Bosman rapporte qu’en 1700, au mois de Décembre à six heures du matin, un Éléphant s’approcha de Mina sur la Côte d’Or, marchant à pas mésurés au long du rivage sous le mont de San-Jago. Quelques Negres allérent au-devant de lui sans armes, pour le tromper par des apparences tranquilles. Il se laissa environner sans défiance, & continua de marcher au milieu d’eux. Un Officier Hollandois qui s’étoit placé sur la pente du mont le tira d’assez près, & le blessa au-dessus de l’œil. Cette insulte ne fit pas doubler le pas au fier Animal. Il continua de marcher les oreilles levées, en paroissant faire quelques menaces au Negres qui continuoient de le suivre ; mais entre les arbres qui bordoient la route, il s’avança jusqu’au jardin Hollandois, & s’y arrêta. Le Directeur Général accompagné de l’Auteur qui conte ce fait, d’un grand nombre de Facteurs, & de Domestiques, se rendit au jardin & le trouva au milieu des cocotiers dont il avoit déja brisé neuf ou dix avec la même facilité qu’un homme auroit à renverser un enfant. On lui tira aussitôt plus de cent balles qui le firent saigner comme un bœuf qu’on auroit égorgé. Cependant il demeura sur ses jambes sans s’émouvoir. La confiance qu’on prit à cette tranquilité couta cher au Negre du Directeur. S’étant imaginé qu’il pouvoit badiner avec un Animal si doux, il s’approcha de lui par derriere, & lui prit la queue ; mais l’Éléphant punit sa hardiesse d’un coup de trompe, & l’attirant à lui il le foula deux ou trois fois sous ses pieds. Ensuite comme s’il n’eût pas été satisfait de cette vengeance, il lui fit dans le corps avec ses dents, deux trous où le poing d’un homme auroit pu passer. Après lui avoir ôté la vie, il tourna la tête d’un autre côté sans marquer d’attention pour le corps du Negre, & d’autres Negres s’étant avancés pour emporter le corps, il leur laissa faire tranquillement cet office. Il passa plus d’une heure dans le jardin, jettant les yeux sur les Hollandois qui étoient à couvert sous les arbres à quinze ou seize pas de lui ; enfin la crainte d’être forcés dans cette retraite leur fit prendre le parti de se retirer, car ils manquoient de poudre. Mais le hasard ayant conduit l’Éléphant à une autre porte, il la renversa dans son passage, quoiqu’elle fut d’une double brique : il ne sortit pas néanmoins par cette ouverture ; mais forçant la haye du jardin, il gagna lentement la riviere pour laver le sang dont il étoit couvert. Ensuite retournant vers quelques arbres, il y brisa quelques planches destinées à la construction d’une barque. Les Hollandois avoient eu le tems de se rassembler avec des munitions. Ils renouvellerent leurs décharges, & le firent tomber à force de coups. Sa trompe qui fut coupée aussi-tôt étoit si dure & si épaisse, qu’il fallut plus de trente coups pour la séparer du corps. Ce fut alors que cet Animal qui avoit essuyé tant de balles sans pousser un seul cri, se mit à rugir de toute sa force, & s’étant traîné avec beaucoup de peine sous un arbre, il y expira. Aussi-tôt qu’il fut mort, les Negres tomberent en foule sur le corps & couperent autant de chair qu’ils en purent emporter. On trouva que d’un si grand nombre de coups il en avoit reçu peu de mortels. D’autres n’ayant pu pénétrer qu’une partie de la peau, s’y trouvoient encore nichées ; mais la plûpart étoient tombées applaties. Quoique Bosman conclue de là, qu’elles doivent être de fer ; il y a beaucoup d’apparence que celles des Hollandois étoient trop petites, & n’avoient pas d’autre défaut, puisqu’on a l’exemple d’un Anglois, qui tirant un Éléphant de son Canot sur le bord de la Gambra, le tua d’une seule balle de plomb. L’Éléphant n’est pas moins admirable par sa docilité que par sa grosseur, il vit l’espace de cent cinquante ans, sa couleur s’embellit en vieillissant. Les Negres en prennent un grand nombre en creusant de profondes fosses dans les lieux que ces Animaux fréquentent, & les couvrent de branches & de feuilles d’arbres. L’Éléphant étant tombé dans le piége, y est bientôt assommé avec toute sorte d’armes, & d’instrumens. Le corps est partagé entre les Chasseurs, & la peau leur sert à couvrir leurs bancs & leurs chaises : ils font présent de la queue au Roi, qui l’employe pour chasser les mouches .
Les Éléphans jettent leurs dents tous les trois ans, & comme il y a une prodigieuse quantité d’Éléphans sur la Côte d’Yvoire ; c’est la raison pour laquelle l’Yvoire y est si commun.