Chapitre premier. De la nature de l’Éléphant.

L’Éléphant est le plus gros de tous les Animaux terrestres. Sa tête est monstreuse. Ses oreilles quoique longues, sont larges & épaisses ; ses yeux quoique fort grands paroissent d’une petitesse extrême dans cette masse énorme qui compose son tout. Son nez est si épais & si long qu’il touche à terre. On l’appelle proboscide ou trompe. Il est charnu, nerveux, creusé en forme de tuyau flexible, & d’une force si singuliere, qu’il lui sert à briser, ou à déraciner les petits arbres, à rompre les branches des plus gros, & à se frayer le passage dans les plus épaisses forêts. Il lui sert aussi à lever de terre sur son dos les plus lourds fardeaux. C’est par ce canal qu’il respire & qu’il reçoit les odeurs. Le nez de l’Éléphant va toujours en diminuant depuis la tête jusqu’à l’extrêmité ; où il se termine par un cartilage mobile, avec deux ouvertures qu’il ferme à son gré. Sans ce présent de la Nature il mourroit de faim, car il a le col si épais & si roide qu’il lui est impossible de le courber assez pour paître comme les autres Animaux, aussi périt-il bien-tôt lorsqu’il est privé de cet instrument par quelque blessure. Sa bouche est placée au dessous de sa trompe dans la plus basse partie de sa tête & semble jointe à sa poitrine. Sa langue est d’une petitesse qui n’a point de proportion avec la masse du corps. Il n’a dans les deux mâchoires que quatre dents pour broyer sa nourriture ; mais la nature l’a fourni pour sa défense de deux autres dents, qui sortent de la mâchoire supérieure, & qui sont longues de plusieurs pieds. Il se sert furieusement de ces deux armes. Ce sont les dents qui s’achetent, & qui sont connues sous le nom d’yvoire. Leur grosseur est proportionnée à l’âge de l’Animal. La partie qui touche la mâchoire est creuse, le reste est solide & se tourne en pointe. Un bon Éléphant contient plus de chair que quatre ou cinq bœufs. La mesure ordinaire de ceux d’Afrique, est de neuf ou dix pieds de long sur onze ou douze de haut. Quoique une taille pareille fasse juger qu’ils doivent être pesans dans leur marche & qu’ils ont peu de légereté à la course, ils marchent & courent fort légerement. Leur pas ordinaire égale celui de l’homme le plus agile. Leur course est beaucoup plus prompte ; mais il est rare de voir un Éléphant courir avec un ventre pendant, un dos courbé, des jambes fort épaisses, & des pieds de 12 ou 15 pouces de diametre, ils ne peuvent aimer beaucoup le mouvement. Leurs pieds sont couverts d’une peau dure & épaisse, qui s’étend jusqu’à l’extrémité de leurs ongles. L’Éléphant d’Afrique est presque noir comme ceux de l’Asie. Sa peau est dure & ridée avec quelques poils longs & roides, répandus par intervalle. Sa queue est longue, & semblable à celle du Taureau, mais nuë, à l’exception de quelques poils qui se rassemblent à l’extrémité. On s’est persuadé faussement qu’il n’a point de jointures aux pieds, mais cette erreur est détruite par le témoignage de tous les Voyageurs. Il se tourne difficilement de la droite à la gauche. Les Négres qui se sont apperçus de ce défaut par des expériences continuelles en tirent beaucoup d’avantage pour l’attaquer en plein champ. Plusieurs Naturalistes assurent que les femelles de ces Animaux portent leurs petits dix-huit mois, d’autres trente-six, mais rien n’est plus incertain, & l’on peut espérer d’en être bien informé, parce que les Éléphans privés ne produisent point.

L’Éléphant a peu d’embarras pour sa nourriture. Si l’herbe lui manque il mange des feuilles & des branches d’arbres, des roseaux, des joncs, toute sorte de fruits, de grains & de légumes. Dans une faim pressante, il mange quelquefois de la terre & des pierres ; mais on remarque que cette nourriture le fait bientôt mourir. D’ailleurs, il souffre patiemment la faim, & l’on assure qu’il peut passer huit ou dix jours sans aucuns alimens. Cependant il mange beaucoup lorsqu’il est dans l’abondance, témoins les dommages qu’il cause aux plantations des Négres. Un seul de ces Animaux consume dans un jour ce qui suffiroit pour nourrir trente hommes pendant une semaine, sans compter les ravages qu’il fait avec ses pieds. Aussi les Negres n’épargnent-ils rien pour les éloigner de leurs champs : ils y font la garde pendant le jour & y allument des feux pendant la nuit. Le tabac qui croit dans les champs enyvre quelquefois les Éléphans, & leur fait faire des mouvemens fort comiques. Quelquefois leur yvresse va jusqu’à tomber endormis. Les Negres ne manquent point les occasions de les tuer. Les Éléphans avant de boire observent toujours de troubler l’eau avec les pieds. Ils s’attroupent ordinairement au nombre de cinquante ou soixante, on en rencontre souvent des troupeaux dans les bois ; mais ils ne nuisent à personne lorsqu’ils ne sont point attaqués . Les deux dents qui nous donnent l’yvoire sortent de la mâchoire d’en haut, quoique les Peintres les représentent dans la situation opposée. C’est avec ces puissantes armes que les Éléphans arrachentles arbres ; mais il arrive aussi quelquefois qu’elles se brisent & de là vient, suivant Jobson, qu’on trouve si souvent des fragments d’yvoire dispersés dans les terres. Le même assure sur sa propre expérience, que la chair de ces Animaux est de fort bon goût. Quelquefois ces monstreux Animaux entrent dans les Villages pendant la nuit, & si le hasard les fait heurter contre les cabanes, ils les renversent comme une coquille de noix . Il est très-difficile de les blesser mortellement, à moins qu’ils ne soient frappés entre les yeux & les oreilles : encore la balle doit être de fer, car la peau de l’Éléphant résiste au plomb comme un mur & contre l’endroit même que le fer perce, une balle de plomb tombe entiérement applatie. Les Negres assurent que jamais l’Éléphant n’insulte les passans dans un bois ; mais que s’il est tiré & manqué il devient furieux.

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