DANS LE CHEMIN QUI S’ENFONCE…

Dans le chemin qui s’enfonce à la ferme

au soleil taché d’ombre, entre deux haies

d’où sortent, pour rentrer, les poulets –

Apparue

à la barrière d’un champ,

venue à travers blés,

tenant d’un geste négligent

la robe fraîche et l’ombrelle qui traînent –

Vous voici revenue,

par le chemin de noisetiers,

vers la maison de notre amour abandonné.

Ô cérémonieuse amie lointaine, vous ne trouverez plus

la Maison-Belle de l’été passé :

l’autre été, l’autre amour

sont passés – et revenus

au soleil dur, parmi les paysans grossiers,

vers les pauvres maisons d’autrefois et de toujours,

Et pourtant,

ô ma sérieuse amie, ma silencieuse, ma fidèle

lointaine amie, n’ayez pas peur pour venir, pour

me suivre

chez les paysans graves, silencieux et lents,

dans la cour où l’on attelle

la jument

pour vous asseoir sur la planche de cuir

brûlante qui balance,

attachée par deux cordes derrière le siège

de la voiture.

Ouvrez votre ombrelle

comme ça…

là.

Le paysan va vous dire : « Mademoiselle

vous auriez été mieux sur le devant. »

Dites-lui doucement

comme si vous existiez, que non.

et restons,

balancés, secoués, à regarder…

On s’arrête… ho…

–  là ! sur la route devenue,

après des côtes et des descentes et des tournants, dans le petit pays, la rue

où le charron

a mis sécher une voiture ;

où, du côté de l’ombre,

les femmes cousent au bord des fenêtres obscures.

On s’arrête en plein soleil,

devant une maison.

N’ayez pas peur pour passer sur le pont

du fossé.

J’enlève le loquet

de la barrière blanche ; et, tous la treille,

dans la petite cour aux murs de bouquets

enfin, malhabilement, enfin !

voici vos mains

sur la poignée noire de la porte dure.

On ne nous attend pas.

Personne n’est sorti, la main sur les yeux,

pour nous voir arriver. La voiture s’en va.

Nous sommes là, tous deux, n’osant pas

ouvrir, ou pousser le volet qui coupe en deux

la porte paysanne, et apparaître aux vieux.

N’ayez pas peur… que de ne pas assez

follement

aimer la folle impossible journée…

Et repartons… Allons-nous-en

vers les toits

semés entre les arbres, sous le ciel fleuri blanc,

éblouissants, à l’horizon

comme des morceaux de cailloux ou de miroirs,

dans l’herbe et les fleurs de blé noir.

Ô Taille-Mince,

on va dire, dans les champs,

que votre taille tiendrait dans

la ceinture des deux mains ainsi jointes.

Ô Blonde,

Ô ardente apparue, ô cheveux blonds,

on va vouloir vous couronner,

pour vous faire honneur, de la fleur

des moissons –

et de soleil, cueillis au faîte des batteuses

qu’on entend lointainement ronfler par la campagne

et haleter, et qui crachent,

dans les cours, la paille poussièreuse.

Oh ! mon amie,

j’appuierai ma tête

j’appuierai ma tête sur votre robe

dans la salle basse et froide où nous sommes assis,

et ce sera comme si

depuis l’aube

nous étions partis à travers blés pour la folle journée ;

comme si, tous les deux, nous avions entendu,

en passant au bourg,

le roulement lourd

de la porte humble et du volet vermoulu,

et, en passant à travers champs,

le haletant bourdonnement des machines des champs ;

puis ce sera comme si nous étions arrivés

au soir, dans la salle basse de la ferme inconnue

où nous irons demander du lait.

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