ailes pour les poursuivre.

Magnus passa la main sur l’encolure des chevaux.

« Voilà une chose que je n’aurais pas apprise si l’écuyer n’était pas mort », pensa-t-il.

Un jour entra par la porte de l’écurie et en éclaira confusément la profondeur. Magnus promena ses regards autour de lui. Personne n’était là, et l’heure s’approchait où la partie décisive allait s’engager.

Frantz étouffa un léger bâillement.

– On ne dira pas que j’ai perdu ma nuit, dit-il, j’ai bien le droit d’aller dormir un peu.

– Dors donc ! s’écria Magnus.

Et, avant que Frantz pût faire un mouvement ou pousser un cri, il l’avait saisi par le cou et jeté sur un amas de paille. Pareils à des pinces de fer, les doigts de Magnus entraient dans les chairs de Frantz et l’étouffaient.

– Regarde, je m’appelle Magnus et je paye la dette de Carlscrona ! dit le vieux reître en arrachant la fausse barbe et la coiffure qui le défiguraient.

Une expression de terreur folle se peignit sur le visage de Frantz ; ses bras s’agitèrent dans le vide ; il voulut se lever, mais la main terrible de Magnus le retint cloué à sa place.

Lorsqu’il ouvrit ses doigts, Magnus n’avait plus devant lui qu’un corps inerte et roide.

– Dent pour dent, coup pour coup ! dit-il en entassant des bottes de paille sur le cadavre de Frantz. J’en ai fini avec l’homme, aux chevaux à présent ! reprit-il.

Et, s’armant d’un poignard à lame affilée, il coupa une à une les sangles qui assujettissaient les selles sur le dos des chevaux, en ayant soin de laisser un fil qui pût les maintenir en place. Au premier effort du cavalier, ce fil ne manquerait pas de se briser.

« De ce côté me voilà tranquille », pensa-t-il ; et il sortit d’un pas ferme.

Une sentinelle se promenait devant la porte du pavillon.

– Tout va bien, dit Magnus.

Et, sans perdre une minute, il monta chez Mlle de Souvigny. Elle était à demi couchée sur son lit, tout habillée.

– Hâtez-vous, lui dit-il, et prévenez Mlle de Pardaillan, nous devons être à cheval avant une heure.

Et, du même pas rapide, il alla tirer de leur repos les trois ou quatre serviteurs sur lesquels il comptait. En quelques instants, tous furent sur pied.

Deux d’entre eux tirèrent silencieusement de l’écurie les chevaux sellés et bridés par l’écuyer, un autre ouvrit la porte de la grande cour.

Mais déjà Mme d’Igomer ne dormait plus ; le jour était venu où elle allait enfin savourer une vengeance depuis si longtemps attendue. Enivrée d’une joie fiévreuse, elle poussa les rideaux de sa chambre et se mit à la fenêtre. Le soleil brillait au bord de l’horizon.

– Donc, c’est aujourd’hui ! dit-elle.

Le mouvement qui remplissait la cour attira son attention. Pourquoi ces chevaux ? pourquoi ces hommes ?… La vue de Jean de Werth, qui montait les marches du perron, lui fit croire qu’il avait donné des ordres dont il allait lui expliquer la signification. Magnus parut dans la cour presque au même instant ; Frantz ne s’y montrait pas, bien que l’heure où il faisait sa ronde matinale fût passée depuis longtemps. Quelques-uns des sacripants qu’il traînait à sa suite erraient çà et là et semblaient le chercher.

Un indéfinissable soupçon traversa l’esprit de Mme d’Igomer ; elle fit de la main signe à Jean de Werth, qui venait d’ouvrir la porte de sa chambre, de s’approcher de la fenêtre où elle se tenait elle-même.

– Connaissez-vous cet homme ? lui dit-elle vivement.

– Celui qui tient la bride de ce cheval noir ? Parfaitement : c’est Benko, l’un des laquais de M. de Pardaillan, un imbécile qui se mêle de fidélité.

– Eh ! non, pas celui-là… cet autre, qui a un feutre gris où pend une plume verte !

– Ce grand roux à barbe fauve ?

– Oui.

– Je le vois pour la première fois.

– Quoi ! ce n’est pas le messager que vous m’avez envoyé pour me prévenir de votre prochaine arrivée ?

