CVI NUIT.

Sire, le marchand chrétien continuant de raconter au sultan de Casgar l’histoire qu’il venait de commencer : « J’examinai, dit-il, le sésame que le jeune marchand me montrait, et je lui répondis qu’il valait, au prix courant, cent drachmes d’argent la grande mesure. « Voyez, me dit-il, les marchands qui en voudront pour ce prix-là, et venez jusqu’à la porte de la Victoire, où vous verrez un khan séparé de toute autre habitation : je vous attendrai là. » En disant ces paroles il partit, et me laissa la montre de sésame, que je fis voir à plusieurs marchands de la place, qui me dirent tous qu’ils en prendraient tant que je leur en voudrais donner à cent dix drachmes d’argent la mesure, et à ce compte je trouvais à gagner avec eux dix drachmes par mesure. Flatté de ce profit, je me rendis à la porte de la Victoire, où le jeune marchand m’attendait. Il me mena dans son magasin, qui était plein de sésame ; il y en avait cent cinquante grandes mesures, que je fis mesurer et charger sur des ânes, et je les vendis cinq mille drachmes d’argent. « De cette somme, me dit le jeune homme, il y a cinq cents drachmes pour votre droit à dix par mesure ; je vous les accorde ; et pour ce qui est du reste, qui m’appartient, comme je n’en ai pas besoin présentement, retirez-le de vos marchands, et me le gardez jusqu’à ce que j’aille vous le demander. » Je lui répondis qu’il serait prêt toutes les fois qu’il voudrait le venir prendre ou me l’envoyer demander. Je lui baisai la main en le quittant, et me retirai fort satisfait de sa générosité.

« Je fus un mois sans le revoir ; au bout de ce temps-là je le vis paraître. « Où sont, me dit-il, les quatre mille cinq cents drachmes que vous me devez ?

– Elles sont toutes prêtes, lui répondis-je, et je vais vous les comptertout à l’heure. » Comme il était monté sur son âne, je le priai de mettre pied à terre et de me faire l’honneur de manger un morceau avec moi avant que de les recevoir. « Non, me dit-il, je ne puis descendre à présent, j’ai une affaire pressante qui m’appelle ici près ; mais je vais revenir et en repassant je prendrai mon argent, que je vous prie de tenir prêt. » Il disparut en achevant ces paroles. Je l’attendis, mais ce fut inutilement, et il ne revint qu’un mois encore après. « Voilà, dis-je en moi-même, un jeune marchand qui a bien de la confiance en moi de me laisser entre les mains, sans me connaître, une somme de quatre mille cinq cents drachmes d’argent : un autre que lui n’en userait pas ainsi et craindrait que je ne la lui emportasse. » Il revint à la fin du troisième mois ; il était encore monté sur son âne, mais plus magnifiquement habillé que les autres fois. »

Scheherazade, voyant que le jour commençait à paraître, n’en dit pas davantage cette nuit. Sur la fin de la suivante elle poursuivit de cette manière, en faisant toujours parler le marchand chrétien au sultan de Casgar :

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