Biographie AL-THANA, LE CLOCHARD CÉLESTE Sa mort, son œuvre

Autoportrait de l’artiste
lors de sa vie embryonnaire

C’est à madame Skinner que la littérature mondiale doit la découverte du défunt Al-Thana et de sa surprenante grappe de romans.

À la fin de l’été passé, madame Skinner, archéologue à la retraite, s’aventura dans l’ascenseur jusqu’au vingtième étage d’un immeuble de la 53ème rue Est de New York. La veuve Skinner habitait au huitième étage de ce bâtiment durant trois décennies. Depuis la mort du professeur Skinner, cinq ans auparavant, elle n’était jamais montée jusqu’à cette garçonnière mansardée, qui servait à son époux de refuge pour assembler un train électrique, copie miniature de l’Union Pacific.

Dans cette chambre, madame Skinner découvrit Al-Thana et sa valise en peau de lézard. Des cendres de la fausse cheminée, elle extirpa les restes d’une liasse de papiers consumés, et, de la valise, les manuscrits de sa future grappe de romans LA MORT, SA VIE, SON ŒUVRE.

Elle y trouva aussi un autoportrait du trépassé, dessiné probablement pendant sa vie embryonnaire, ainsi que quelques maximes du regretté clochard céleste, calligraphiées sur le papier d’emballage.

Voici la première de ces sentences, qui, peut-être, lui servit de mot de passe à l’entrée de l’au-delà :

Le sang de l’archéologue ne fit qu’un tour. Plutôt que d’appeler la police, madame Skinner examina le cadavre de fond en comble. Elle avait affaire à la momie parfaitement conservée d’un homme d’environ soixante ans dont la date du décès demeurait incertaine. Le trépassé était en bien meilleur état que le Lénine de la place Rouge à Moscou, qu’elle avait eu l’honneur de renifler lors d’un inoubliable voyage d’études.

Avant de s’adonner à la mendicité et au vagabondage, le défunt squatter de la garçonnière de madame Skinner avait certainement connu de meilleurs jours, à en juger par la peau de lézard de la valise et des chaussures. Selon toute vraisemblance, sa mort avait été provoquée par la combustion de ses écrits dans la fausse cheminée. Plus tard, un carreau de fenêtre cassé, assurant la circulation de l’air, avait permis la momification du corps. Nous publions ici le deuxième et le dernier autoportrait connu de l’artiste, en train de s’en aller de cette vallée de larmes, portant la lourde charge de son initiale.

La valise en peau de lézard renfermait quelques milliers de pages d’un texte calligraphié de la main gauche, les deux tiers en anglais, un tiers en français, et truffé de nombreuses notes en grec classique.

Avant de regagner la béatitude des bienheureux, Al-Thana nous a légué encore une sentence calligraphiée, puisée dans un de ses ouvrages :

La lecture attentive de l’œuvre d’Al-Thana soulève quelques hypothèses concernant sa vie mystérieuse. Tout porte à croire que le vagabond était d’origine grecque, qu’il passa son enfance dans la rudesse des Balkans et une bonne partie de sa jeunesse à Paris, qu’il fit ensuite un séjour au Québec, avant de débarquer à New York, terminus de sa pérégrination. Son prénom n’a rien à voir avec les noms arabes. Al-Thana pourrait être l’abréviation de al Thanatos, divinité gréco romaine. Nous le traduisons simplement par « dieu de la Mort ».

Le premier de ces romans voit le jour aux éditions de chambre sous le titre LES MIRACLES DU SAINT LAURENT.

Tel un animateur de jeux interactifs, Al-Thana prend son lecteur par la main et le fait entrer sous le toit de la « maison hantée » pour qu’il jette un coup d’œil à la dérobée dans le monde pittoresque de l’au delà.

Le premier prix de ce jeu serait le courage de mourir et la joie de vivre. En compagnie d’Al-Thana et de ses drôles de personnages, le lecteur va graduellement se rendre compte que lui aussi est immortel et que, par conséquent, il n’a pas une minute à perdre.