– Eh non ! Karl Mayer est un petit homme, maigre et sec, qui a le teint couleur de safran et la barbe noire comme l’encre.

– Ah ! le traître !

En ce moment Adrienne et Diane, qui venaient de descendre le perron, se hâtaient de se mettre en selle, aidées par Magnus dont Benko tenait le cheval. En une minute, tous eurent la bride en main.

Mme d’Igomer se pencha hors du balcon.

– Arrêtez ! cria-t-elle d’une voix impérieuse.

Mais déjà Mlle de Pardaillan et Mlle de Souvigny se dirigeaient vers la porte, toute grande ouverte, et la franchissaient d’un bond.

– Arrêtez cet homme ! arrêtez ces femmes ! cria de nouveau Mme d’Igomer qui voyait sa proie lui échapper.

– Eh ! par la mordieu ! obéissez donc ! cria à son tour Jean de Werth qui comprit tout.

Quelques-uns de ceux qui attendaient Frantz accoururent enfin, et firent mine de s’opposer au départ du reître qui marchait le dernier.

Mais Magnus pressait son cheval entre ses forts genoux.

– Malheur à qui me touche ! dit-il d’une voix haute.

Un homme cependant s’approcha et saisit le cheval par la bride ; l’épée de Magnus tournoya dans sa main et tomba sur le front de l’audacieux qui roula mort à terre, la tête fendue jusqu’au menton.

Jean de Werth poussa un hurlement sauvage et enjamba la fenêtre.

Magnus jeta son chapeau en l’air, et, faisant bondir son cheval par-dessus le cadavre du soldat :

– Magdebourg ! cria-t-il d’une voix tonnante.

Et il s’élança d’un bond sur les traces des deux jeunes filles. Déjà quatre hommes déterminés galopaient auprès d’elles ; la troupe entière passa comme un torrent, et s’éloignant, laissa derrière la croupe des chevaux les bois sombres de Saint-Rupert.

Jean de Werth venait de tomber dans la cour, l’épée entre les dents.

– Aux chevaux ! cria-t-il.

Quelques soldats, témoins de cette scène rapide, s’étaient précipités du côté des écuries et en sortaient conduisant les animaux par la bride ; cinq ou six d’entre eux mirent le pied à l’étrier.

– Mille ducats à qui l’atteindra le premier ! cria Jean de Werth.

Les soldats s’enlevèrent, mais les sangles se brisèrent sous le poids des cavaliers, et tous retombèrent lourdement sur le sol, entraînant les selles dans leur chute.

– Malédiction ! dit Jean de Werth.

Il enleva un mousquet accroché à l’arçon d’une selle, courut vers la porte et fit feu ; la balle égratigna la terre derrière les fugitifs qu’un tourbillon de poussière enveloppait.

Jean de Werth brisa la crosse du mousquet contre le mur.

Mme d’Igomer venait de paraître dans la cour, où quelques chevaux galopaient en liberté ; blanche de colère, elle les montra du geste aux soldats encore étourdis de leur chute :

– Mais vous avez des sabres, des pistolets ! dit-elle ; courez, volez ! leurs dos vous porteront !

Sept ou huit reîtres sautèrent à cru sur le dos des chevaux et les poussèrent vers la porte ; Jean de Werth les imita, et tous ensemble se jetèrent à la poursuite des fugitifs. On ne voyait plus qu’un nuage blanc roulant sur la route. Les cavaliers, excités par Jean de Werth, avaient à peine franchi une distance de quelques centaines de pas, lorsqu’ils virent quatre hommes sortir du nuage blanc et s’arrêter en face d’eux, au milieu du chemin.

Celui qui marchait à leur tête, et qu’on reconnaissait à sa haute taille, s’empara d’un mousquet, épaula et fit feu, comme Jean de Werth lui-même l’avait fait peu de minutes auparavant.

Un homme ouvrit les bras, tomba sur la croupe du cheval et roula par terre.

Toute la troupe s’arrêta.

– Lâches ! cria de Werth, en avant !

Mais un second mousquet brillait dans la main de Magnus ; avec cette rapidité de coup d’œil particulière aux hommes de guerre, Jean de Werth comprit que le coup lui était destiné ; il serra violemment la bride de son cheval et le fit se cabrer ; l’éclair s’alluma, et avant que la détonation arrivât aux oreilles des cavaliers qui accompagnaient Jean de Werth, une balle s’enfonça dans le poitrail de l’animal qui s’abattit dans la poussière.

