I Grandes manœuvres. – La chambre d’amis du tailleur.

Petite chambre très lente, avec tes rideaux blancs, ta porte sur le balcon. Tu voguais le long des journées désertes, dans les immenses paysages noirs et bleus, parmi les averses et les ciels. Tu heurtais parfois, au cours d’une terne matinée, les marches d’un moulin à vent abandonné, sur une colline comme celle d’où tu étais partie. Alors la vieille musique de ses ailes faisait passer dans tes rideaux un frémissement, le regret des jeudis matins morts, où les enfants ne sont pas venus, comme aux images de tes murs, avec de longs discours anxieux et leurs joues chaudes l’une à l’autre appuyées, guetter l’amour à ton balcon.

Parfois aussi, vers deux heures, tu rencontrais le soleil, comme un marchand qui depuis le matin passa tous les villages et toutes les demeures. L’un vers l’autre vous aviez marché longtemps. Lui te disait : « Ce n’est rien ! Dans la vallée qui s’en va tout au bout des plus lointaines journées, là-bas, ce ne sont pas encore les villes étranges. Ce n’est pas encore le pays des vaines arrivées parmi les beaux visages perdus. Il n’y a que des pins et des bruyères. Et cet éclair, sur la dernière ligne de la terre qui monte vers moi comme d’une vitre, ah ! ce n’est que… » Et le soleil, après s’être un instant reposé sur le barreau de bois, laissait, une fois de plus, entre les ombres de tes murs, l’ombre morne d’un jour.

Mais, un soir, voyageur que tu n’attendais plus, je suis monté vers toi.

Du fond des nuits d’été, je t’apportais tous les désirs des autres maisons, là-bas, maisons où meurent les grandes vacances, où les enfants pleurent d’ennui à regarder la lueur éclatante de la nuit sur la vitre, maisons où nous t’imaginions si belle, et mouvante dans l’ombre, et toute peuplée de personnages, chambre inconnue ! chambre d’amis où nous ne fûmes pas invités !

Hélas, il était déjà trop tard, ce soir-là. J’ai cargué tes rideaux de toile, et tu ne m’as donné qu’à dormir. Au matin, je t’ai trouvée vide, et tu t’étais échouée contre l’hiver. Le froid posait sur mon visage découvert et sur ma fièvre sa bonne main douloureuse. Un pavillon de neige était étendu le long du balcon. Et tant de silence s’était fait en toi, après le long voyage manqué, qu’on croyait entendre déjà le bruit mat des premières allées et venues, dans la rue, le matin de Noël.

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