V La merveilleuse recette

Moi, continua la troisième souris, je ne suis pas allée chercher des renseignements à l’étranger ; je suis restée dans notre pays, qui en vaut bien un autre et où l’on trouve tout ce qu’on veut. J’ai tout tiré de mon propre fonds, de mes longues réflexions. Voici ce que j’ai trouvé : Placez une marmite sur le feu ; bien. Versez-y de l’eau, encore plus, tout plein jusqu’au bord. Voyons maintenant, activez bien le feu. Du bois, du charbon : il faut que cela cuise à gros bouillons. C’est cela ! Le moment est venu. Jetez-y la brochette. Dans cinq minutes ce sera prêt. Il ne manque plus qu’une chose. Que notre gracieux souverain daigne remuer le liquide bouillant avec son auguste queue, pendant deux minutes au moins ; mais, pour que le régal soit parfait, il faut bien tourner une minute de plus.

– Faut-il que ce soit justement ma queue ? demanda le roi.

– Oui, sire ! répondit la souris. Les queues de vos sujets n’ont pas cette vertu unique dont est douée celle de Votre Majesté ! L’eau continuait à bouillonner bruyamment. Le roi s’approcha de la marmite avec l’air le plus digne et le plus courageux qu’il put prendre, et étendit sa queue en rond, comme quand les souris écrèment un pot à lait, pour ensuite lécher leur queue. Mais à peine eut-il ressenti la chaleur et la vapeur, qu’il sauta en bas du foyer et s’écria :

– Oui, c’est bien cela ! c’est la vraie recette. Tu seras la reine. Quant à la soupe, nous la préparerons une autre fois, quand nous célébrerons nos noces d’or. Alors, en l’honneur de ce beau jour, nous en régalerons à gogo tous nos pauvres pendant une semaine. Et le mariage fut aussitôt célébré en grande pompe. Lorsque tout fut mangé et bu, et que chacun s’en retourna chez soi, plusieurs souris, entre autres les amies et parentes des trois évincées, marmottaient entre elles :

– Ce n’est pas là du tout de la soupe à la brochette ; c’est de la soupe à la queue de souris. Quant aux récits qu’elles avaient entendus, elles trouvaient telle aventure intéressante, telle autre insipide et mal racontée. De même, lorsque l’histoire se répandit dans le monde, les avis furent très partagés ; les uns la déclaraient amusante, d’autres n’y voyaient que des fadaises. Enfin la voilà telle quelle : la critique, en général, n’est que de la soupe à la brochette.

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