Deux coups de feu retentirent encore, tandis que Jean de Werth s’efforçait de dégager sa jambe prise sous le flanc du cheval agonisant, et deux soldats tombèrent mortellement atteints. Lorsque Jean de Werth se trouva debout, la troupe entière avait reculé.

Il frappa la terre du pied :

– Elle m’échappe encore ! dit-il.

Les reîtres mis en fuite, Magnus battit en retraite et rejoignit Mlle de Souvigny et Mlle de Pardaillan. Une heure après, au bout de la route, ils voyaient les hautes tours de Magdebourg.

– Dieu vous a sauvées, que Dieu soit loué ! dit Magnus.

Il venait d’apercevoir au sommet de la plus haute tour le drapeau de la Suède.

Les deux cousines étaient dorénavant sous la protection de Gustave-Adolphe.

Le premier soin de Magnus fut d’expédier un des hommes qui l’avaient suivi au rendez-vous assigné à M. de la Guerche et à M. de Chaufontaine. Ils devaient apprendre en même temps et leur délivrance et le lieu de leur retraite. À l’heure où Benko quitta Magdebourg, quelques bandes éparses d’Impériaux se faisaient voir autour de la ville ; leur nombre grossit extraordinairement dans la journée.

Le lendemain mille bannières flottaient dans la campagne, les piques et les mousquets reluisaient sur tous les chemins et sur tous les sentiers ; des batteries montraient les gueules de cent canons sur la lisière des champs ; l’armée du comte de Tilly investissait Magdebourg.

Sommée de se rendre vers midi, la ville refusa bravement d’ouvrir ses portes.

Le héraut d’armes chargé de porter cette vaillante réponse au comte de Tilly n’avait pas atteint le camp impérial, que déjà l’investissement était complet et toute communication coupée avec les campagnes voisines.

« Hé ! hé ! pensa Magnus, j’ai bien fait de ne pas attendre pour expédier mon message ! »

Dès le même jour une volée de boulets tomba sur les faubourgs de Neustadt et de Sudemburg ; quelques nuages s’élevant aux endroits où les blocs de fer avaient frappé indiquèrent aux bons bourgeois de Magdebourg que les désastres de la guerre allaient succéder aux prospérités de la paix. Ces pans de murs écroulés, ces toits effondrés étaient pour eux l’image du commerce anéanti, de la sécurité détruite. Si quelques-uns frissonnèrent à la pensée des catastrophes que leur promettait le siège qui venait de commencer, le plus grand nombre, confiants dans leur courage et la solidité éprouvée de leurs remparts, s’apprêtèrent fièrement à repousser les assauts de l’ennemi.

Aux premières décharges de l’artillerie dont les détonations successives ébranlaient les vieilles maisons de Magdebourg, Adrienne et Diane coururent sur un balcon qui donnait sur l’une des principales rues de la ville. Tout y représentait le spectacle du tumulte le plus extraordinaire.

On voyait passer en grande hâte des compagnies de bourgeois qui se rendaient sur les remparts au bruit du tambour ; des groupes de volontaires portant le mousquet ou la pertuisane, couraient çà et là en appelant tout le monde aux armes. Des pelotons de soldats qui appartenaient aux régiments suédois marchaient d’un pas ferme, graves, silencieux, en braves gens pour qui les hasards terribles de la guerre n’ont pas de secrets ; des marchands tirés tout à coup de leurs boutiques traînaient des canons qu’on allait placer aux endroits où la défense paraissait le plus faible. Des femmes animées d’un esprit belliqueux roulaient des barriques pleines d’eau le long des maisons où l’incendie pouvait être le plus facilement allumé ; elles excitaient leurs maris et leurs frères à la défense commune, tandis que les plus jeunes, pâles, émues, tremblantes, mais déterminées à imiter leurs aînées, préparaient de la charpie, du linge, des couvertures pour les blessés, des munitions et des vivres pour les combattants. Les matières combustibles auxquelles un projectile pouvait communiquer le feu étaient entassées au fond des caves dont on s’empressait de fermer les soupiraux. Les échevins et les chefs des différentes corporations parcouraient la ville, animant leurs concitoyens à se bien conduire, et distribuant des éloges à ceux qu’ils voyaient déjà la casaque sur le dos, prêts à courir où le danger les appelait. De bruyantes acclamations s’élevaient sur leur passage. La foule les suivait de rue en rue, compacte, serrée, tumultueuse, puis s’ouvrait tout à coup pour donner une libre issue à quelque officier qui portait un ordre et passait au galop.