Al-Thana en Terre qui n’est à personne

La Terre qui n’est à personne est le deuxième et pour le moment le dernier livre que nous avons réussi à extirper des biens posthumes d’Al-Thana, de sa future petite grappe de romans, LA MORT, SA VIE, SON ŒUVRE.

Cette chronique onirique est la suite naturelle des Miracles du Saint Laurent. Elle nous fait entrer plus loin dans le monde bigarré du verso de la vie, qu’Al-Thana a découvert sans doute dans les tableaux des surréalistes, notamment ceux de René Magritte et de Giorgio de Chirico. En appliquant la technique des collages dans le domaine de l’écrit, Al-Thana a posé le pied, en compagnie de ses personnages comiques, sur les sables mouvants entre la drôlerie et le cauchemar du quotidien.

En avançant sur ces eaux mortes, tel Moïse sur la mer Rouge, l’intrépide Al-Thana avait senti sur l’autre rive de l’Achéron l’insoutenable fiel de l’immortalité. À l’occasion, par la bouche d’un de ses héros, le brave Robert, croque-mort au cimetière de Montparnasse, il nous lance un avertissement précieux :

« Méfiez vous de la vie, de nature mortellement dangereuse ! »

Et il nous offre une nouvelle réflexion sur le papier d’emballage :

Pour le plus grand bonheur de la littérature, les reliques d’Al-Thana sont tombées entre les mains incorruptibles de l’inspecteur Mark David, de la Brigade de répression du vagabondage de New York et celles du docteur Edgard Reichmann, expert en momies égyptiennes.

Le premier des deux, pendant sa fouille consciencieuse, a déniché un CD-R cousu dans la doublure de la veste d’Al-Thana, contenant vraisemblablement le manuscrit de trois courts romans, La Forêt promise, Le Labyrinthe et Les Seigneurs de la guerre.

Hélas, ledit CD, verrouillé, traîne toujours dans les archives de la police. Mais nous aimons croire qu’un jour prochain son contenu pourrait être divulgué. La deuxième trouvaille, non moins importante, nous la devons à l’expert en momies, qui avait éventré Al-Thana, dont les restes commençaient à souffrir de l’humidité estivale. L’auteur des Miracles du Saint Laurent et de la Terre qui n’est à personne n’était nullement étouffé par la combustion de ses manuscrits, mais s’était empoisonné en avalant, sciemment ou pas, une clef de laiton, appartenant probablement à un coffre fort quelque part au monde.

La seule chose que nous osons avancer avec une certaine assurance, c’est que la clef, ayant mené Al-Thana à la mort, était la clef du merveilleux, là où est parti notre « clochard céleste » avec son ultime maxime. Cette dernière feuille de papier d’emballage, utilisée comme papier de toilette, n’était pas propre à être reproduite. C’est pourquoi nous la recopions scrupuleusement à la main.

Dans le rêve et la mort, nous sommes tous riches sur un pied d’égalité.

Al-Thana : Terre qui n’est à personne.

Mise à jour à New York, l’œuvre romanesque d’Al-Thana fait bizarrement ses premiers pas en France grâce à deux personnes un peu excentriques. La première, Mme Zdenka Stimac, traductrice, Française d’origine slovène, se présente comme la petite nièce de madame Skinner et affirme qu’elle a hérité de sa grand tante une copie des manuscrits d’Al-Thana. Elle se déclare aussi l’auteur de la traduction des passages écrits en anglais. La seconde personne, M. Vouk Voutcho, écrivain, (Les voleurs de feu, La femme Faust, L’Âge d’homme, etc.), ami de longue date de Mme Stimac, prétend avoir connu personnellement Al-Thana et avoir vendu au défunt romancier, au début des années 80, quelques personnages de son roman Le bel enfer, publié en France en 1982.

Imposture, canular ou, tout simplement, caprice du hasard ?

Infatigable, Mme Stimac poursuit sa recherche d’autres manuscrits hypothétiques d’Al-Thana, enfermés à clef quelque part dans le monde, et se propose d’élucider ce mystère dans un récit dont nous attendons la parution avec l’impatience : L’homme qui connut Al-Thana.

editions-de-chambre.com

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