Le Dauphin est le plus célébre de tous les poissons. Les Anciens n’en ont parlé qu’avec des termes d’admiration . Il n’en est point, selon eux qui nage avec plus de vîtesse & de légéreté : il passe le vol d’un oiseau, & il atteint presque à la rapidité du trait : il est seul qui ne puisse pas vivre, la tête dans l’eau. Lorsqu’il plonge pour attraper les poissons, dont il fait sa proye, il revient avec tant d’agilité, qu’on en voyoit s’élever par-dessus les voiles d’un Navire : il aime à s’approcher des hommes. Il joue agréablement devant les vaisseaux, & a une sorte de cri semblable à un gémissement de tendresse. Ils disent tous que cet Animal étoit commun dans la mer des Indes, dans l’Archipel, & dans l’Océan Atlantique. Ils lui attribuent un instinct de douceur & de reconnoissance qui pourroit aller de pair avec les plus beaux sentimens de l’humanité. Enfin les Mythologues ont étendu leurs fictions jusques sur cet Animal, dont ils ont fait une constellation.
Mais les Naturalistes modernes prétendent que le Dauphin est un Animal imaginaire, qui n’exista jamais dans la nature tel qu’on le dépeint. Ils veulent que ce soit le Porc marin, ou le Thon, ou la Lamie, ou le Lamantin ; & il est vrai qu’on ne voit aujourd’hui aucun poisson qui ressemble au Dauphin tel qu’il est dépeint dans les Armoiries & sur la Couronne du Premier Fils de France : les meilleurs Auteurs qui en ont donné la figure le représentent à peu près de la figure du Thon ou du Marsouin ; il est constant que ceux-ci font plusieurs choses qui approchent de la familiarité qu’on attribue au Dauphin. Et il seroit absurde de penser que tout ce que tant d’Écrivains ont dit de cet Animal fussent autant de fables & d’impostures.
Voici ce qu’en dit Corneille le Bruyn, un des meilleurs & des plus sinceres Voyageurs que nous ayons. Près de Mangeloor nous prîmes le 30 novembre 1705 des Dauphins, tant avec des harpons qu’avec des hameçons. On attache à ceux-ci un paquet de petites plumes, & on les jette en mer au bout d’un cordeau qui tient à une perche. Les Dauphins qui prennent ces petites plumes pour des poissons volans dont ils se repaissent, voltigent continuellement autour du vaisseau, jusqu’à ce qu’ils soient pris. Cela est d’autant moins extraordinaire que ces petits poissons qui craignent les Dauphins volent autant qu’ils peuvent au-dessus de la surface de la mer, & le font même assez loin : mais comme ils se replongent souvent dans l’eau, les Dauphins s’en saisissent, comme je l’ai vu souvent. J’en ai conservé trois dans l’esprit de vin, qui étoient tombés en volant sur le tillac de notre vaisseau, chose fort extraordinaire. Nous primes un de ces Dauphins qui avoit quatre pieds de long, & la tête grosse de dix pouces. Ils ont le ventre jaune tacheté de bleu jusqu’aux yeux : le reste en est d’un bleu clair avec des taches d’un bleu plus foncé, surtout autour de la tête. Les nageoires en sont violettes, vertes & blanches avec du jaune aux extrémités. Ils changent de couleur en mourant, & ressemblent à de la porcelaine. Ils ont une nageoire sur le dos depuis le coû jusqu’à la queue : deux autres sur le ventre proche du coû, & une autre à chaque côté de la tête ; la queue fourchue & la prunelle de l’œil entourée d’un cercle blanc avec une petite bouche & de petites dents. Au reste la tête des mâles est beaucoup plus grosse que celle des femelles, & ils ont plus d’intestins. On les mange apprêtés comme la Merluche, & ils ont assez bon goût. Selon la figure qui est représentée au même endroit, & dessinée de la main de l’Auteur, le Dauphin a la tête écrasée comme la Solle, mais ronde, & proportionnée à un poisson de quatre pieds, le corps presque semblable à l’Esturgeon, l’arête extérieure du dos de même qu’à la perche, & la queue fourchue comme celle des Maquereaux.