Adrienne et Diane, captivées par l’émotion de ce spectacle, suivaient de l’œil chacun des cavaliers ; aucun ne leur paraissait avoir la bonne mine de M. de la Guerche et de Renaud. Magnus parut alors.

– Que veut dire tout ce bruit ? demanda Mlle de Souvigny.

– M’est avis que nous avons échangé notre souricière contre une cage, répondit le soldat ; le mieux est que la cage est honnête. Seulement il n’y faut laisser entrer personne.

Sur la nouvelle qu’il leur donna qu’il avait expédié Benko à M. de la Guerche et à M. de Chaufontaine, Diane battit des mains.

– Nous ne tarderons pas à les voir paraître, dit-elle.

– Y penses-tu ? s’écria Adrienne, comment traverseront-ils les rangs pressés de nos ennemis sans s’exposer à mille morts ?

– Ah ! reprit Diane, dont les yeux se remplirent de larmes, ils s’y exposeront puisqu’ils savent que nous sommes ici !

Il nous faut maintenant abandonner Magdebourg et retourner auprès des deux gentilshommes que nous avons laissés courant par monts et par vaux, mais dans des directions opposées, à la poursuite de Mme d’Igomer.

Armand-Louis de son côté et Renaud du sien n’avaient rencontré nulle part des traces de celles qu’ils brûlaient également du désir d’atteindre. Trois ou quatre fois trompés par de fausses indications, ils avaient poussé leur course vers des villes et des châteaux où personne n’avait entendu parler de celle qu’ils cherchaient. Pour M. de la Guerche, Mme d’Igomer était une fée invisible ; pour M. de Chaufontaine, c’était la plus terrible des chimères. Combien déjà n’avaient-ils pas traversé de bourgs, visité de couvents, rencontré de cavalcades ! Des sylphes et des esprits follets eussent laissé plus de marques de leur passage que Mlle de Souvigny et de Pardaillan. Après avoir battu dans tous les sens un vaste rayon de campagnes, Armand-Louis et Renaud avaient repris tristement le chemin de l’hôtellerie où ils avaient laissé une sentinelle en vedette, sur la recommandation de Magnus. Ils y trouvèrent Carquefou qui n’avait rien découvert non plus, et qui tremblait encore au souvenir des périls qu’il avait courus.

La sentinelle avait bu consciencieusement, loyalement déjeuné et dîné, et ne savait rien, si ce n’est que divers messagers étaient arrivés à intervalles inégaux, racontant tour à tour que personne n’avait encore rien vu, soit du côté du nord, soit du côté du midi.

Le premier regard de M. de la Guerche apprit à Renaud le résultat négatif de son pèlerinage ; le triste sourire de M. de Chaufontaine fit comprendre à Armand-Louis que le voyage de son compagnon n’avait pas été plus heureux.

Ces deux cœurs robustes éprouvèrent une sorte de commotion électrique. Pâles et les yeux, humides, Armand-Louis et Renaud joignirent leurs mains dans une étreinte muette. Carquefou avait l’apparence d’un mort.

– Si Adrienne est perdue pour moi, malheur à Jean de Werth ! s’écria M. de la Guerche ; fût-il à la cour de Ferdinand d’Autriche, sous l’ombre du trône impérial, je le tuerai !

– Si quelque homme du nom d’Igomer existe en Allemagne, dit à son tour M. de Chaufontaine, fût-il au fond des enfers, j’irai demander à ses entrailles compte de Mlle de Pardaillan !

Un vague espoir leur restait encore. Peut-être l’une des deux captives avait-elle réussi à faire parvenir de ses nouvelles à M. de Pardaillan. Un mouvement simultané les poussa l’un et l’autre à se rendre sans retard au camp du roi de Suède, auprès duquel le vieux gentilhomme était resté.

FIN

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