CHAPITRE II. Qualités admirables du Dauphin, & dont les Histoires anciennes font mention.

On attire aisément le Dauphin sur le rivage par le chant ou le son d’un instrument de Musique, ou l’appas de quelque nourriture. Il reconnoît ceux qui lui font du bien, & s’afflige quand il les voit se retirer. On a peint & admiré avec plaisir l’Histoire qui arriva sous l’Empire d’Auguste, & qui fut attestée par Mécenas, & plusieurs grands hommes de ce siécle. Un Enfant de Baies obligé d’aller souvent à Pouzolle aux Écoles publiques avoit apprivoisé un Dauphin, en passant le Golphe qui séparoit les deux Villes. Le poisson remarqua le tems où le jeune homme venoit s’embarquer, & l’attendit sur le rivage. Il joua longtems auprès de lui pour gagner son amitié & sa confiance. Il l’engagea par ses mouvemens à monter sur son dos, & le transporta à l’autre bord. Après la classe de l’Écolier, le dauphin vint le prendre & le remit au port de Baies. Cet exercice continua sans interruption pendant plusieurs années, & toute la Ville accouroit pour en être témoin : mais l’enfant ayant été attaqué d’une maladie dont il mourut, le Dauphin erroit sans cesse sur le rivage, & ne voyant plus venir celui qu’il aimoit, il se laissa mourir de langueur.

La même chose arrivée en plusieurs endroits devient plus croyable. On l’a vu à Alexandrie sous Ptolomée Philadelphe avec des circonstances particulieres. Un Dauphin s’approcha d’une compagnie de jeunes gens qui se baignoient dans la mer, & après les avoir tous examinés, il s’attacha à celui qui étoit le plus beau. Il vint auprès de lui, & d’abord le jeune homme en fut effrayé ; mais voyant que le poisson cherchoit à lui plaire il se rassura, il monta sur son dos, & se promena longtems dans la mer, en le conduisant comme il vouloit. Il y revint à différentes reprises, & cet exercice fut un spectacle public. Malheureusement il donna autant d’affliction qu’il avoit causé de plaisir. Un jour le Dauphin manqua de coucher assez bas les arêtes qu’il a sur son dos ; il en entra une dans la chair de celui qu’il portoit qui lui perça une veine, & lui fit perdre tout son sang. Le poisson sentant le jeune homme sans connoissance le ramena sur le bord, & le voyant prêt à expirer, il voulut s’en punir lui-même, & demeura sur le sable, oû il mourut .

Cæranus Négociant de Paros, vit à Bizance des Pêcheurs qui avoient pris des Dauphins, & qui se préparoient à les égorger. Il les acheta, & les fit remettre dans la mer. L’instinct leur inspira tout ce qu’auroit pu leur dicter la raison. Ils s’attacherent au vaisseau de Cæranus qui revenoit en Grece, le sauverent du naufrage que fit son Navire, & le conduisirent à Paros. Cæranus conserva depuis une sorte de commerce avec eux. Quand il fut mort ses parens l’inhumerent sur le bord de la mer. On ne sçait comment les Dauphins en eurent connoissance. Ils s’approcherent du bucher le plus qu’il fut possible & y demeurerent jusqu’à ce qu’il fut consumé, comme pour assister à ses funérailles.

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