CLXXIII NUIT.

Sire, le prince de Perse, avant que d’écrire, donna la lettre de Schemselnihar à Ebn Thaher, et le pria de la tenir ouverte pendant qu’il écrirait, afin qu’en jetant les yeux dessus, il vît mieux ce qu’il y devait répondre. Il commença d’écrire ; mais les larmes qui lui tombaient des yeux sur son papier l’obligèrent plusieurs fois de s’arrêter pour les laisser couler librement. Il acheva enfin la lettre, et la donnant à Ebn Thaher : « Lisez-la, je vous prie, lui dit-il, et me faites la grâce de voir si le désordre où est mon esprit m’a permis de faire une réponse raisonnable. » Ebn Thaher la prit et lut ce qui suit :

RÉPONSE DU PRINCE DE PERSE À LA LETTRE DE SCHEMSELNIHAR.#id___RefHeading___Toc136962268

« J’étais plongé dans une affliction mortelle lorsqu’on m’a rendu votre lettre. À la voir seulement, j’ai été transporté d’une joie que je ne puis vous exprimer ; et à la vue des caractères tracés par votre belle main, mes yeux ont reçu une lumière plus vive que celle qu’ils avaient perdue lorsque les vôtres se fermèrent subitement aux pieds de mon rival. Les paroles que contient cette obligeante lettre sont autant de rayons lumineux qui ont dissipé les ténèbres dont mon âme était obscurcie. Elles m’apprennent combien vous souffrez pour l’amour de moi, et me font connaître aussi que vous n’ignorez pas que je souffre pour vous ; et, par là, elles me consolent dans mes maux. D’un côté, elles me font verser des larmes abondamment ; et de l’autre, elles embrasent mon cœur d’un feu qui le soutient et m’empêche d’expirer de douleur. Je n’ai pas eu un moment de repos depuis notre cruelle séparation. Votre lettre seule apporte quelque soulagement à mes peines. J’ai gardé un morne silence jusqu’au moment que je l’ai reçue ; elle m’a redonné la parole. J’étais enseveli dans une mélancolie profonde ; elle m’a inspiré une joie qui a d’abord éclaté dans mes yeux et sur mon visage. Mais ma surprise de recevoir une faveur que je n’ai point encore méritée a été si grande, que je ne savais par où commencer pour vous en marquer ma reconnaissance. Enfin, après l’avoir baisée plusieurs fois, comme un gage précieux de vos bontés, je l’ai lue et relue, et suis demeuré confus de mon bonheur. Vous voulez que je vous mande que je vous aime toujours. Ah ! quand je ne vous aurais pas aimée aussi parfaitement que je vous aime, je ne pourrais m’empêcher de vous adorer après toutes les marques que vous me donnez d’un amour si peu commun. Oui, je vous aime, ma chère âme, et ferai gloire de brûler toute ma vie du beau feu que vous avez allumé dans mon cœur. Je ne me plaindrai jamais de la vive ardeur dont je sens qu’il me consume ; et quelque rigoureux que soient les maux que votre absence me cause, je les supporterai constamment, dans l’espérance de vous voir un jour. Plût à Dieu que ce fût dès aujourd’hui, et qu’au lieu de vous envoyer ma lettre, il me fût permis d’aller vous assurer que je meurs d’amour pour vous ! Mes larmes m’empêchent de vous en dire davantage. Adieu. »

Ebn Thaher ne put lire les dernières lignes sans pleurer lui-même. Il remit la lettre entre les mains du prince de Perse, en l’assurant qu’il n’y avait rien à corriger. Le prince la ferma, et quand il l’eut cachetée : « Je vous prie de vous approcher, dit-il à la confidente de Schemselnihar, qui était un peu éloignée de lui : voici la réponse que je fais à la lettre de votre chère maîtresse. Je vous conjure de la lui porter et de la saluer de ma part. » L’esclave confidente prit la lettre et se retira avec Ebn Thaher.

En achevant ces mots, la sultane des Indes voyant paraître le jour, se tut, et, la nuit suivante, elle continua de cette manière :

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