III L’amour cherche les lieux abandonnés.

L’amour par les longues soirées pluvieuses, cherche les lieux abandonnés.

Nous avons suivi ce chemin d’herbe qui s’en allait je ne sais où dans le dimanche de septembre. Il nous a conduits sur la hauteur où s’amassait la pluie comme une blanche forêt perdue. C’est là, dans une vigne terreuse et noircie, que me précédait mon amour. Je regardais avec compassion sous la soie mouillée ses épaules transparues, et sa main en arrière, selon le geste de son écharpe fauve et trempée, disant : « Encore plus loin ! Plus perdus encore ! »

Nous avons trouvé ce bosquet désert avec de grands arceaux de fer tombés, vestiges d’une tonnelle. On découvrait une ville au loin qui fumait de pluie dans la vallée. Visages humains, qui regardiez derrière les fenêtres, que les heures étaient lentes à passer devant vous dans les rues, et monotone à vos oreilles la sonnerie régulière de l’eau dans le chenal – auprès de la soirée errante dans les avenues de notre réduit de feuillage ! Nous nous sommes jeté de la pluie à la figure et nous nous sommes grisés à son goût profond. Nous sommes montés dans les branches, jusqu’à mouiller nos têtes dans le grand lac du ciel agité par le vent. La plus haute branche, où nous étions assis, a craqué, et nous sommes tombés tous deux avec une cascade de feuilles et de rire, comme au printemps deux oiseaux empêtrés d’amour. Et parfois vous aviez ce geste sauvage, amour, d’écarter, avec les cheveux, de vos yeux, les branches de la tonnelle, pour que le jour prolongeât dans notre domaine les chevauchées sur les chemins indéfinis, les rencontres coupables, les attentes à la grille, et les fêtes mystérieuses que vous donnent la pluie, le vent et les espaces perdus.

Mais pour le soir qui va venir, amour, nous cherchons une maison.

Dans la vigne, nous avons longtemps secoué la porte du refuge, en nous serrant sur le seuil pour nous tenir à l’abri, ainsi que deux perdrix mouillées. Nous entendions à nos coups répondre sourdement la voix de l’obscurité enfermée. Derrière la porte il y avait, pour nous, de la paille où nous enfouir dans la poussière lourde et l’ombre de juillet moissonné ; des fruits traînant sur des claies avec l’odeur de grands jardins pourris où sombrent pour la dernière fois les amants attardés ; dans un coin des sarments noircis, avec de vieilles choses, amour, qu’en vain vous auriez voulu reconnaître ; et, vers le soir, dans la cheminée délabrée, nous aurions fait prendre un grand feu de bois mort, dont la chaleur obscure aurait, le reste de la nuit, réchauffé vos pieds nus dans ses mains.

« Quelqu’un » avait la clef de ce refuge, et nous avons continué d’errer. Aucun domaine terrestre, amour, ne vous a paru suffisamment déserté ! Ni, dans la forêt, le rendez-vous de chasse comme une borne muette au carrefour de huit chemins égarés ; ni même, au tournant le plus lointain de la route, cette chapelle rouillée sous les branchages funèbres…

Mais le lieu même de notre amour, ce fut, par la nuit d’automne où nous dûmes nous déprendre, cette cour abandonnée sous la pluie, dont elle m’ouvrit secrètement la porte. Sur le seuil où elle m’appela tout bas, je ne pus distinguer la forme de son corps ; et des jardins épais où nous entrâmes à tâtons, je ne connaîtrai jamais le visage réel. « Touchez, disait-elle, en appuyant sur mes yeux sa chevelure, comme mes cheveux sont mouillés ! » Autour de nous ruisselaient immensément les profondes forêts nocturnes. Et je baisais sur cette face invisible que jamais plus je ne devais revoir la saveur même de la nuit. Un instant, elle enfonça dans mes manches, contre la chaleur de mes bras, ses mains fines et froides, caresse triste qu’elle aimait. Perdus pour les hommes et pour nous-mêmes, pareils à deux noyés confondus qui flottent dans la nuit, ah ! nous avions trouvé le désert où déployer enfin comme une tente notre royaume sans nom. Au seuil de l’abandon sans retour, vous me disiez, amour, dont la tête encore roule sur mon épaule, avec cette voix plus sourde que le désespoir « Jamais !… il n’y aura jamais de fin ! Éternellement, nous nous parlerons ainsi tout bas, bouche à bouche, ainsi que deux enfants qu’on a mis à dormir ensemble, la veille d’un grand bonheur, dans une maison inconnue ; – et la voix de la forêt qui déferle jusqu’à la vitre illuminée se mêle à leurs paroles… »

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