Parmi les singularités qu’on trouve au Caire on voit dans les rues une grande quantité de Singes, qui sont instruits à faire plusieurs tours : ils y sont apportés par les Mores qui viennent avec les Caravanes de la Mecque & qui gagnent leur vie en divertissant les Pélerins. Comme les Mores sont naturellement de grands bouffons & qu’en cela leur naturel ne s’accorde pas mal avec l’instinct des Singes, cela donne bien du passe-tems aux Voyageurs. Si la chose en valoit la peine, on pourroit en rapporter quelques-uns de mille qui s’y font : mais je me contenterai d’insérer ici une avanture des plus plaisantes en ce genre. Un jour que nous étions à table chez le Consul Torelli, on vint à parler de l’adresse des Singes & des Faucons. Sur quoi le Truchement prit la parole, & dit qu’il connoissoit un Arabe qui avoit un Singe qui n’avoit pas son pareil pour l’habilité. Ce singe lorsque son Maître sortoit, avoit accoutumé de se tenir dans la cuisine & de faire garde au coin du feu pour empêcher que les faucons ne prissent quelque chose. Il y a au Caire de ces oiseaux en grande quantité & ils s’assemblent par troupes sur les maisons où ils sont toujours aux aguets pour tâcher d’attraper quelque morceau qui leur convienne, ce qu’ils font assez souvent, parce que les cheminées étant fort larges & peu élevées, il ne leur est pas difficile d’enlever quelque chose du foyer & de l’emporter. Il arriva donc un jour que l’Arabe après avoir mis au pot un morceau de viande sortit & fut fort longtems avant que de revenir, de sorte que le pot ayant trop bouilli la viande demeura toute découverte ; un Faucon qui étoit aux aguets sur le haut de la cheminée ayant apperçu cette viande, elle lui fit envie & il hazarda de l’enlever : il y réussit & étant descendu, il prit la viande & l’emporta par la cheminée. Le Singe qui se vit attrapé, se mit à regarder tristement en haut, & comme s’il eût raisonné en soi-même sur le mauvais traitement que son Maître lui feroit à son retour pour s’être ainsi laissé dupper, il tâcha de l’éviter par quelque tour d’adresse : il raisonna donc à peu près de cette maniere ; sans doute que celui qui a fait le coup après qu’il aura mangé sa proye, reviendra voir s’il n’y a pas quelque chose à emporter, & comme il n’y avoit plus de feu, il se mit dans le pot, & tournant en haut ses fesses pelées, il ne douta pas que le Faucon ne les prît pour un morceau de viande : en effet cet oiseau étant revenu & regardant du haut de la cheminée ne manqua de fondre sur ce qu’il voyoit dans le pot, & le Singe qui le vit venir se tourna habilement, saisit le faucon, lui coupa la tête & le mit dans le pot. Le Maître étant revenu, & ne trouvant plus son dîner regarda le Singe avec colere ; mais cet Animal se mettant à sauter tira le Faucon du pot, se mit dedans, en la même posture qu’il s’y étoit mis la premiere fois, & montra par plusieurs gestes qu’il fit, comment le Faucon avoit dérobé la viande & la maniere dont il l’avoit attrapé & l’avoit mis dans le pot. On peut aisément juger par cet échantillon combien les Singes peuvent fournir de matieres à de semblables Contes .