En passant de la Chine à la Côte de Coromandel, je vis, dit le P. le Comte, une espece de Singe fort singulier, il marche naturellement sur ses deux pieds de derriere qu’il plie tant soit peu comme un chien à qui on a appris à danser. Il se sert comme nous de ses deux bras. Son visage est presque aussi formé que celui des Sauvages du Cap de Bonne-Espérance ; mais le corps est tout couvert d’une laine blanche, noire ou grise. Du reste, il a le cri parfaitement semblable à celui d’un enfant. Toute l’action extérieur si humaine & les passions si vives, & si marquées, que les muets ne peuvent guere mieux exprimer leurs sentimens & leurs volontés. Ils paroissent sur tout d’un naturel fort tendre, & pour témoigner leur affection aux personnes qu’ils connoissent, & qu’ils aiment, ils les embrassent, & les baisent avec des transports qui surprennent. Ils ont encore un mouvement qui ne se trouve en aucune bête, & qui est fort propre à des enfans, c’est de trepigner de joye ou de dépit quand on leur donne ou quand on leur refuse ce qu’ils souhaitent avec beaucoup de passion. Quoiqu’ils soient fort grands, car ceux que j’ai vûs avoient au moins quatre pieds de haut, leur légéreté & leur adresse est incroyable. C’est un plaisir qui va jusqu’à l’admiration que de les voir courir dans les cordages d’un Vaisseau où ils jouent quelquefois, comme s’ils s’étoient fait un art particulier de voltiger comme nos Danseurs de corde. Tantôt suspendus par un bras, ils se balancent quelque tems avec nonchalance pour s’éprouver, & tournent ensuite avec rapidité autour de la corde comme une roue, ou une fronde qu’on a mise en mouvement, tantôt prenant la corde successivement avec les doigts qu’ils ont très longs, & laissant tomber tout leur corps en l’air, ils courent de toute leur force d’un bout à l’autre, & reviennent avec la même vîtesse. Il n’est sorte de figure qu’ils ne prennent, ni de mouvement qu’ils ne se donnent, se courbant en arc, se roulant comme une boule, s’accrochant des mains, des pieds, & des dents, selon les différentes Singeries que leur bizarre imagination leur fournit, & qu’il font de la maniere du monde la plus divertissante. Mais leur légéreté à s’élancer d’un cordage à un autre, à trente & cinquante pieds de distance paroit encore plus surprenante. Aussi pour en avoir plus souvent le plaisir, nous les faisions suivre par cinq ou six petits mousses ou matelots formés à cette sorte d’exercice & accoutumés eux mêmes à courir dans les cordages. Alors nos Singes pour les éviter faisoient des sauts si prodigieux & glissoient avec tant d’adresse le long des mats, des vergues, & des plus petites manœuvres qu’ils sembloient plutôt voler que courir, tant leur agilité surpassoit tout ce que nous remarquons dans les autres Animaux .
Une femme d’un capitaine espagnol, étant sur mer, ayant été surprise en adultere par son mari, celui-ci pour se venger d’une maniere toute singuliere les exposa tous deux dans une Isle déserte, où l’homme mourut peu de tems après. Or il arriva que cette femme étant restée seule & destituée de tout secours ; comme il y avoit des Singes dans cette Isle, un gros Singe ou Marmot l’ayant rencontrée s’attacha à sa compagnie, lui rendant toute sorte de services, de maniere que par force ou par adresse, il rendit cette femme enceinte, & elle accoucha de deux enfans. Mais au bout de trois ans, un Vaisseau passant par là trouva cette pauvre femme qui avoit plutôt l’apparence d’un fantôme que d’une créature humaine ; elle étoit presque toute nue, & d’une horrible maigreur ; elle conjura avec larmes les gens de cet Equipage de la tirer de cette cruelle captivité, ce qu’ils firent ; & comme ils s’embarquoient, le Singe qui n’avoit osé les approcher, & qui vit qu’elle s’en alloit, devint furieux, & s’étant jetté sur ses deux enfans, il les mit en piéces à la vue de cette femme & les lui jetta. Cette infortunée créature fut amenée à Lisbonne, ou l’Inquisition ayant été avertie de l’avanture, la fit prendre, & mettre en prison, mais le Cardinal Caëtan, pour lors Nonce du Pape, s’étant trouvé en cette Ville prit la défense de cette femme ; exposa la violence qui lui avoit été faite, & la nécessité où elle s’étoit vue de souffrir l’accointance de cet Animal qui l’avoit nourrie de fruits sauvages pendant trois ans, & ce Cardinal la garantit aussi du supplice. Cette femme se mit dans un Monastere, où elle vécut saintement le reste de ses jours. C’est de cette maniere que le Voyageur Vincent Le Blanc assure que ce fait lui a été conté à lui-même, dans son Voyage des Indes.
Dans la Guinée, il y a, dit Vincent le Blanc dans ses Voyages, une espece de Singes qu’on appelle Baris ; ils sont fort gros & puissans : les habitans les prennent à la chasse avec des fausses trapes & autres machines, & mettent les petits en des cages pour avoir ensuite les pere & mere. Ils les traitent un peu rudement, & les font pleurer comme des enfans ; ils les font marcher à deux pattes, leur attachant celles de devant sur le coû avec un bâton, puis ils s’en servent pour divers besoins, comme pour aller querir de l’eau dans une cruche, laver les écuelles, attiser le feu, aller tirer du vin, aller chercher de la viande à la boucherie ; enfin à toutes les nécessités de la maison. À travers tout cela ils font toujours quelque friponnerie, pour le manger, ou pour le boire ; mais ils sont bien étrillés. Quand ils tournent la broche, c’est un plaisir de les voir sentir la fumée du rôt, & tourner leur tête pelée regardant d’un côté & d’autre si on les apperçoit ; car il faut être bien fin pour les empêcher de se regaler de quelque morceau de roti, comme il arriva à quelques Portugais, qui avoient convié certains Marchands ; car comme on voulut dîner on s’apperçut que le Singe qui tournoit la broche avoit dejà escroqué avec beaucoup de subtilité les cuisses d’un Coq d’Inde dont ils sauverent le reste. Le Maître ne voulut pas alors le battre par la nécessité où il étoit d’être servi promptement ; en effet le Singe donna à boire à tout le monde, rinça fort bien les verres, & lui-même sur la fin se mit à manger & à boire à son tour ; en un mot il réjouit beaucoup les Convives par toutes les plaisanteries qu’il fit .
Dans le Mexique il y a un nombre infini de Singes & de Guenons de toute sorte & de diverses grandeurs ; il y en a de petits comme des rats & des souris avec la barbe blanche, qui imitent tout ce qu’ils voyent faire & rendent mille services, ainsi que l’Auteur assure l’avoir vu & de telle maniere qu’ils sembloient avoir quelque intelligence.